Petros Markaris – Pain, Éducation, Liberté

Critique du roman Pain, Éducation, Liberté, écrit par Petros Markaris. Notre avis sur le dernier acte de la Trilogie de la Crise.

Pain, Éducation, Liberté, c’est le dernier roman de la Trilogie de la Crise (aussi connue sous le nom de Trilogie du Jugement), trois romans policiers écrits par Petros Markaris sur fond d’ambiance économique catastrophique. L’auteur grec, qui fut scénariste de la Palme d’or L’Éternité et un jour (réalisé par Theo Angelopoulos, en 1998), débuta, en fin de millénaire, une saga polar qui a pour point commun un personnage : Kostas Charitos. La Trilogie, démarrée avec l’excellent Liquidations à la grecque (Prix du polar européen 2013), continuée avec Le Justicier d’Athènes, prend donc fin avec ce Pain, Éducation, Liberté, écrit en 2012 et ressorti en Mars 2015 chez notre partenaire Points.

J’ai mal à ma Grèce

Pain, Éducation, Liberté prend place en 2014, dans une Grèce que Petros Markaris imagine sortie de l’Euro. Avec le retour au Drachme, la situation du peuple ne change pas : la survie quotidienne est de plus en plus difficile, les citoyens s’appauvrissent toujours plus, et les immigrés deviennent une cible pour l’extrême droite. C’est dans cette ambiance désastreuse, et alors que le gouvernement en place vient de démissionner, qu’un meurtre est commis. La victime était l’un des leaders de la génération Polytechnique, des étudiants qui se sont rebellés contre la junte militaire. Le commissaire Kostas Charitos, flic aussi désabusé que la foule grecque, s’empare de l’affaire. L’enquête piétine quand un deuxième assassinat cible, une nouvelle fois, un ancien de Polytechnique. Le mode opératoire semble identique, mais surtout les deux cadavres sont retrouvés avec, pour chacun, une revendication rappelant le passé de ces activistes : leur slogan « Pain, Éducation, Liberté ». Charitos, qui vient d’apprendre que l’État ne paiera pas ses trois prochains mois de salaire, va devoir tout faire pour trouver un mobile…

Le polar comme toile de fond

Pain, Éducation, Liberté est un polar, aussi intéressant que son titre est éloquent. Le lecteur habitué aux codes du genre doit justement laisser ces derniers au vestiaires, du moins pour un moment. Celui de l’ouverture, où l’on suit Kostas Charitos, dans le quotidien effarant d’une Grèce au bord (mais alors bien au bord) d’une rupture totale. La description faite par Petros Markaris est exemplaire, et répond à énormément de questions qu’on est en droit de se poser. Dont la plus entêtante : mais comment font les grecs pour supporter pareille situation, pour ne pas se révolter violemment ? La solution est simple, elle passe par une solidarité naturelle chez ce peuple, qui réussit à faire le dos rond en se réunissant, le plus souvent par familles, mais aussi en groupes quand les individualités n’ont pas la chance d’être soutenues par un rassemblement filial. Ainsi on suit le quotidien de Charitos avec une curiosité certaine. Lors du nouvel an 2014 par exemple, que l’écrivain Petros Markaris prend comme point de départ imaginaire du retour au Drachme, dans une liesse populaire limitée. Dans Pain, Éducation, Liberté, on suit le commissaire, moins râleur que dans les autres livres dont il est le héros mais plus désenchanté, comme un moyen non pas de s’intéresser à une histoire policière, mais surtout comme un procédé pour côtoyer ce qui ne nous est plus trop montré : le quotidien d’un pays en pleine crise.

Une bien sombre Aube

Avec Pain, Éducation, Liberté, Petros Markaris sait qu’il tient un sujet très politiquement incorrect, car terriblement réel. L’intrigue policière rentre bientôt en scène, et elle permet d’aborder un sujet difficile : le rapport d’un peuple en plein naufrage avec la génération qui a profité, elle, de l’espoir et d’une croissance qu’on pensait alors sans fin. Kostas Charitos a sous les yeux une affaire qui résume toute une partie du ressenti actuel, avec le meurtre de Demertzis, ancien étudiant contestataire devenu homme d’affaire crapuleux, et que son propre fils ne peut plus voir en peinture. Toute ressemblance avec la génération Mai 68 serait fortuite, etc. Pain, Éducation, Liberté, sous couvert de polar, tourne autour de ce sujet, et cherche les points névralgiques, là où ça fait mal : les anciens vertueux devenus corrompus, pris en cible par… et c’est là que l’enquête fait son travail. Charitos va tout évoquer, tout passer en revue, et tout le prisme politique va, à un moment ou à un autre, faire un coupable potentiel. De l’extrême gauche à l’extrême droite. Signalons d’ailleurs que cette dernière est une menace pesante à certains passages, bien que n’étant pas le sujet de Pain, Éducation, Liberté. Petros Markaris la décrit comme ce qu’elle est : une dangereuse, mortelle idiotie, pouvant aller jusqu’à brûler des bâtiments si ceux-ci sont soupçonnés d’accueillir des immigrés. Remarque désabusée ultime émise par Charitos : de toutes manière, le gouvernement grec n’aurait même pas les moyens financiers d’organiser le retour au pays de ces personnes qui, pour beaucoup, aimeraient d’ailleurs fuir ce pays où l’emploi est devenu une denrée rarissime.

Une fin un peu longuette

Pain, Éducation, Liberté réussit donc à marier la situation sociale et économique de la Grèce avec une intrigue policière. Mais qu’en est-il de celle-ci ? On ne peut clairement pas dire qu’elle est la plus palpitante des romans dont Charitos est le héros.D’ailleurs, la fin met un peu de temps à se mettre en place, même si les derniers chapitres arrivent à créer assez de suspense pour pousser le lecteur à enchaîner les pages. Autant on accroche tout de suite à l’ambiance, au contexte, autant l’affaire est traitée sans trop de relief, et on se demande s’il ne manque pas une petite dose de folie dans cet ouvrage. On peut aussi regretter un chouïa que la résolution du nœud soit dépendante d’un élément de dernière minute, quasi deus ex machina. Qu’on soit clair, rien d’assez grave pour faire oublier la qualité de ce qu’on lit tout au long de ces 256 pages, rien ne remet en cause l’intelligence du propos et la maîtrise générale dont fait preuve Petros Markaris avec ce Pain, Éducation, Liberté.

Un propos intelligent pour bien plus qu’un polar

Pain, Éducation, Liberté, un slogan qui reste gravé dans la mémoire, bien après la lecture terminée. La Grèce décrite par l’auteur doit nous servir de modèle pour comprendre ce qu’il ne faut pas recréer. Le roman met en garde toutes les sociétés : les enfants, les jeunes générations, perdent leurs illusions en découvrant le pot aux roses d’une ancienne génération ayant provoqué la débâcle, sous couvert d’idéaux bien facilement retournables. Dès lors, nous ne sommes plus très loin du chaos…

Les bonus de Pain, Éducation, Liberté

Retrouvez Pain, Éducation, Liberté, chez notre partenaire des éditions Points.

Une interview de Petros Markaris, où il aborde Pain, Education, Liberté, est à lire sur Okeanews.

Le blog de Michel Volkovitch, traducteur de Pain, Education, Liberté, partiellement consacré à la Grèce.

Petros Markaris - Pain, Éducation, Liberté
Un mariage réussi entre analyse sociale de la Grèce et polar, à lire sans hésiter.
Style
Personnages
Intrigue
On aime
  • La description du peuple.
  • Les pages s'enchaînent rapidement.
  • Charitos, personnage intéressant.
On aime moins
  • Moins bien rythmé sur la fin.
3.5L'avis
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