Naomi Kawase (Still the Water, 2014) nous revient avec un des ces films dont elle a le secret : Les délices de Tokyo, traduction paresseuse de An, le titre original qui reprend le nom de la fameuse pâte de haricots rouges, élément central du film. Une petite échoppe de fabrication et de vente de dorayakis, sorte de pancake japonais nappés en leur milieu de cette sauce An, une vieille dame qui y fait irruption et le film s’envole au cœur des saveurs et des délices. Vous voulez goûter?
Sentaro, un jeune homme à la tristesse que ses jeunes clientes commentent avec malice vend des dorayakis dans un quartier de Tokyo. Jusqu’au jour où une vieille dame se présente et lui propose ses services pour l’aider. Elle fait la fameuse pâte An depuis cinquante ans et, pour mieux le convaincre de l’embaucher, elle lui en apporte un échantillon. Il est subjugué par la saveur forte et sans équivalent de la préparation de Tokue, la vieille dame qui entre à son service. Les délices de Tokyo décrit soigneusement cette rencontre mais également la découverte de l’art de prêter attention à la confection de la pâte : en vérifier scrupuleusement la cuisson, ajouter le sirop de glucose au bon moment… Mais c’est aussi accompagner la cuisson de mots doux adressés aux haricots rouges, comme certains jardiniers qui parlent à leurs fleurs. Naomi Kawase filme cette reconnexion à la vie chez le jeune homme triste avec beaucoup de finesse, des plans qui fixent sur le visage de chacun des deux protagonistes la foule de sentiments qu’éveille cette confection des dorayakis qui, de plus, vont attirer une clientèle de plus en plus importante par leur saveur et leur délice inhabituels.
Les délices de Tokyo est d’abord une belle leçon de vie donnée par Tokue, cette vieille dame aux doigts tordus comme des troncs d’olivier, dont on apprendra plus tard qu’elle a souffert de la lèpre. Celle d’observer le monde qui nous entoure (beaux plans de cerisiers poudrés de fleurs), du vent qui semble parler aux personnages, du goût et du soin mis à préparer la pâte An dont on nappera plus tard les dorayakis comme si cela dépassait la simple cuisine. Les délices de Tokyo redonne en même temps une dignité à chacun des deux personnages auxquels s’est joint une jeune fille, elle aussi, en prise avec un enfermement social. Car Tokue vit dans une léproserie depuis qu’elle est jeune fille et chacun va apprendre grâce à l’observation des choses, à l’écoute de la nature comme une présence quasi divine, à dépasser leurs conditions d' »exilés sociaux » pour se reconnecter à leur vie, à leurs désirs, à un avenir plus souriant mais aussi à cet invisible qui est partout et dont le vent, chez Kawase, signifie la présence. Comme dit Tokue, nous sommes nés pour écouter et regarder ce monde… Les délices de Tokyo nous en offre une fort jolie version ou comment le sens de la vie peut se trouver dans la recette de la pâte aux haricots rouges. Délicieux !
Un autre avis sur Les délices de Tokyo sur letemps.ch.