Selma, ici critiqué, débarque au cinéma le 11 Mars 2015. Selma est un biopic qui aura connu un développement compliqué, sur une période précise de la vie de Martin Luther King. Selma est passé de mains en mains, notamment par celles de Steven Spielberg, Michael Mann et Spike Lee, pour atterrir chez Ava DuVernay, réalisatrice qui a notamment fait ses armes sur un épisode de la saison 3 de Scandal. Huit années auront été nécessaires aux producteurs Dede Gardner et Jeremy Kleiner (tous deux déjà à l’œuvre sur 12 Years a Slave et World War Z) pour trouver le metteur en scène idéal. Un travail de longue haleine qui, on doit bien se le dire, a pu surprendre beaucoup de monde, et ce même après les nominations de Selma pour divers prix (notamment pour le meilleur film aux Oscars 2015, ou le meilleur réalisateur aux Golden Globes 2015). Alors, Selma rend-il un bel hommage à l’une des figures les plus importantes du vingtième siècle ?
Selma, ville de l’Etat d’Alabama, au Sud-Est des Etats-Unis. Nous sommes en 1965, et si l’esclavage est aboli depuis 1865 on peut affirmer que, cent ans plus tard, les Noirs ne sont toujours pas considérés comme des êtres humains par les Sudistes. A Selma, seul 2% de la population noire est inscrit sur les listes électorales, non pas par désintérêt, mais à cause d’une interdiction clairement racialiste qui ne disait pas son nom. C’est dans cette ambiance étouffante que Annie Lee Cooper (Oprah Winfrey, récemment aperçue dans Le Majordome), habitante de Selma, va pour la énième fois tenter d’obtenir la précieuse inscription. Elle est Noire, elle repassera. Un drame ignoble, qui coûte la vie d’enfants, va finir par attirer le regard sur Selma, et en particulier celui de Martin Luther King (David Oyelowo, vu dans A Most Violent Year, Interstellar) qui va s’emparer de la situation pour en faire le symbole d’une lutte fondamentale : celle qui poussera le président Johnson à signer l’historique Voting Rights Act. Mais le parcours sera semé d’embuches pour King à Selma, et il devra lutter politiquement, notamment contre le gouverneur Wallace (Tim Roth), et risquer l’intégrité physique des Noirs du coin afin de protester pacifiquement.
Selma, voilà un film qui fera, et fait déjà, couler beaucoup d’encre, et ce de toutes parts. L’exactitude historique du scénario de Selma fait clairement débat chez les historiens, et pendant qu’on assiste à ces discussions houleuses et évidemment intéressantes, on doit tout de même écrire sur le film. Selma débute en nous rappelant à quel point Oprah Winfrey a un visage fait pour la caméra, et pas seulement celles des plateaux télé. Sa séquence, la présentant en train de répondre à des questions exagérément difficiles, dont le but est de prouver qu’elle ne connaît pas l’histoire de son pays, donc ne peut avoir le droit de vote, lance Selma avec beaucoup de choses qu’on retrouvera tout au long de l’œuvre. On va être clair, Selma est éclairé comme tous les films qui cherchent à gagner des statuettes. Non pas que ce soit désagréable, mais le recours, inlassablement, à l’éclairage en contre-jour, ça a tendance à lasser, et Selma n’est pas une exception à ce niveau. Plus étrange, et surtout plus grave, dès les premières minutes de Selma on est assez dubitatif quand à la réalisation de Ava DuVerney. Selma est très carré formellement, du moins en apparence car le montage est, et c’est véritablement surprenant à ce niveau, un peu bancal. La réalisatrice de Selma balade sa caméra un peu n’importe comment, et ne respecte pas les règles élémentaires pour rendre compréhensible le sens du regard. Pour rentrer un peu dans les détails, et bien comprendre pourquoi Selma peut parfois nous égarer, une des lois de montage à respecter est celle des 180 degrés. Deux personnes qui se parlent, vous tracez une ligne imaginaire entre les deux, puis un rond pour faire de la ligne le diamètre d’un cercle. Ce dernier, coupé en deux, donne deux demi-cercles de 180 degrés. Pour bien filmer un dialogue, on se doit de ne rester que dans un de ces demi-cercles, afin de garder constant le sens du regard. On peut transgresser évidemment, mais seulement si c’est justifié par une recherche d’ordre émotionnelle. Le problème, dans le formel de Selma, c’est que la réalisatrice semble ne pas avoir capté l’importance de cette règle, et dès l’ouverture du film on assiste au montage d’un dialogue qui a tendance à perdre le spectateur dans l’espace. Et ce sera souvent le cas de Selma.
Évidemment, Selma ne peut être résumé à cette retenue sur sa forme. Non, car Selma est un film d’une grande importance fondamentale, et surtout se rattrape sur bien des points. Ava DuVerney assure tout de même sur certaines séquences, et réussit à capter une tonne d’émotions. A ce titre, la séquence des enfants massacrés est un tour de force, aussi bien dans sa préparation que dans l’esthétique utilisée. Selma, à partir de cette scène, trouve un rythme de croisière tout à fait typique des biopics actuels, ne surprend pas vraiment mais fait le job de façon efficace, en déployant notamment un casting très efficace, et une tête d’affiche en état de grâce. David Oyelowo est un grand et le prouve dans Selma, point barre. On retient l’intensité de son regard, de sa présence physique, dans la séquence dans laquelle il rend visite au grand-père d’un manifestant abattu. Sans même vous en rendre compte, vous aurez les yeux bien humides devant Selma et vous aurez envie de partir rejoindre les manifestations décrites, Selma en a le pouvoir.
Selma a aussi le don de savoir quoi faire du personnage Martin Luther King. C’est simple, la réalisatrice de Selma ne le traite pas seulement comme l’immense tribun qu’il fut, mais aussi comme un simple mortel, en proie aux doutes et sachant très bien gérer les sacrifices que sa lutte impliquait. Selma montre, démontre, que les manifestants du regroupement qui aura servi de réveil citoyen à tout un pays, en décrivant à tous l’horrible violence des forces de l’ordre, n’étaient pas de simples Hommes en colère. Non, ces âmes ont servi un plan à Selma, très simple : réveiller les consciences en se mettant sciemment en danger, physiquement. Et King, conscient de tout ça dans Selma, le vit mal, perd même un peu de sa conviction, avant d’être rattrapé par sa foi. Car voilà un sujet qui ne sera pas du goût de tous : l’importance des croyants dans ce combat, est mise en valeur dans Selma. Pas soulignée plus que de raison, mais il faut bien se dire que Martin Luther King a demandé l’aide des communautés religieuses, qu’il a reçu. Selma montre autre chose que des prêtres défroqués, des croyants pédophiles, des religieux obtus, et bon sang que ce vent frais fait du bien, surtout en ce moment.
Selma se suit donc plutôt bien, malgré les défauts de forme et certaines longueurs inévitables, comme ces monologues guindés, figure imposée des films à Oscars, mais heureusement jamais trop longs. Le scénario de Selma, tout en étant plutôt prévisible, est dans la moyenne haute de ce genre de production et se suit très bien. Selma réussit à s’en sortir, à titiller l’empathie à tel point qu’on en ressort avec le sentiment d’avoir assisté à quelque chose de fort, de prenant. Selma appartient donc à cette catégorie, beaucoup moins fournie qu’on ne le pense tant l’exercice est périlleux, des biopics réussis.
Pour voir la bande-annonce de Selma, c’est par là, et des extraits dans notre news.
Le site Zéro de conduite a consacré un mini-site à Selma, où vous pourrez notamment télécharger un dossier pédagogique bien fourni. C’est à cette adresse.
N’hésitez pas à lire d’autres critiques de Selma, notamment chez Mulderville.
Un quart d’heure d’images d’archive de la grande marche de Selma, c’est par ici.