Nous vous en parlions voilà quelques semaines : Konami, illustre nom du jeu vidéo japonais, est en train de redistribuer les cartes en interne. Tout porte à croire que Hideo Kojima, créateur notamment de la licence Metal Gear Solid, quittera la société après avoir terminé le cinquième épisode de sa série phare. Un départ qui s’ajoute à ceux, passés plus inaperçus et pourtant tout aussi inquiétants, de Dave Cox et Koji Igarashi, les producteurs des Castlevania, ou encore celui de Tak « extrême » Fujii, légendaire producteur de Ninety-Nine Nights 2 (rappelez-vous de sa prestation fantastique lors de l’E3 2010). Bref, ça bouge chez Konami, malheureusement dans une direction qui emmène à la terrible nouvelle qui nous intéresse aujourd’hui : l’annulation de Silent Hills, l’un des projets les plus alléchants du jeu vidéo japonais actuel.
Avant de retourner vers feu Silent Hills, faisons un rapide retour en arrière sur la société Konami. Née en 1973, il faudra attendre 1979 pour attendre la sortie de son premier jeu : Block Game. L’année d’après, c’est le premier succès avec Scramble, puis 1981 débute les choses sérieuses avec la grenouille de Frogger, véritable carton international qui est encore aujourd’hui cible de remastérisations. Avec la renommée vient l’envie de s’étendre, et les branches américaines puis européennes afin de mieux occuper un marché vidéoludique en pleine expansion. On est alors en pleine folie Nintendo, et Konami écrit parmi ses plus grandes lettres de noblesse : Castlevania, Contra, Gradius, Track and fields, Antartic Adventure, etc. On tenait là une société solide dont les jeux, constamment innovants, étaient toujours attendus.
Il est très important de bien intégrer que Konami n’est plus, depuis lors, un éditeur de jeu vidéo. C’est une entreprise tentaculaire, qui rachète et transforme Hudson Soft (ancien poids lourd du jeu vidéo japonais, que vous connaissez pour ses Bomberman) en filiale. Mais ce n’est pas tout, car l’activité jeu vidéo sur consoles se fait rejoindre par plusieurs pôles : machines à sous (les fameux Pachinko et Pachislot), clubs de fitness et appareillages de sport, production de dessins animés (Yu-Gi-Oh !), et une tonne de produits dérivés (livres, cartes à jouer, figurines, etc). Mais surtout, et c’est là aussi une donnée importante qui mène Konami à l’annulation de titres attendus sur consoles comme Silent Hills : Konami découvre le jeu sur smartphone, un filon qui fait de la holding l’une des plus pérennes du Japon. Le rapport avec l’annulation brutale de Silent Hills ? On y vient…
Konami est une société qui rapporte, populaire de par sa relation avec ses artistes et son passé glorieux. Pourtant tout est en train de basculer depuis quelques mois. Des licenciements sont annoncés, de nouvelles conditions de travail, plus strictes, sont appliqués. Il faut dire que Konami, à l’image des autres éditeurs japonais, n’a pas super bien vécu la génération PS3 / Xbox 360 / Wii, surtout en perdant totalement les pédales avec sa licence Pro Evolution Soccer, dorénavant derrière FIFA. On sent alors une certaine gêne dans la communication de la holding, et ça se traduit avec une méfiance envers ses propres artistes. Une première vague de départs intervient avec le bide monumental du mauvais Castlevania Lords of Shadow 2. Le superficiel, ces jeux de niche comme les RPG, ou les jeux de rythme de moins en moins à la mode, fait les frais d’une politique visant à se concentrer sur ce qui rapporte encore dans le domaine consoles. Le foot et Kojima. Sauf que, et c’est ici que nous rattrapons le triste présent, même Hideo Kojima, pour des raisons encore inconnues, vient de se prendre un méchant coup de pression. Et comme l’auteur de Metal Gear Solid était annoncé comme participant à l’aventure Silent Hills, avec Guillermo Del Toro (Pacific Rim) et Norman Reedus (Walking Dead), on avait toutes les raisons d’avoir peur pour le projet, malgré ce casting plus que séduisant.
Car c’est ici que l’annulation de Silent Hills, désormais officialisée par Konami, surprend tout le monde : le jeu avait été présenté en grande pompe par une démo qui en aura scotché plus d’un : Silent Hill PT. Flippant et bourré de bonnes idées, cet avant-goût a alléché le monde entier en étant distribué sur les services en ligne de nos consoles d’une manière tonitruante : il a été annoncé à la Gamescom 2014 comme étant jouable dès la fin de la conférence, ce qui a créé une véritable ruée vers cette démo désormais retirée de la distribution. Un engouement compréhensible, tant la licence Silent Hill, si elle ne figure pas parmi les plus rentables, est sans aucun doute l’une de celles réunissant les plus passionnées des fanbases. On imaginait bien que la brouille avec Kojima pouvait mener Konami à reconsidérer tous ses projets, mais de là à annuler un titre déjà lancé triomphalement, avec des noms reconnus… On est sans doute face à l’abandon le plus catastrophique de l’histoire vidéoludique, loin devant Project Titan, Outcast 2 ou Starcraft Ghost.
Aujourd’hui, on est donc à la fois surpris et déçu, voir remonté, par cette annulation pure et simple de Silent Hills. Les bons résultats financiers de Konami ajoutent une grosse pointe d’amertume, on ne peut pas se replier sur l’excuse du coût d’une telle production. Quid du sort de la licence, dont le second épisode figure parmi les plus grands classiques du jeu vidéo ? Konami l’a assuré au site Kotaku : l’entreprise réfléchit au futur de la série. Ce qui veut tout et rien dire, soyons clairs, car le départ de la licence sur smartphone aurait un très mauvais arrière-goût. Si on évoque cette piste, ce n’est pas pour rien tant Konami est aujourd’hui concentré sur ces nouvelles plateformes, très en vogue au Japon depuis de nombreuses années, mais pas vraiment convaincantes quand il s’agit d’aborder des softs lourds, qui demandent de la précision et des efforts de contenu. De plus, n’oublions pas que l’un des plus gros succès récents de Konami est son Star Wars : Force Collection, sorti exclusivement sur téléphones portables. Va-t-on voir Silent Hills échouer sur iOS ou Android ? C’est possible. Aura-t-on perdu au change si cette probabilité vient à se confirmer ? Oui, sans aucun doute.
Avant d’en finir avec cette bien triste nouvelle qu’est l’annulation de Silent Hills, il est impossible de ne pas aborder la malédiction qui semble s’abattre sur les projets vidéoludiques auxquels Guillermo Del Toro fut attaché de près ou de loin. Car avant le jeu qu’il aurait pu faire avec Konami, il y eut Insane, déjà un survival horror, et prévu pour être une trilogie. Développé par Volition (les Red Faction, et les Saint Row), le jeu devait être édité par THQ. Sauf que l’éditeur fait faillite et annule, là aussi, le projet. Silent Hills est donc le second jeu (voire le quatrième si l’on tient compte que Insane devait se décliner en trois softs) que Guillermo Del Toro voit se faire annuler. Mais que le réalisateur derrière la série The Strain se rassure, il n’est pas le seul metteur en scène qui n’arrive pas à concrétiser ses projets vidéoludiques, ou tout simplement à être touché par le mauvais œil, hein Steven Spielberg…