Marta Rojals est une jeune romancière qui a sensiblement le même âge que son héroïne, Anna (38 ans). L’autre a connu un véritable succès en Catalogne et le voici traduit en français chez une précieuse éditrice : Jacqueline Chambon. Avec la crise économique espagnole comme arrière-fond, ce roman retrace six mois de la vie d’un couple de trentenaires qui va devoir faire face à des changements professionnels mais aussi sentimentaux. Une tranche de vie que notre critique vous invite à découvrir.
Anna a un diplôme de physique mais elle travaille dans la création de logiciels pour Cati, une amie. Elle est mariée à Nel, un journaliste qui se retrouve licencié du jour au lendemain. L’autre décrit fort bien les changements qu’induit ce licenciement : dépenses en baisse, recherche d’un futur emploi, secret gardé auprès de la famille, désir en hausse chez Nel.
La cohabitation calme l’appétit des corps, mais elle ne les dispense pas de remplir le frigo. Sous le même toit, la chaleur de l’amour se calme, mais il faut allumer le chauffage. Aujourd’hui, Anna calcule si le mois prochain, quand les radiateurs seront éteints, la facture diminuera de tant ou de tant.L’autre, p.18
A cette attention nouvelle au dépenses du quotidien va s’ajouter chez Anna la rencontre d’un jeune garçon, Teo, à peine 20 ans, avec qui elle va vivre une passion sexuelle folle. Ce bouleversement général de sa vie est finement analysée par Marta Rojals qui se penche avec candeur et tendresse sur cette jeune femme qui a envie de vivre à fond tout ce qui lui arrive, vu que le lendemain est devenu très incertain. Évidemment, elle se pose des questions sur cette relation nouvelle, et pour cela l’auteur utilise les arcanes des réseaux sociaux et autres messageries en restituant bien la brièveté des messages et leurs résonances chez ceux qui les reçoivent, notamment dans sa relation avec Nel.
Quand Nel fut en elle, elle dut se mordre les lèvres en y plantant ses dents pour ne pas crier le nom de Teo. Elle rejeta les mains loin du dos imprécis, du duvet des fesses. Et elle s’accrocha aux draps satinés : elle ne voulait pas contredire l’autre peau, la peau nouvelle que sa tête lui faisait sentir dans une dimension inédite. La jouissance de la suggestion, n’est ce pas aussi de la jouissance?L’autre, p. 119
Une vitalité stylistique
L’autre intérêt de ce roman réside dans son style frais et direct qui ne s’encombre pas de circonvolutions pour évoquer la sexualité torride qu’Anna vit avec ce jeune garçon, ni pour trouver des formules qui dépeignent en quelques mots la situation vécue par les différents personnages de L’autre.
Dans les moments obscurs, Anna en était arrivée à rêver du jour où son fornicateur à perpétuité serait atteint, benoîtement, d’un dysfonctionnement érectile et où ils pourraient se promener sur la plage en se tenant main dans la main comme pour une publicité pour assurance vie.L’autre, p. 155
Habile à brosser les sentiments et les sensations corporelles les plus intimes dans un style concis et ramassé, Marta Rojals signe ici un roman très agréable à lire et parcouru par une énigme qui court tout au long de L’autre : comment tout cela va t-il se terminer? Je vous laisse le soin de le deviner en lisant cet étonnant roman qui n’est pas sans rappeler, dans sa soif de vivre sans en omettre les difficultés et les secrets cachés, celui de Milena Busquets, Ça aussi ça passera, dont nous avons fait la critique ici.
Pour un autre avis sur L’autre: http://www.llull.cat/offices/paris/noticies_detall.cfm?id=33135&url=%C2%AB-l%E2%80%99autre-%C2%BB-de-marta-rojals-en-librairie-le-2-mars-.html