Ma fille folie raconte le projet qui vient un beau jour à l’esprit de Maddalenina, une femme un peu simplette à l’aube de ses cinquante ans.
En janvier, au début du cinquantième anniversaire de sa vie, Maddalenina jugea qu’était venu le temps de faire son premier enfant. Elle consacra toute une nuit, plus trois heures après une aube pas particulièrement flambante, à réfléchir sur qui devrait être appelé à la féconder. A sept heures du matin, elle n’avait toujours pas choisi, mais elle eut une illumination quand les aiguilles de son horloge à coucou se placèrent toutes les deux sur le chiffre neuf, qui lui avait toujours plu. Quand sonna moins le quart, la petite porte éjecta l’oiseau empaillé qui brailla trois noms puis, vu qu’il avait fait du rab, se reposa jusqu’à la demie, escamotant l’heure. (Ma fille folie, p.11)
Voilà le livre lancé et nous allons suivre Maddalenina dans son projet étonnant de faire un enfant avec trois maris d’autant plus que… Mais non, je ne vais pas vous révéler le fin mot de l’histoire sans vous avoir fait goûter la substantifique moelle de ce roman fort joliment troussé.
Beaucoup d’éléments du conte opèrent dans Ma fille folie. Tout d’abord l’irrationalité du projet de Maddalenina, à savoir comment faire un enfant avec trois maris qu’elle ne fera que croiser dans le roman, ensuite l’envie de trouver le prince charmant, ou plutôt les princes charmants qui assureront à sa fille (elle sait dès le début de sa grossesse que ce sera une fille) un avenir radieux et même miraculeux car l’un d’entre eux vit dans une famille où tout le monde, descendants et proches, meurent le jour même de leur cent ans, enfin le dialogue permanent qu’elle tient avec Maria Carta, une guérisseuse dont on ne sait trop si elle vit toujours ou si elle est morte, revenant pour l’occasion parler avec Maddalenina et lui prodiguer des conseils et avec quel style:
Je n’ai pas réussi à rester la même. On change dans l’apparence, on se prépare à ne plus avoir de beauté, à retourner à la terre, à être oubliés. Combien ont oublié le goût de mes prunes? Tous. Moi-même j’ai du mal à m’en inventer le souvenir. Mais peut-être que c’est un goût de pêche. Et pourtant elles ont existé, aussi rouges que des langues, aussi grosses que des poings. Moi qui dansais, qui s’en souvient? Et celui qui m’a prise dans l’herbe, tout excité, depuis combien de temps est-il écrasé par une croix? (Ma fille folie, p.20)
Maddalenina va tout de même tomber enceinte sans avoir rencontré aucun des trois futurs pères de sa fille. Non c’est quelque chose d’autre qui va l’enfanter et la symbolique est forte car religieuse.
Maddalenina est pieuse, va à la messe, se confesse régulièrement à Don Palmerio, le curé du village. Elle vit en effet dans un village de Sardaigne où la religiosité est forte et prégnante dans chaque moment de la vie. Aussi n’est-elle pas du tout étonnée par la façon dont va s’opérer sa « fécondation ». Sa frêle conscience ne va point du tout s’en émouvoir et elle va poursuivre son but sans s’interroger davantage même si certaines paroles du curé du village l’ont quelque peu ébranlée:
Une fois j’ai entendu un ordre de don Palmerio. Aimez-vous et multipliez-vous. Mais après don Palmerio criait, Ne forniquez pas!, moi j’ai pas bien compris comment je dois faire pour être une table de multiplication. Qu’est-ce que c’est que ce mot forniquer? C’est comme ça que moi aussi je vais avoir un bébé, en forniquerant? Qu’est-ce qu’il y a de contraire entre aimez-vous et forniquez? Ces curés, ils savent pas les expliquer les choses, ils s’énervent avec leurs mains toutes tremblantes. (Ma fille folie, p.15)
Mais Maddalenina a déjà trouvé la solution pour faire sa fille. Elle va utiliser pour ce faire le cierge qu’elle avait acheté vingt ans auparavant et qu’elle avait laissé choir dans son armoire. Et c’est lui qui va non seulement l’enfanter avec amour mais aussi se mettre à décrire ses moments de doute sur sa relation avec sa propriétaire.
Depuis le début de leur relation, il arrivait que certains matins, elle ouvre les portes de l’armoire pour lui dire, Bonjour mon amour, sans même le toucher et déjà elle les refermait pour s’examiner dans la glace, avant de filer de la maison. (Ma fille folie,p.95)
Et n’oublions pas non plus la Trinité des pères qu’elle a choisie pour sa fille : le premier a été émasculé par un taureau, le second est homosexuel et le troisième n’a que quinze ans. Ma fille folie n’épargne pas moins la gent masculine bousculée dans son image traditionnelle de virilité, surtout en Italie!
Si les hommes et l’Eglise n’ont pas le beau rôle dans ce roman, Ma fille folie sait nous faire chavirer par le dialogue étrange et ténébreux, en apparence, entre ces deux femmes, Maddalenina, femme pauvre, à l’esprit dérangé et Maria Carta que n’a pas non plus épargné la vie et qui se définit elle-même avec une grande tristesse comme une sorcière d’os et de parapluies.
Et alors? De toute façon, on finit par se briser les os, à la fin, et on me les apporte à moi, Maria Carta, sorcière d’os et de parapluies. Pour avoir au corps une douleur en moins, même légère, par rapport à d’autres incurables. Pauvres moribonds ! Si au moins dans ce jeu, la possibilité était donnée, à minuit, de pouvoir revivre la journée; un autre choix pour ce qui ne nous a pas plu. La vie devrait nous en donner deux, des possibilités. La première juste pour apprendre et l’autre pour exister en comprenant. La mort, on y arrive certains d’avoir raté presque tout, et il n’y a personne à qui demander pardon, même pas à nous-mêmes, ou à supplier. Maintenant j’ai compris, je ne me tromperais plus, si vous me laissiez réessayer…(Ma fille folie,p. 19)
Le roman offre à cette occasion deux superbes portraits de femme sans apprêts qui nous livrent avec une cruauté désarmante des réflexions sur les difficultés à vivre, surtout quand la misère sévit, quand l’univers tout entier paraît s’être ligué pour que s’acharne sur elles la dureté de l’existence, et surtout quand l’Eglise elle-même semble désemparée pour les aider.
Ma fille folie est une superbe surprise que sait réserver la littérature à ses fervents contempteurs. Elle vous mène dans les recoins les plus inattendus de l’existence, à la suite des désirs les plus excentriques et incohérents de ses personnages, elle vous emporte d’un voile léger et ondoyant dans lequel vous vous laissez aller, l’imaginaire grand ouvert. Mais elle sait aussi offrir sous les aspects du conte, un portrait sans concession de l’Italie passée. Une belle réussite. Bravo, Bravo!
Une autre critique enthousiaste sur Ma fille folie sur Babelio.