Big Bad Wolves prend place en Israël, alors qu’une série d’abominables meurtres pédophiles est en train d’ébranler la population. Excédée et impuissante, la police locale utilise des méthodes très discutables afin de « faire parler » le principal suspect, Dror (Rotem Keinan), dont on ne sait rien à part qu’il prend cher sans preuves apparentes. Seulement voilà, le passage à tabac est filmé par une personne passant dans les parages, et la vidéo balancée sur Internet. Le suspect est relâché, et un nouveau corps d’enfant massacré est découvert. Micki (Lior Ashkenazi), l’agent en charge de l’enquête et qui a participé au tabassage navrant, est immédiatement transféré à la circulation, tandis que Gidi (Tzahi Grad), le père de la pauvre victime, se donne comme objectif de mettre en pratique la loi du talion. Il kidnappe Dror, ainsi que Micki qui trainait dans les parages, représentant une menace pour le plan devant évidemment éviter tout soupçon. Débute alors un interrogatoire à la fois insoutenable et aberrant.
Big Bad Wolves était, mine de rien, un des films les plus attendus parmi les direct-to-video de 2014. Deuxième film du duo Aharon Keshales et Navot Papushado, les cinéphiles avertis savaient que le film pouvait confirmer la très bonne impression qui se dégageait de leur premier effort, le très recommandable Rabies. On passera sur le petit buzz né de la réaction de Quentin Tarantino, qui ne fait plus vraiment foi depuis un bout de temps, mais dont l’avis placardé sur l’affiche prévient : « Sensationnel. Le meilleur film de l’année ». On garde évidemment en tête l’avis du père Quentin, mais c’est surtout le sujet de Big Bad Wolves, très courageux de par le parallèle avec la société Israélienne, qui aiguise notre curiosité.
Big Bad Wolves débute par l’enlèvement d’une fillette. Terriblement tragique, cette situation est pourtant traitée d’un point de vue purement esthétique, faisant la part belle au ressenti. Ralentie du début à la fin, et baignée d’une composition puissante, cette partie de cache-cache qui tourne au drame absolu réussit à toucher droit au cœur, malgré sa stylisation globale. Le cinéma est décidément un vrai miracle quand la vision d’un (ici, deux) artiste réussit à magnifier une situation, et ce même si ce à quoi on assiste n’a rien de magnifique. La petite fille aux souliers rouges, qui rappelle très fortement les victimes du tueur en série de Memories of Murder, mais aussi la fillette de La Liste de Schindler, disparaît. Et, la prochaine fois qu’on la verra, son corps sera odieusement décapité. Big Bad Wolves est aussi simple et terrorisant que ça.
Big Bad Wolves introduit alors ce qui a certainement beaucoup plu à Tarantino : des personnages bien travaillés, faisant naviguer le film entre entre un humour noir au possible et l’épouvante pure. La séquence de passage à tabac de Dror, assis sur une chaise que surveille deux molosses à visage humain, dans un bâtiment désaffecté, mélange déjà ces sentiments. On a là une belle brochette de crétins, et les réalisateurs s’amusent déjà à parsemer le métrage de leur message. Rien ne peut arriver de bon à personne dans cette histoire. Les quatre flics, menés par le leader Micki, font pleuvoir les coups de bottins sur Dror, sans que soit donnée au spectateur une quelconque preuve de la culpabilité du suspect. En résulte un véritable malaise. On pense fortement à Lady Vengeance de par la situation de la séquence, à la différence près que le spectateur avait conscience, dans le film Sud Coréen, que l’ordure torturée était coupable des horreurs dont il était accusé. Et c’est là que Big Bad Wolves peut gêner aux entournures.
Big Bad Wolves laisse mariner le spectateur dans une tourmente psychologique à la limite de l’insoutenable, que seul vient briser un ton parfois tragi-comique. Cette absence de justification aux actes atroces qui nous sont décrits dans certaines séquences, situées dans la deuxième moitié du film, peut faire dire à certains que les réalisateurs jouent avec le feu, en justifiant l’injustifiable juste sur la foi des dires d’un flic et d’un père de famille plongé dans le pire des deuils. Cet avis est malheureusement un brin recevable, d’autant que le twist final est raté car trop balancé. Mais résumer Big Bad Wolves à cette maladresse serait une injustice incompréhensible. Car le film utilise justement tout le doute né dans l’esprit du spectateur pour parler fondamentalement de la société Israélienne, de la situation dans ce pays troublé mais tellement passionnant. Les réalisateurs utilisent, avec une maîtrise surprenante, le film de genre, ici le thriller à tendance torture porn, afin de dresser un constat sur l’anxiété (justifiée) d’un peuple qui mène inexorablement à des actes parfois inconsidérés. Et les réalisateurs en viennent au même constat que Park Chan-Wook, avec sa fameuse trilogie de la vengeance : la colère, toute compréhensible qu’elle soit, conduit vers le désir de représailles et, en fin de parcours, le drame généralisé qui n’a rien d’une délivrance. Les metteurs en scène ne jugent en rien les personnages, tout aussi tordus qu’ils soient. On pense au père de Gidi, Yoram, ancien militaire et qui maîtrise parfaitement le chalumeau. Big Bad Wolves dresse un constat humain malheureusement juste, à en faire chialer par son fatalisme.
Big Bad Wolves est bien plus parlant que ce que certains ont pu prétendre, et formellement les réalisateurs démontrent qu’ils sont parmi les plus grands espoirs de ce qu’on a, un peu pompeusement, appelé la nouvelle vague du cinéma de genre. Certains plans restent longtemps en mémoire, comme ce traveling latéral aboutissant sur le corps inerte de la petite victime. La photo rappelle énormément ce qu’on peut voir en Corée du sud depuis pas mal d’années, avec un contraste appuyé. D’ailleurs, Big Bad Wolves est bourré de références au cinéma du pays des matins calmes puisque, aux films cités plus haut dans la critique, s’ajoute évidemment Old Boy pour l’utilisation du marteau comme arme, toujours efficace, de torture. En parlant de châtiment, signalons que le métrage n’est pas à projeter pour des yeux sensibles, certains passages se situant assez haut dans l’échelle de l’abomination. Si vous êtes aptes à ce genre d’expérience, alors Big Bad Wolves ne peut pas vous faire de mal.