Réalité, le nouveau film de Quentin Dupieux (Steack, Wrong Cops) porte un titre très étrange. Va-t-il, avec la veine absurde des ses films précédents, chercher à embrasser la réalité, toute la réalité ou bien cherche-t-il déjà, avec Réalité, à nous la masquer, à s’amuser avec elle? Réalité où es-tu?
Réalité (Elodie Bouchez, Etre ou ne pas être, Juliette, La Grande Boucle), c’est le prénom que porte une petite fille assise sur le siège arrière d’une voiture avec son petit nounours à ses côtés pendant que son père est en train d’ajuster un sanglier avec son fusil à lunettes. C’est la première scène du film; la caméra filme les bois, les arbres qui bougent avec le vent puis elle se concentre sur cet homme au fusil qui, à deux pas de sa voiture, va abattre un sanglier inoffensif. Et s’il le tue, ce n’est pas pour un prochain festin mais pour en vider les entrailles et l’empailler. Le papa de Réalité est taxidermiste. D’ailleurs, à Réalité qui lui demande à quoi sert ce qu’on a à l’intérieur, le père répond simplement : « Rien » , puis reprend le nettoyage de l’animal en laissant tomber dans la poubelle avec les amas sanguinolents une cassette vidéo bleue que Réalité va chercher à récupérer pour en connaître le contenu même si les adultes lui répètent que jamais un sanglier n’aurait pu avaler une telle cassette. Voilà le film lancé et le spectateur fixé sur une histoire que Réalité ne va avoir de cesse d’enchâsser dans d’autres à priori sans aucun lien entre elles.
Réalité court, et c’est son grand mérite, plusieurs lièvres à la fois dans d’invraisemblables mises en abîme qui abusent du spectateur, le lessivent tel un caillou roulant dans le lit d’une rivière tumultueuse. Réalité mêle en effet plusieurs histoires en une, dont celle du cameraman benoîtement interprété, et ce n’est point un reproche, par Alain Chabat qui tient le contrat de sa vie auprès d’un producteur (non moins remarquablement interprété par Jonathan Lambert) qui a lu et apprécié son scénario de film d’horreur mais qui lui demande juste de trouver le cri d’épouvante qui va lui permettre de rafler l’Oscar du meilleur cri d’horreur, rien que ça! Celle aussi d’un autre film en train de se tourner dans lequel Réalité est filmée longuement en train de dormir, celle de ce gars, animateur d’une émission culinaire, vêtu d’une peau de bête et d’une tête de rat (pendant l’émission bien sûr) et qui n’arrête pas de se gratter pendant les enregistrements. Oui, Réalité enchaîne les histoires et la réalité elle-même se confond parfois avec les rêves ou les cauchemars des personnages accentuant l’étrangeté du propos. Quentin Dupieux ajoutant, à ce que d’autres ont déjà fait en matière de confusion entre rêve et réalité ou tournage et réalité (La nuit américaine de Truffaut ou plus récemment et brillamment La vénus à la fourrure de Polanski), une dose non négligeable d’absurde qui accentue la perplexité et le désarroi du spectateur. Désarroi dans lequel Réalité m’a plongé pour mon plus grand bonheur.
En sortant de Réalité, je me suis dit que ce film manquait tout de même de chair (pas d’intrigue amoureuse, d’amitiés contrariées, de passion). Mais en laissant décanter ce film riche, complexe et quelque peu loufoque (ah oui j’oubliais le type qui se promène en Jeep habillé en femme avec des escarpins et un bouquet de fleurs à la main), comme on le fait avec un bon vin pour en sentir la finesse de son bouquet, je me suis dit que finalement ce film en débordait de chair avec ce type à la recherche du cri qui va peut-être lui faire réaliser son rêve (un film), cette petite fille, Réalité, qui veut savoir ce que recèle la cassette retirée des entrailles du sanglier. Et au moment de déguster ce film, sans à priori, mais qui expulse toute l’ambiguité et la beauté du cinéma, laissez-vous aller, conduire par la main. Réalité vous apparaîtra alors comme un grand cru!
Un autre point de vue sur Réalité :
http://www.critikat.com/actualite-cine/critique/realite.html