Présenté a la Mostra de Venise cette année, Marguerite est le sixième film de Xavier Giannoli. Il s’inspire de la vie de Florence Foster Jenkins, une chanteuse américaine qui cassait les oreilles de son public dans les années 40. Ici, nous sommes à Paris dans les années 20 et la Baronne Marguerite Dumont (Catherine Frot) est passionnée d’Opéra. Sur son phonographe, elle écoute Bizet, Verdi et Mozart et chante 5 heures par jour, au grand désespoir de Georges (André Macron), son époux, qui préfère rester éloigné de son foyer et de la douce folie de sa femme.
Marguerite est riche et originale. Elle a de l’argent, et son mari un titre. Ensemble, ils ont beaucoup d’amis. La maîtresse de maison ne vit que pour la musique et le chant, qu’elle pratique assidûment, en dépit de son manque de talent évident. Enfin, évident pour les autres, car Marguerite ne se rend compte de rien.
Elle donne régulièrement de petits concert dans sa riche demeure : elle y invite musiciens, journalistes et jeunes talents du chant lyrique. Comme elle est aussi mécène, personne n’ose lui dire la vérité. Tout le monde met des boules Quiès et l’applaudit pour rester dans ses bonnes grâces. L’acharnement de Marguerite dans l’apprentissage du chant est aussi grand que l’hypocrisie qui l’entoure. Mais les choses se corsent : Marguerite veut chanter devant un vrai public, dans une salle à Paris. Si son époux tente de l’en dissuader, d’autres l’encouragent vivement…
Xavier Giannoli connaît la musique et les affres de la notoriété : il avait réalisé en 2006 Quand J’étais Chanteur où Gérard Depardieu campait un chanteur de bal sur le retour, ou encore Superstar avec Kad Merad (Bis, Supercondriaque) dans le rôle d’un homme devenu célèbre à son insu. Pour Marguerite, il choisit une ambiance plus sombre et orchestre son film comme une pièce de théâtre avec une découpe en chapitres et des scènes tournées principalement en intérieur. L’histoire de cette femme esseulée qui vit pour sa passion est une tragédie, au sens classique du terme, avec une héroïne qui accomplit son funeste destin. Pourtant, elle a de quoi nous faire rire cette femme d’âge mûr qui chante comme une casserole et se rêve en diva. Mais derrière les plumes et les perles, elle cache bien des blessures.
Dans le rôle de de Marguerite, Catherine Frot excelle. Dans sa voix qui déraille, on suppose un cri de désespoir pour attirer l’attention d’un époux qui ne la regarde pas (même s’il est obligé de l’entendre). Omniprésente à l’écran, elle est toujours entre le drame et la comédie, le ridicule et le sérieux. La première fausse note viendra de certains personnages secondaires, qui sont ébauchés puis vite oubliés, alors que d’autres sont mystérieux et hauts en couleurs, comme Madelbos (Denis Mpunga), le majordome/photographe/chauffeur de Madame, ou Pezzini (Michel Fau) son professeur ultra exubérant. La seconde vient du temps qui semble s’arrêter et nous fait perdre de vue l’intrigue, même si ce n’est que rarement.
Pour la demeure du couple Dumont – où se déroule une grande partie de l’action – le réalisateur a choisi un manoir richement décoré, où de riches tapisseries alourdissent les murs et de grands lustres en cristal se balancent dangereusement. Le décor est presque parfait, la couleur grise légèrement bleutée – que l’on peut voir notamment lors d’une scène où Marguerite se rend à Paris – donne une impression de vieille carte postale. Les costumes de Jean-Pierre Laroque ne sont pas en reste. Des habits de chasse de ces messieurs aux ailes d’ange de l’apprentie chanteuse, nos yeux sont comblés.
Là où Giannoli réussit un coup de maître, c’est qu’il fait de Marguerite une héroïne qui se fiche de son époque et de ses contemporains. La France d’après-guerre, les colliers de perles et les robes Charleston n’ont pas de prise sur elle. Au milieu de ce décor des années 20, elle est intemporelle.
Pour un autre article sur Marguerite, c’est sur Première. Et si vous êtes intrigués par Florence Foster Jenkins, un biopic réalisé par Stephen Frears avec Meryl Streep dans le rôle titre sortira l’an prochain.