Interview – Olivier Loustau

A l’occasion de la sortie de son premier long métrage La fille du patron, nous avons rencontré Olivier Loustau. Interview, rien que pour vous…

Il est acteur, scénariste, réalisateur et commence l’année 2016 en beauté avec la sortie de son premier (oui, oui, vous avez bien lu !) long métrage La fille du patron. A cette occasion, Olivier Loustau a gentiment répondu à nos questions.

AVDP : Olivier on te connaît en tant qu’acteur, tu as écrit des scenarii, déjà réalisé un court-métrage, CDD, et un long court-métrage, Face à la mer, lequel a reçu le Prix Spécial du jury et Prix du public -Montpellier 2011. Depuis le 6 janvier 2016, La fille du patron est à l’affiche. Finalement, passer derrière la caméra et réaliser un long métrage c’était la suite logique pour toi, non ?

Olivier : C’est un rêve ancien que j’ai pu concrétiser. J’y travaillais depuis longtemps… Face à la mer constituait un test sur mes aptitudes à mener à bien un projet ambitieux. Et tourner de nuit, sur un chalutier avec des acteurs constituait un sacré défi. Sortir vivant et victorieux de cette aventure m’a convaincu que je pouvais passer à un format long.

AVDP : Et pourtant acteur et réalisateur, ce sont 2 métiers différents ? Jouer, se faire diriger et aller chercher des financements, tenir un planning, diriger d’autres acteur(rice)s, c’est sacrément différent. Étais-tu préparé ? Comment as-tu appréhendé ces difficultés, notamment pour trouver des fonds et, une fois trouvés, pour gérer le budget ?

Olivier : Scénariste et acteur sont deux métiers extrêmement complémentaires. Les questions que l’on se pose sont très similaires. Quand on est acteur, on est au cœur de la fabrication d’un film et c’est un poste d’observation idéal. Réalisateur, c’est avant tout mettre en scène. La question de financement, même si elle m’a évidemment concerné, était surtout le job de mes producteurs, Julie Gayet, Nadia Turincev, Lisa Azuelos et Julien Madon. Et ce n’était pas une mince affaire que de financer ce film ! Ensuite, la gestion du budget concernait Gaëtane Josse, la directrice de production, avec qui je travaillais en étroite collaboration.

AVDP : Passer devant et derrière la caméra sur le tournage, ça n’a pas été trop difficile, surtout qu’au départ tu ne souhaitais pas jouer le rôle de Vital ?

Olivier : La principale difficulté résidait dans le fait de prendre la décision de jouer ce personnage. Cela me semblait – à juste titre – pharaonique de jouer et de réaliser. Mais Patrick Grandperret, Lisa Azuelos puis Julie Gayet m’y encourageaient et après un long casting infructueux, je me suis décidé. Dès lors, il ne s’agissait plus de se répéter que c’était difficile mais plutôt de trouver la bonne méthode. J’ai beaucoup travaillé en amont pour préparer ce personnage mais aussi avec Virginie Montel, directrice artistique et très précieuse collaboratrice, ainsi que Ludovic Giraud, le premier assistant. Ensuite, ne restait plus qu’à me jeter à l’eau…

Tournage La fille du patron – © Christian Verdet

AVDP : Avoir comme co-productrice Julie Gayet, certes ça doit ouvrir des portes, mais ça doit mettre la pression non ? Pourquoi elle ? Et comment a-t-elle accueilli ton projet ?

Olivier : Sans Julie, sa foi, son enthousiasme, sa ténacité, son exigence, ce film n’aurait pas vu le jour. Nous nous connaissons depuis le cours de théâtre Véra Gregh, que nous avons fréquenté et avions joué ensemble dans Delphine 1 – Yvan 0 de Dominique Farrugia. Nous nous sommes retrouvés au Grand Prix du meilleur scénario Sopadin, où mon script a été primé. Julie a beaucoup apprécié le scénario et a proposé de s’associer avec Lisa Azuelos.

AVDP : A l’instar de Face à la mer qui traitait déjà du rapport au travail, de la grève et surtout du difficile métier de pêcheur et des risques que ces hommes encourent, La fille du patron rend hommage à la condition ouvrière, à ton père qui était ouvrier. On ressent vraiment ta volonté de ne pas réduire ces hommes et femmes à leur condition sociale. Toi qui a vécu la classe ouvrière de l’intérieur, c’était important de ne pas verser dans le misérabilisme ?

Olivier : Je voulais montrer la noblesse de ces hommes et ces femmes, leur manière de vivre, de se serrer les coudes, de souligner l’importance de la famille au sens large et de l’humour qui permettent de surmonter les difficultés de l’existence. Et puis, je trouve le travail manuel très cinégénique, j’aime filmer des hommes et des machines, que ce soient les marins pêcheurs ou les tricoteurs.

AVDP :  La fille du patron traite des difficultés du secteur textile, des différences, de l’usure du couple, mais pas que. Ce film est aussi un vrai plaidoyer pour les valeurs du sport, lequel permet à tout un chacun, quelle que soit sa religion, ses origines sociales ou ethniques, de partager des émotions individuelles et collectives. Il y a finalement peu d’espaces dans notre société qui permettent de partager collectivement des émotions. Alors le terrain de sport, véritable lieu de citoyenneté où l’on oublie toutes les différences et où l’on avance tous dans la même direction ?

Olivier : Oui. C’est ce vers quoi il faut tendre, en tous cas. La mixité sociale permet la rencontre et de s’enrichir de nos différences.

AVDP : Toi qui es amateur de rugby, tu as naturellement choisi de mettre ce sport à l’honneur. Les plans sont magnifiques notamment ceux de la mêlée, ce sport plutôt viril en devient poétique. Comment avez-vous filmé ?

Olivier : Le but était de vivre les matches de l’intérieur, d’être au cœur de la mêlée, avec nos personnages qui combattent ensemble alors qu’ils peuvent violemment s’opposer sur le lieu de travail. Nous avions deux caméras, dont une avec un système de type steadycam pour avoir des mouvements fluides. La musique de Fixi, comme le montage de Camille Toubkis jouent également un rôle très important dans le lyrisme de ces scènes.

AVDP : J’ai lu que ce sont les ouvriers qui t’ont montré les gestes et la posture à adopter devant les machines, de plus ils ont tenu leur propre rôle. Ce qui est vraiment frappant, c’est qu’à l’écran on ne distingue pas les acteurs professionnels des non-professionnels, les rugbymen pros des amateurs. Comme l’a joliment dit Pierre Berriau lors de la projection au cinéma Conti, « les acteurs ont joué aux ouvriers et les ouvriers aux acteurs ». Comment expliques-tu cette osmose entre tous les acteurs qu’ils soient professionnels ou non ?

Olivier : Stéphane Rideau disait souvent « on n’est pas des tricheurs. » Ça résume bien la manière dont nous avons travaillé.

AVDP : Bien que finalement La fille du patron soit un film chorale, Christa Théret tient le rôle féminin principal. Pourquoi elle ?

Olivier : Christa est une actrice très singulière. Un jeu tout en intériorité, une cinégénie terrible et une belle voix rauque… J’aime beaucoup ce qu’elle est. J’ai adoré jouer avec elle, c’est une partenaire bouleversante.

AVDP : Depuis le tournage, malheureusement, l’usine a fermé et a été liquidée. Est-ce que les ouvriers ont eu le droit à une projection privée du film à Roanne ? Comment ont-ils réagi en voyant leur outil de travail à l’écran ?

Olivier : La première projection leur était réservée. Je n’y étais pas mais sais que c’était très douloureux de voir qu’il ne restait plus qu’un film de leur outil de travail, de leur savoir-faire. En le revoyant le lendemain, les réactions ont été beaucoup plus positives. Et aujourd’hui, je sais qu’ils sont fiers de La fille du patron. Mais aussi amers qu’on s’intéresse à eux maintenant que c’est trop tard.

AVDP : Quels sont tes projets pour demain ? Ton film est bien accueilli par les critiques, l’essai est largement transformé. As-tu envie de retenter l’expérience en tant que réalisateur ou préfères-tu endosser dans l’immédiat ton costume d’acteur ?

Olivier : Les deux, mon capitaine !

AVDP : Merci beaucoup Olivier et encore bravo !

Olivier : Merci à toi !

Et si vous n’avez toujours pas vu La fille du patron, il est encore temps d’y courir !