Star Trek : Sans Limites

Après avoir été ressuscité et défiguré (violemment) par JJ Abrams, Star Trek revient avec cette fois-ci Justin Lin aux manettes, bien connu pour avoir réalisé plusieurs épisodes de la très cérébrale saga Fast and Furious. Un nouveau désastre à la Final Frontier ? Notre avis.

Star Trek : sans Abrams

C’est peu dire que la reprise de Star Trek par JJ Abrams a été douloureuse. De l’absurde reboot de 2009 à la catastrophe Into Darkness en 2013, le bonhomme a prouvé qu’il ne comprenait rien à la saga de Gene Roddenberry, et qu’il s’en fichait pas mal (il reconnaissait d’ailleurs être plutôt fan de Star Wars que de Star Trek, ce qui se ressentait particulièrement – et ça ne l’a pas empêché d’aller ensuite se moquer du monde avec son remake-reboot honteux de la saga aux Jedi). L’univers philosophique trekkien a laissé la place à de l’action décérébrée, les personnages sont devenus des caricatures, les frontières de l’inconnu ont disparu au profit de cadres bien terriens, et les scénarios étaient indignes d’un brouillon. Star Trek se résumait alors à des références de type fan-service, voire à des inspirations maladroites et ratées, quand ce n’était pas tout simplement du repompage/plagiat (La Colère de Khan s’en souvient). The Force Awakens montrera d’ailleurs que la méthode est bel et bien un plan de production, mais passons…

Abrams aura tout de même eu le mérite de remettre Star Trek sur le devant de la scène. Et si il y avait de quoi pleurer jusqu’à présent, l’annonce d’une nouvelle série pour 2017 permet tous les espoirs. On pardonnerait presque au réalisateur si ses erreurs donnaient finalement naissance à un digne héritier de Next Generation et consorts. En tout état de cause, son départ pour le troisième film (ou presque départ, puisqu’il est toujours présent à la production) était une bénédiction. L’arrivée d’un réalisateur connu essentiellement pour ses scènes d’action avec des voitures, beaucoup moins. D’autant que les trailers de Star Trek : Sans Limites annonçaient la couleur : de l’action, de l’over-the-top, et encore plus d’action. Toujours pas de Star Trek en vue.

Fast and Trekkie

L’entrée en matière de Star Trek : Sans Limites ne rassure d’ailleurs pas. L’ouverture est une scène gagesque ridicule, à la limite du cartoon, montrant de petites créatures attaquant Kirk façon gremlins. Bien sûr, Star Trek n’a jamais été dénué d’humour, et il y a là probablement un clin d’œil aux tribules, petites boules de poils ayant donné lieu à quelques épisodes cultes. Mais démarrer par cette séquence est clairement mal venu, l’ambiance qui s’installe d’emblée (et le ressenti qui l’accompagne) n’étant pas vraiment du plus bel effet. La suite n’est guère plus enthousiasmante, même si, enfin, l’aventure se déroule dans l’espace, loin de la terre. L’inconnu, objectif majeur de Star Trek, est enfin pris en compte. Cependant, l’action reste au cœur du film, et rapidement c’est à un combat spatial interminable qu’il faut se frotter, au nom du sacro-saint Grand Spectacle, et qu’importe si on ne voit pas très bien ce qui se passe. Et c’est long, bien trop long. Pire, on découvre alors que cette mouture trekkienne présente elle aussi un bête grand méchant, comme s’il fallait absolument mettre un antagoniste face à Kirk et son équipage (au lieu, disons, d’une idée, comme c’est plus généralement le cas dans la série). Après une demi-heure, Star Trek : Sans Limites se dirige déjà vers les gouffres explorés par Abrams.

Et puis… et puis il ne faudrait pas s’arrêter à ce début peu engageant. Car malgré ses défauts, le film de Justin Lin a des choses à offrir, et s’efforce même de se remettre sur des rails acceptables. Tout d’abord l’écriture dans sa globalité : cette fois, on sent que des efforts ont été faits côté scénario. On oublie les repompes grossières, et les personnages caricaturés, place à quelque chose d’original et un travail un peu plus sérieux. Non pas que l’ensemble soit véritablement renversant, mais il est honnête et bien fait. Ainsi les personnages sont bien plus crédibles et intéressants : Kirk reste intrépide et tête brûlée sur les bords, mais n’est plus le crétin sans cervelle des films précédents. La romance absurde et hollywoodienne entre Spock et Uhura est bien mieux traitée, de même que l’ensemble des relations entre les personnages (là où Into Darkness n’hésitait pas à balancer des scènes en pensant aux personnages du canon plutôt qu’aux siens…).

Un embryon trekkien

Justin Lin parvient en fait à réaliser un exploit avec Star Trek : Sans Limites : il reprend le matériau laissé par Abrams et s’en sert habilement pour alimenter son film, tout en en faisant quelque chose qui s’approche réellement de Star Trek. Si l’on est encore loin des questions philosophiques des épisodes classiques, un vrai thème s’invite ici : la Fédération des Planètes Unies signifie-t-elle quelque chose ? Cela a-t-il un sens de s’unir à tant de civilisations, ne sommes-nous pas plus forts seuls ? Finalement, travailler ensemble est-il un avantage ? On voit évidemment que la question est triviale, et on regrette que les scénaristes (Simon Pegg et Doug Jung) n’aient pas été plus audacieux. Mais si cela ne représente qu’un petit pas, c’est un pas essentiel, qui a déjà le mérite de rendre une partie de son âme à Star Trek. De plus, Justin Lin construit en réalité l’ensemble du film autour de ce thème : la séparation de l’équipage en binômes, menacés et en détresse, présente naturellement des groupes voués à l’entraide pour survivre. Spock et Bones, Kirk et Chekov, Scotty et la nouvelle venue Jaylah (personnage très sympathique et réussi), chacun doit collaborer avec évidemment pour objectif de se retrouver tous, pour se retrouver plus forts. La réalisation insiste à de nombreuses reprises sur la cohésion des protagonistes, met en scène l’entraide en tant que nécessité. Finalement, le scénario comme la mise en scène sont constamment des arguments en faveur de la thèse de l’union. Voilà qui donne à l’ensemble une cohérence qui fait plaisir, et un ton tout à fait compatible avec l’optimisme trekkien. Même le grand méchant prend (tardivement) un peu d’épaisseur pour servir le propos, bien que cela reste léger. Il n’empêche : on partait de loin, et les progrès sont stupéfiants.

Blockbuster sans limites

Au-delà des efforts d’écriture et de ton, Star Trek : Sans Limites demeure un divertissement et le spectacle est donc de mise. Justin Lin s’en acquitte fort bien : certains plans sont véritablement à couper le souffle, et l’esthétique globale est réussie (la station spatiale Yorktown, qui évoque la Citadelle de Mass Effect en version augmentée, est sublime). On déplorera une caméra trop tremblante par moment, mais de manière générale l’action est bien filmée. Mieux, le réalisateur impose un savoir-faire certain dans l’efficacité de certaines scènes, qui font mouche même quand elles sont attendues. Il parvient également à réutiliser certains éléments des films précédents pour en faire des séquences réellement marquantes : Kirk pilotant une moto ou une scène grandiose utilisant la musique (le résultat est bluffant, et pourtant le concept était casse-gueule). Lin parvient ainsi très habilement à transformer des éléments qui étaient plus ou moins gratuits dans le film de 2009, pour en faire des scènes scénaristiquement légitimes. Chapeau.

On n’y croyait pas, échaudés par deux films navrants et des trailers inquiétantes. Pourtant, Star Trek : Sans Limites est enfin un film réussi, tant du côté trekkien (même si on en attend plus) que du côté blockbuster. Comme quoi, quand on fait l’effort d’écrire…

Star Trek : Sans Limites
Si l'on est encore assez loin de la qualité et des ambitions de la série, force est de reconnaître que les progrès par rapport aux derniers films sont remarquables. Star Trek : Sans Limites parvient à redresser la barre, et nous laisse ravis et pleins d'espoirs pour la suite.
Scénario
Acteurs
Mise en scène
Images et son
On aime bien
  • Enfin un travail sur l'écriture (personnages comme scénario), même si on en attend plus
  • Un ton qui se rapproche du principe de Star Trek
  • Une efficacité redoutable pour le grand spectacle
On aime moins
  • Le début du film, maladroit
  • Encore bien trop léger sur la partie philosophique propre à Star Trek
3.9L'avis
Note des lecteurs: (3 Votes)