Le prix Nobel de littérature Nadine Gordimer nous a quittés il y a tout juste un an de cela. Témoin de la difficile histoire de l’Afrique du Sud du XXème siècle, elle laisse derrière elle pas moins de 15 romans et 200 nouvelles. Fille de Burger, sorti initialement en 1979 paraît aux éditions Points. Verdict ?
Dans Fille De Burger, tout commence au début des années 20 en Afrique du Sud appliquant alors l’Apartheid. Lionel Burger est un activiste Afrikaner qui a choisi de dédier sa vie à la médecine mais surtout à la lutte contre le régime ségrégationniste. Il vit avec sa femme, elle aussi fervente militante, et leurs deux enfants. Parmi eux se trouve Rosa qui, à la mort de son frère, va assumer tout le poids du militantisme de ses parents : sa mère puis son père seront arrêtés durant son adolescence, et décéderont alors qu’elle n’a que 20 ans. Devenue adulte elle va se rendre compte qu’être la fille de son père n’est pas aussi simple pour elle que pour la plupart des personnes. Rosa va se lancer dans une ambitieuse quête : déterminer si elle peut vivre sa vie librement avec le poids d’un héritage aussi prestigieux qu’encombrant…
Fille De Burger ainsi que le personnage de Lionel Burger sont fortement inspirés du célèbre activiste anti-apartheid Bram Fisher. Cet avocat afrikaner a effet été très médiatisé lors du procès de Rivonia durant lequel il a été l’un des défenseurs de Nelson Mandela. Emprisonné pour soupçon d’appartenance au Parti Communiste Sud-Africain (alors illégal), il est condamné à la prison à vie mais ne reniera jamais son engagement partisan. C’est donc sur cette figure forte que Nadine Gordimer se base pour écrire Fille De Burger qui, par moments, relève quasiment du document historique. En effet, le début de l’histoire et surtout les détails du procès de Burger sont directement tirés de coupures de journaux de l’époque, ce qui donne une sensation de vrai, de réelle plongée au cœur de cette époque pleine de violence et d’injustice. Ce choix d’écriture est coutumier dans l’œuvre de Nadine Gordimer, et il est appréciable lorsqu’il s’agit d’évoquer des passages forts de l’Histoire. Pour autant ne nous y trompons pas : Fille de Burger ne s’approfondit pas sur le personnage de Lionel ni précisément sur la lutte anti-apartheid mais bel et bien sur Rosa, la fille de.
La vraie question que va développer Fille De Burger est celle (difficile) de l’héritage non pas financier mais du combat. Rosa Burger, en tant que fille de deux militants non seulement très appréciés mais surtout reconnus par leurs pairs, n’a pas de choix et doit porter ce poids sur ces épaules. En quoi avoir des parents célèbres peut-il être un fardeau ? Parce que ce que l’on attend de leurs enfants c’est qu’ils soient « à la hauteur » des réussites et de l’engagement de leurs parents. Le père de Rosa est médecin ? Elle se tourne vers une carrière médicale sans forcément l’avoir choisie. Ils vivaient dans une maison ouverte à tous ? Elle fera de même pendant des années. Les actes de ses parents la poursuivent inconsciemment par ses « choix » de vie pas si choisis mais également dans son quotidien : Rosa n’a pas droit à un passeport, ne peut quitter le pays même si, sans trop spoiler, elle y parviendra sous conditions. C’est lorsqu’elle se rend compte de ce que les personnes (activistes ou non) attendent d’elle que Rosa prend conscience de la lourdeur du passé de ses parents. Commence alors un voyage (au sens propre comme au figuré) pendant lequel elle va essayer de se définir, de trouver ce qu’elle veut en tant que personne et de s’émanciper de son passé.
Enfin le dernier point soulevé par Fille De Burger est la question du moyen de lutte. Les parents de Rosa sont des Marxistes convaincus qui n’ont pas vu les ravages que cela a causé en URSS. Ayant cette vision, Rosa ne veut pas tomber dans le dogmatisme et lutter pour la mise en place d’une idéologie qui fait autant de mal (même si elle-même est physiquement loin de tout cela). Au-delà de l’identité et de la volonté de poursuivre (ou non) la lutte familiale, la question se pose des moyens de lutte qui se modulent au fil de l’histoire, se transforment et surtout s’adaptent. Fille de Burger est un témoignage d’une époque fascinante en termes de luttes. Que l’on connaisse quelque peu l’Afrique du Sud de l’apartheid ou non, ce roman contient des éléments historiques très intéressants. Malgré cela, il peut être difficile de se plonger pleinement dans le voyage de Rosa tant les premiers chapitres sont peu accrocheurs et parfois un peu brouillon. Il faut s’y reprendre à plusieurs fois pour bien comprendre ce que Nadine Gordimer veut nous faire passer. Néanmoins, une fois cette barrière franchie, Fille De Burger prend son envol et captive l’attention de son lecteur.
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