This War Of Mine nous plonge dans un passé pas si lointain, au cœur d’une région pas si lointaine. Rappelons-nous, 1992, le siège de Sarajevo n’en finit plus et devient le plus long de l’histoire moderne. Le jeu déplace la situation dans une ville appelée « Pogoren », et ne semble pas faire choix d’une période bien précise, mais le parallèle avec les guerres de Yougoslavie est évident. Un petit groupe essaie, tant bien que mal, de survivre aux horreurs se déroulant sous nos yeux impuissants. Nous sommes la main du destin qui fera le devenir de ces êtres humains au bord du précipice.
This War Of Mine était un projet sous observation d’un public assez pointu, que d’aucuns qualifient de « hardcore gamer ». Ce soft indépendant, développé par d’anciens de chez CD Projekt (les énormes The Witcher, c’est eux) qui ont formé le 11 Bits Studios, se donnait comme objectif de créer un jeu sur la guerre, et non un jeu de guerre. La nuance était importante, et très mise en avant dans les différents trailers qui ont fait monter la sauce avant la sortie de l’œuvre. Malines, ces bandes-annonce couplaient des images filmées d’un quotidien désormais calme, et des phases de jeu très sombres, tout en tenant un discours en forme d’avertissement sur l’épouvante d’un conflit armé et leurs répercussions irréversibles. This War Of Mine s’annonçait comme une vision différente du vécu de la guerre.
This War Of Mine est un survival tactique et urbain, qui permet au joueur de gérer le quotidien terrible de civils, éternelles victimes « collatérales » de plans globaux prenant diverses formes. Ici, pas de jugements de valeurs, les Hommes sont mis à mal, pris en tenailles entre les fous furieux, qu’ils se réclament de la démocratie ou du nationalisme. Donc ceux qui voudraient un discours bien partisan et bas du front à la Call Of Duty en seront pour leur frais, ils sont prévenus. Ici, il faut survivre à la guerre et non jouer à « pan-pan headshot », et se sortir d’une telle catastrophe n’est pas une sinécure qui se résume à cavaler avec un gilet pare-balle tout en défouraillant un ennemi qui respawn à tout va. Il faut s’organiser, tout en gérant les physiques et les états d’esprit. This War Of Mine propose au joueur cette expérience traumatisante.
Dans This War Of Mine, une journée se divise en deux parties. La première couvre la journée. Votre petit groupe, qui vous est imposé par le jeu, tirant au sort les personnages et leurs capacités, doit être la cible de vos soins, histoire de les protéger de toutes sortes de dangers. La faim, le froid, le moral, les blessures, les maladies, les potentielles crises sont nombreuses et peuvent avoir des répercussions dramatiques selon votre manière de les gérer. La faim demande évidemment de la nourriture, la maladie se soignera par des médicaments selon leur qualité de fabrication, les blessures disparaîtront avec des bandages et du repos, si elles ne sont pas trop profondes tout du moins. Mais ceci n’est qu’une infime partie de ce qui se passe dans une journée. En gros, cette partie de This War Of Mine peut se comparer à un The Sims couplé avec les codes du survival à la Guide De Survie En Territoire Zombie. Alors, le joueur découvrira l’importance primordiale d’un atelier au sein de son abri. Bien vite, on se rend compte que la qualité du sommeil est importante pour le moral, et se contenter du sol n’est pas recommandé pour s’éviter des crises évitables. Alors, on se doit de construire des couches, rudimentaires mais essentielles. On peut stocker de la nourriture, mais le fait de la cuire, la préparer, met du baume au cœur et demeure plus sain et plus nourrissant, comparé à des conserves vieilles et d’aspect douteux. Alors, vous pourrez doter votre abri de plaques chauffantes. Pareil pour les médicaments, qu’on peut amasser, mais aussi confectionner par nous-même par le biais d’un petit établi. Une radio pourra servir à plein choses, comme apprendre les denrées recherchées en priorité par le marché noir qui se développe. Ou encore, on pourra apprendre que la ville devient la cible de pilleurs violents, donc commencer à construire des barricades sommaires mais salvatrices. Dans This War Of Mine, la gestion du moral de notre groupe est aussi d’une grande importance. S’assoir sur un fauteuil construit par nos soins et lire un livre, ou encore fumer une clope roulée grâce à l’atelier dédié, tout ceci est vital pour ne pas tomber en dépression et risquer, à long terme, un suicide qui sera vécu à sa juste valeur : un drame qui aura des répercussions énormes sur le reste du groupe. Des évènements aléatoires viendront rendre dynamique cette première partie, comme la visite d’un marchand, des demandes d’aides diverses, ou encore l’arrivée de nouveaux survivants. Ces deux dernières situations sont à gérer au bon vouloir du joueur. Vous ne voulez pas apporter votre soutien à une famille qui souhaite se barricader, parce que vous ne pouvez pas vous séparer quelque temps de l’un des personnages de votre groupe ? Libre à vous de refuser. A votre porte se présente un vieil homme, très calé en maths mais vous ne pouvez assurer ses repas, et un mort de faim n’est pas vraiment ce que vous souhaitez pour installer l’ambiance la moins glauque possible ? Vous pouvez lui tourner le dos, le laissant seul face à son destin. On pourra regretter assez fortement que ces événements aléatoires soient assez limités en nombre, tout en se répétant beaucoup trop. Rien de bien grave pour l’immersion, mais on aurait aimé que This War Of Mine propose plus de contenu à ce niveau.
Après la gestion, This War Of Mine nous demande de collecter les éléments essentiels à la survie. C’est ainsi que s’enclenche la deuxième partie, qui prend place au coeur de la nuit. Il vous faudra donner des tâches à chacune des composantes de votre groupe. Choisir un collecteur, décider de qui devra dormir ou monter la garde en vue de repousser de potentiels intrus. Évidemment, on choisira un personnage pouvant embarquer le plus de matériaux possible, via un sac aux emplacements limités en fonction des capacités de chacun. Alors, la carte de la ville dévastée apparaît, et le joueur devra choisir la cible à visiter. Attention à bien lire la description des adresses, car si certaines sont désertes, d’autres ne le sont pas et vous devrez vous préparer en conséquence. Dans This War Of Mine, le risque est aussi simple que brutal, rien ne vous sera pardonné. Vous vous faîtes repérer par un pilleur armé ? Priez pour qu’il soit amical car si le contraire est vrai vous ne survivrez pas cinq secondes, même en courant avec espoir. Les balles sont aussi rares qu’assassines, on s’en rend très vite compte, et perdre un personnage est évidemment définitif. Les phases de visites sont donc de purs moments de tension, où la discrétion est de mise. Attention à ne pas cavaler comme un sanglier bruyant sur un parquet en bois, et n’oubliez pas de regarder par le trou de la serrure avant d’ouvrir une porte. La récolte ne peut, évidemment, valoir que si le récolteur revient en un seul morceau. Dans This War Of Mine, le magot récupéré n’a rien d’un loot luxueux. Bouts de bois, rouages, de l’eau, et d’autres matières indispensables à la confection des meubles, pour mettre en marche la chaudière ou, par exemple, pour distiller de l’alcool afin de l’échanger. Tomber sur des médicaments, ou de la nourriture, est vécu comme une victoire. Si on débute avec une poignée d’endroits à explorer disponibles, ceux-ci se multiplient assez vite et avec eux les possibilités. Par exemple, aller visiter l’hôpital de la ville est l’occasion de troquer avec les derniers médecins de la ville. Prenez garde, car le mental de vos personnages est aussi à gérer dans cette deuxième phase de This War Of Mine. Aller voler dans une maison habitée par un couple de personnes âgées vous travaillera l’esprit : ces personnes avaient autant besoin que vous de la boîte de conserve que vous avez subtilisé. Évidemment, les choses évoluent et si le groupe est dans l’impasse il passera outre ce genre de choix cornélien. Petit regret, que cet acte soit de suite connu par les autres personnages du groupe, qui ne manqueront pas de rajouter la culpabilité à la tristesse du voleur. Pas très immersif, le mieux aurait été de laisser le choix au collecteur de se confier ou non sur ses actes, mais rien de bien grave : This War Of Mine propose tellement de variantes que l’immersion reste globalement préservée.
Le cycle de This War Of Mine peut alors se répéter. De retour à l’abri, le collecteur peut vider son sac. On prie pour qu’aucun pilleur ne soit venu faire des siennes, pouvant voler ou pire, blesser une des personnes du groupe. Alors, la journée de gestion recommence, avec ses innombrables soucis à écarter et objectifs à tenir. La durée de vie est potentiellement énorme, à compter en dizaines d’heures. Même en venant à bout du cycle, en survivant au conflit, on peut recommencer avec l’envie de survivre via un groupe formé différemment, afin de relever un nouveau challenge. Mais avant de réussir à se sortir de l’enfer, soyez prévenus : vous allez souffrir. This War Of Mine ne propose pas de tutoriel, ne vous prend pas par la main, et vous devrez découvrir toutes ses subtilités par vous même. La première partie a donc toutes les chances d’être carrément catastrophique, se terminant par un game over qu’on peut qualifier d’éprouvant. Car le jeu décide, à cet instant, de faire toute la lumière sur vos actes et les événements qui ont parsemé votre bien harassante aventure. On y revit nos choix, et on nous expose leurs répercussions de manières plus profondes. Ça peut donner de véritables moments d’émotions, où les larmes sont difficilement retenues. This War Of Mine ne fait pas de la guerre un moment épique, ne la rend jamais fun ni héroïque, mais nous rappelle à quel point elle tue autant les corps que les âmes.
This War Of Mine n’aurait pas réussi à autant interpeler sans une patte artistique bien travaillée. Techniquement c’est tout à fait regardable, sans non plus nous noyer sous des effets superflus, et les PC de configuration modeste pourront aisément faire tourner le soft. Le style crayonné apporte une personnalité et appuie juste assez l’aspect noir du quotidien sans en faire des tonnes pour dramatiser encore plus le jeu. On conseillera l’usage d’un bon casque, histoire de bien profiter du travail effectué sur la partie sonore. Le quotidien sous les bombes, alors qu’au loin se déchaînent les mitraillettes et aboient les chiens errants, est une expérience impressionnante. Signalons les compositions de This War Of Mine, variées et accompagnant parfaitement l’action sans jamais donner au jeu l’aspect, désormais très redondant, « badass » qu’on voit un peu partout depuis le succès mondial de Gears Of War 2. On retiendra particulièrement le morceau du super-marché, très fort.
On ressort de This War Of Mine avec un sentiment grave. Ce jeu était souhaitable afin de remettre certaines choses à plat dans le paysage vidéo-ludique, qui a tendance à devenir le fracas ultra-violent que certains prévoyaient voilà quelques années. De même, le côté rude, qui donne un très faible aperçu de ce que peut être la souffrance de se retrouver sous les feux d’armées aux mains de politiques cinglés, est parfait pour se poser certaines questions, et ne pas encourager trop vite certains va-t-en-guerre qui sévissent actuellement. La guerre côté civil, ce n’est pas défendre une idéologie, mais voir sa vie être mise en danger, et perdre beaucoup de son existence, pour un projet nous échappant totalement. Alors, certaines voix se lèvent déjà afin de dénoncer le fait de jouer avec les malheurs de la guerre. On leur demandera où sont-ils quand ils déversent des litres de sang dans leur dernier Battlefield ? This War Of Mine est à la fois ludiquement estimable, et fondamentalement nécessaire.