Deuxième film d’une série d’adaptations cinématographiques d’un véritable succès littéraire, Profanation a le droit, contrairement à l’excellent Miséricorde, à une sortie en salle. Si le succès populaire était déjà au rendez-vous pour le premier film, signalons que Profanation a, lui, explosé le record dans son pays, le Danemark, avec quasiment neuf millions d’euros de recettes. Un résultat impressionnant pour Profanation, qui s’explique par le grand sérieux avec lequel est traité cette série d’adaptations, qui prend pourtant quelques libertés sur l’œuvre de base. Avec un héros plus jeune, un recentrage des intrigues sur le côté thriller et donc un allégement du côté vie privée des personnages, Profanation peut se targuer d’avoir modifié un grand succès de la littérature sans s’être mis à dos les fans.
Profanation nous ramène dans le Département V, une petite section chargée officiellement de clore les affaires classées depuis des années. Mais dans les faits, les deux agents en charge de la division, Carl Morck et Assad, ne se contentent pas de la paperasse, mais rouvrent aussi d’anciennes affaires beaucoup trop mystérieuses pour être closes. Et Profanation nous raconte comment l’une d’elles, datant de 1994, attire le regard suspicieux de Morck et Assad. Un double-meurtre terrifiant, ayant choqué la population, et depuis tombé dans l’oubli. De forts soupçons mènent jusqu’à un groupe de pensionnaires d’un internat, mais l’affaire est étrangement mise de côté. Plus de 20 ans après, le le duo de Profanation s’empare de ce dramatique évènement, rouvre le dossier, et ce malgré le fait que certains hommes de très grande influence semblent mouillés jusqu’au cou…
Après un Miséricorde de très haute volée (on ne le dira jamais assez : armez-vous de votre télécommande et regardez-le !), on retrouve donc nos deux flics devenus inséparables. Le Département V vient de boucler sa première affaire, et si on pouvait s’attendre à ce que les yeux soient braqués sur eux, on s’attendait aussi à ce que les caractères n’aient pas changé d’un iota. C’est clairement le cas dans ce début de Profanation, tant on retrouve avec délectation Morck et Assad, toujours aussi bien décrits, écrits avec justesse. Il est clair dorénavant qu’Assad est le penchant communication du binôme, le plus doué dans les rapports humains. Tandis que Morck est toujours ce flic au nez creux, à l’intuition qui confine au sixième sens. Le commissariat fête donc ses héros après leurs exploits, et Mikkel Norgaard, le réalisateur de Profanation, en profite pour tout de suite rentabiliser cette situation. Un peu de racisme latent, heureusement pris avec sagesse par Assad, et une absence remarquée : celle de Morck. Celui-ci est cloîtré dans son antre, le sous-sol, sorte de Mulder version Danoise. Et quand il se décide à montrer le bout de son nez dans la bringue, c’est pour mieux faire chou blanc niveau sentimental en convoitant une femme déjà casée. On retrouve donc cette douce alchimie entre les personnages, un équilibre très fin sur lequel Profanation, tout comme Miséricorde, base son succès.
Bien vite, Profanation épouse les envies de Morck, ce bourreau de travail, et se concentre sur la grande question : et après ? Le Département V a réussi à mener à bien une enquête, un peu miraculeusement, mais le service est-il voué à perdurer ? En tout cas, le duo de Profanation se voit attribuer une nouvelle secrétaire, alors que l’on suppose que les conditions de travail ont du en décourager certaines. Ce n’est pas le cas de Rose Knudsen (interprétée par la nouvelle venue Johanne Louise Shmidt), qui se frotte tout de suite au caractère de cochon de Morck, mais accroche très bien à Assad. Quelques affaires éveillent l’intérêt du duo, des pistes pour des investigations à rouvrir. Mais Profanation va s’arrêter sur une en particulier, et d’une manière qui va bouleverser notre bourru mais tout de même brave Carl Morck. Alors qu’il s’échappe des festivités, il rencontre un homme apparemment au bord de la rupture nerveuse, ivre, bredouillant des paroles à propos d’une affaire non résolue. Le flic est évidemment interloqué, mais n’en tient pas spécialement compte et rentre chez lui, où son beau-fils est toujours réfugié depuis Miséricorde. D’ailleurs, le rapport entre Morck et son rejeton par ex-alliance prend ici une grosse importance, pas du tout par sa présence à l’écran mais côté symbolique, qui explosera dans l’ultime plan de Profanation. Le flic promet à l’ado de dîner avec lui le lendemain. Seulement, le soir même Morck reçoit une terrible nouvelle, qui va donc lancer l’enquête de Profanation. Et faire en sorte que la promesse soit non tenue…
Mikkel Norgaard, un réalisateur à surveiller de très près.
Car l’intrigue de Profanation va encore être accaparante pour notre duo, et spécialement pour Morck. On vous laissera évidemment découvrir le pourquoi du comment, mais si Miséricorde prenait déjà bien aux tripes, c’était avant tout grâce à son rythme, ses situations, son suspense dans un climax de haute volée. Dans Profanation, le rythme est beaucoup plus lent, posé, et ce sont les éléments de l’enquête qui se chargent de nous remuer de l’intérieur. C’est un choix à double-tranchant pour Profanation, prouvant au passage le courage de Mikkel Norgaard qui remet en cause sa vision du film précédent. Les personnages discutaient beaucoup debout dans Miséricorde, ils sont plus en position assise dans Profanation, que ce soit au bureau, à table ou en interrogatoire. Un choix de rythme évident, comme pour mieux laisser le spectateur s’imprégner des différentes données d’une affaire beaucoup plus complexe que la précédente. En même temps, quoi de plus normal quand on passe d’une course-contre-la-montre à la recherche du témoin central d’un meurtre particulièrement odieux ? Le problème est que la cadence de Profanation prend quand même un sacré coup, avec certaines longueurs dont ne souffraient pas Miséricorde, d’où leur évidence pour le spectateur.
Le rythme de Profanation est donc plus haché, du moins dans sa première partie. Le reste fonctionne bien dans celle-ci, la maîtrise du flashback est évidente et les différents montages, parallèles et alternés, marchent toujours aussi bien. On regrette peut-être quelques ellipses un peu forcées, mais rien de bien grave, loin de faire sortir le spectateur de Profanation. L’enquête en elle-même tâtonne plus, avance encore une fois grâce aux qualités d’observation dont fait preuve Assad. Le récit de Profanation progresse tant bien que mal, par à-coups, alors que des informations sont données aux spectateurs via le personnage de Kimmie Lassen (Danica Curcic) et son vécu. Et là, Profanation s’envole, devient captivant, en nous faisant vivre les déboires d’une femme délaissée par sa belle-famille alors qu’elle était ado. Placée en internat, elle s’y révèle petit à petit d’une violence extrême, dans un milieu aussi bourgeois que cruel, qui tue ou viole sans aucune hésitation. L’enquête de Profanation prend alors une dimension fascinante, en traitant de l’amour, de la déception, et se trouve tellement bien écrite que l’écho se fait jusque dans le personnage de Morck. Ce dernier prend à cœur cette affaire, trouve en Kimmie une raison de poursuivre son existence tant elle représente, d’un certain côté, une lueur d’espoir en la nature humaine. Cette gamine était furieuse, a pu participer à de bien vilaines choses, mais n’a-t-elle pas eu une prise de conscience lors du drame dont elle a été témoin ? Et sa punition, non seulement dans une séquence à la limite du soutenable mais aussi dans sa condition d’éternelle fugitive, n’a-t-elle pas déjà été assez forte ? Ce rapport, à distance puisque le duo de Profanation suit à la trace le témoin disparu depuis vingt longues années, réussit à nous émouvoir entre deux séquences bien violentes.
Car Profanation n’est pas un long fleuve tranquille. Plus dur que Miséricorde, Profanation est moins suffocant mais gagne en fureur. Les flashbacks deviennent de plus en plus âpres, et ce malgré une musique intelligemment utilisée en contre-emploi. Après avoir vu Profanation, vous ne regarderez plus jamais un simple ballon de basket de la même manière. Tout ça éprouve beaucoup, mais la description de cette jeunesse abandonnée à elle-même, ce problème hors du temps et des classes sociales, est peut-être un peu sous-exploitée dans Profanation. Les actes de Kimmie et de son petit ami d’alors, celui qui dans le présent est le richissime Ditlev Pram (Pilou Asbaek, vu dans Lucy ou Hijacking), sont suffisamment parlants mais peut-être pas assez approfondis. En dehors de la belle-mère de Kimmie, que Morck et Assad croisent rapidement, mais assez longtemps pour bien comprendre à quelle pourriture ils ont affaire, rien ne vient relever les actes insensés de cette poignée de gamins complètement livrés à eux-même. Ça marche à l’écran sans soucis, mais ça peut gêner le bilan final de Profanation.
On ne parlera pas du final de Profanation justement, mais on peut aborder plus longuement la seconde partie, et plus précisément le dernier tiers. Morck est tellement plein d’empathie envers Kimmie, qui la mérite tant elle n’est finalement qu’une de ces nombreuses âmes perdues dans une existence parfois difficile à supporter, qu’il décide d’avoir recours à des méthodes pas du tout légales. Lesquelles sont acceptées par un Assad un peu en retrait, après un petit temps d’hésitation. Là, le rythme s’accélère, et la forme de Profanation retrouve la fluidité de Miséricorde. Encore une fois, certaines séquences sont très difficiles, crues, mais toujours justifiées dans le récit. Et bon sang, que Miséricorde est bien mis en scène, toujours motivé par la seule envie de mettre en image l’action et non celle du beauty shot. Et quelle lumière, quelle direction artistique sombrement désespérée, quel plaisir pour les yeux. Les esthètes se régaleront autant que les amateurs de polar bien noir, avec cette deuxième partie de Profanation.
Au final, Profanation est une deuxième enquête du Département V certes plus heurtée, plus longue à démarrer, mais qui réserve assez de moments forts, et même d’instants plus poignants, pour être considérée comme une des œuvres parmi les plus importantes de ce début d’année 2015. Impossible de terminer cet humble article sans parler du casting de Profanation, encore une fois de grande qualité. Les acteurs déjà présents dans Miséricorde confirment, et les nouveaux-venus sont tout aussi bluffants, toujours dans le ton alors que l’intrigue, et la nature des mauvaises âmes qui l’habitent, auraient pu pousser certains au cabotinage. Heureusement le piège est évité, chacun sait occuper l’espace qui lui est propre, notamment l’excellent Pilou Asbaek, très convaincant dans son jeu tout en retenue. Mention à Danica Curcic, que le scénario de Profanation aurait pu transformer en femme badasse complètement hors-sujet, tant elle profite parfois de petites facilités d’écriture très pardonnables. Il n’en est rien tant elle s’en tire avec plus que les honneurs, et certains plans la rendent inoubliable, fusil en joue et le regard sombre.
Le site officiel de Profanation se trouve à cette adresse.
Retrouvez quelques petits extraits de Profanation sur Allociné.