Philosopher avec la jeunesse est un essai du jeune philosophe Robert Misrahi qui court sur ses 90 ans! Nul doute que la phrase de François Hollande, lors de la campagne de 2012 (« Ma priorité, c’est la jeunesse ») a sans doute contribué à l’éclosion de ce livre pétillant de réflexions et de remarques. La première phrase du livre se démarque d’emblée des envolées présidentielles:
Pour justifier l’intérêt qu’on prend à la jeunesse, il ne suffit pas de dire qu’elle est l’avenir de la nation. Car ainsi on la transforme en un simple outil de l’avenir, on l’instrumentalise, on ne lui accorde qu’une importance dérivée : ce qui importerait serait uniquement l’avenir, c’est-à-dire en fait sa propre disparition.Philosopher avec la jeunesse, p.11
Philosopher avec la jeunesse porte une idée essentielle, souvent présente chez Misrahi, spécialiste de Spinoza : c’est par la liberté que la jeunesse pourra s’inventer un avenir. Le philosophe parle d’un Grand Désir qui porte la jeunesse vers un absolu, un enchantement du monde. Mais cet enchantement ne signifie pas simplement l’observation d’une beauté naturelle ou culturelle, cela veut surtout dire que ce regard poétique sur le monde n’est que le prélude à une action visant à enchanter le monde. Oui la liberté peut se trouver enrayée par les contraintes sociales, économiques de la société dans laquelle vit la jeunesse. Mais une réponse politique ne suffit pas sans une condition préalable : il faut que la jeunesse puisse acquérir une réelle autonomie.
Philosopher avec la jeunesse consacre à juste titre de longs passages sur l’éducation, seule voie d’accès à l’autonomie de la jeunesse. Robert Misrahi rappelle que l’autonomie ne s’acquiert pas sans une prise de conscience que ce n’est pas le monde mais soi-même qui se trouve à l’origine de toute situation. Et cette conscience se conquiert notamment grâce à l’éducation. L’éducation est une activité bipolaire : elle ne porte vraiment ses fruits que si le sujet désire cette éducation et celle-ci ne fonctionne que si elle envisage de rendre le sujet libre de créer par lui-même.
Il s’agit donc d’une éducation à la liberté. Elle ne peut consister simplement à distribuer un savoir encyclopédique, à la fois vaste et superficiel, ou un savoir ignorant de la communication des domaines, c’est à dire des savoirs eux-mêmes…Philosopher avec la jeunesse, p.74
Philosopher avec la jeunesse se démarque de la remarque d’Hannah Arendt pour qui l’éducation doit être éminemment conservatrice, c’est à dire qu’elle conserve et transmet l’héritage culturel à une population par définition neuve qui va sans doute en créer une nouvelle, et sort des sentiers battus en envisageant de recentrer l’éducation autour de la philosophie, non pour connaître dans le détail la pensée de tel ou tel, mais pour promouvoir des programmes « organisés autour de la liberté et de l’autonomie et qui auraient pour visée le bonheur et l’accomplissement ». L’autonomie doit être le fil directeur de cette éducation propre à rendre ensuite ces jeunes créatifs et désireux de changer le monde dans lequel ils vivent et tendre vers une véritable éthique de la joie et du bonheur : but véritable de ce court traité de philosophie avec la jeunesse.
Dans son dernier chapitre intitulé l’épanouissement, Philosopher avec la jeunesse évoque la singularité de la jeunesse qui doit accomplir une double tâche pour s’émanciper : celle de jouir actuellement, au présent, d’une existence libérée de l’angoisse et du désarroi, et ouverte au bonheur, et de préparer en même temps son avenir. Puis il dresse un florilège des joies et des jouissances qu’un jeune peut déployer : l’autonomie, l’amour, le monde. Dans cette dernière catégorie, « le monde », un chapitre est consacré aux visages pour évoquer combien l’attention à cette partie de notre corps, si essentielle et auquel Levinas a consacré une enrichissante étude, place l’individu et le jeune en l’occurrence en capacité d’échange, d’écoute et d’admiration devant la beauté d’un visage.
On referme ce livre bercé par la qualité de la réflexion, certes, mais aussi par un sentiment rétrospectif sur sa propre jeunesse, une projection sur celle de ses enfants, et surtout encore plus conscient de la vanité des mots ou des discours qui s’évanouissent devant cet ode à la jeunesse, à la joie et au bonheur que Robert Misrahi, dans Philosopher avec la jeunesse, nous transmet avec force et grandeur d’âme.
Un lien sur Philosopher avec la jeunesse: http://www.franceculture.fr/oeuvre-philosopher-avec-la-jeunesse-de-robert-misrahi