Meursault, contre-enquête – Kamel Daoud

Critique de Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud. L’envers de L’étranger.

Meursault, contre-enquête a dès sa parution excité le petit monde littéraire hexagonal. S’attaquer à Camus, Prix Nobel, et à un de ses meilleurs romans, L’étranger, pour en faire le contrepoint, ne manquait ni de culot, ni de panache, et ce pour un premier roman puisque Kamel Daoud n’avait publié qu’un recueil de récits. Les critiques s’extasièrent, les jurys hésitèrent pour lui attribuer le prix Goncourt, il resta dans le dernier carré puis vint la récompense avec le prix Goncourt…du premier roman. Bref, des critiques unanimes, des lecteurs enthousiastes…alors d’où vient ce sentiment de lassitude et d’ennui qui m’a poursuivi d’un bout à l’autre du roman?

L’arabe a un prénom: Moussa

Meursault, contre-enquête a choisi dès le début de se faire le miroir de L’étranger de Camus : au « Aujourd’hui, maman est morte » Kamel Daoud oppose « Aujourd’hui, M’ma est encore vivante ». Le contexte et la méthode sont posés. Le narrateur, Haroun, le propre frère de Moussa, celui que Meursault abat sur la plage, rencontre un jeune étudiant qui prépare une thèse sur le livre de Camus et il va lui raconter son histoire et celle de son frère Moussa, dont le deuil continue de marquer sa vie et celle de sa vieille mère M’ma qui l’étouffe dans son giron.

Je te l’ai déjà dit, le corps de Moussa ne fut jamais retrouvé. Ma mère, par conséquent, m’imposa un strict devoir de réincarnation. Elle me fit ainsi porter, dès que je fus un peu plus costaud, et même s’ils m’étaient trop grands, les habits du défunt…et ce jusqu’à l’usure. (Meursault, contre-enquête, p.51)

C’est cet homme qui va raconter l’après-meurtre, le long calvaire de cette famille, victime en fait d’un assassinat romanesque.

Le double de Meursault, le colon

Bien entendu, Meursault, contre-enquête réinvestit bon nombre de thèmes camusiens pour les agrémenter au sein de cette famille algérienne, qui a servi les Larquais, une famille de colons, parti sans demander son reste un jour de l’année 1962. Kamel Daoud invite le lecteur à passer de l’autre côté du miroir, de l’autre côté du rapport colonial, du côté de celui que les récits coloniaux ont longtemps ignoré, l’autre, le colonisé. L’autre est d’ailleurs le titre donné à L’étranger dans Meursault, contre-enquête. Habilement construit sur des références littéraires et reprenant en un double presque parfait les différentes étapes de la narration du roman de Camus, le récit mêle souvenirs de la période d’avant 1962 et celle d’aujourd’hui. Périodes dans lesquelles le narrateur peine à trouver son identité, noyé dans le deuil de son frère et le pouvoir intrusif de sa mère et la société actuelle dans laquelle il refuse de se laisser conduire par un Dieu.

Le roman manque singulièrement de souffle

Meursault, contre-enquête ne parvient pas jamais à s’échapper de la complainte dans laquelle nous enferment l’auteur et le narrateur. Nous faisant passer par tous les épisodes de L’étranger, y compris le meurtre, le lecteur poursuit son chemin sans aucun espoir que l’enquête avance, qu’elle trouve un ressort narratif qui la sorte de cette élégie de Moussa, du meurtre commis par un personnage de roman, de l’influence même de ce livre. Le style aurait pu, sans doute, donner ce souffle au roman mais celui de Daoud reste prisonnier du défi qu’il s’était lancé. Alors on attend quelque rebondissement, quelque liberté, mais le roman s’achève enfin dans un grand regret. L’histoire littéraire s’en souviendra uniquement en référence à Camus. Et puis, sur un sujet proche, lisez plutôt Un faux pas dans vie d’Emma Picard de Mathieu Benezet, le style a du souffle et l’histoire nous emporte.

Meursault, contre-enquête - Kamel Daoud
Meursault, contre-enquête raconte la vie de Moussa, l'arabe tué dans l'Etranger de Camus.
Style
Histoire
Personnages
On aime bien
  • Le projet initial.
On aime moins
  • Sa réalisation.
  • La répétition de certains thèmes.
  • L'ennui qui gagne...
2.1L'avis
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