La végétarienne est le premier roman traduit en français de Han Kang, une jeune romancière et nouvelliste coréenne. Dans ce roman, une jeune femme, Yonghe, change subitement de régime alimentaire, un matin en ouvrant son frigidaire. Elle devient végétarienne, une décision à priori anodine, mais qui va pourtant entraîner une chaîne de conséquences que Han Kang va dépeindre précisément en oscillant entre un réalisme fidèle et un onirisme total. Ce sont toutes ces conséquences sur Yonghe, ses proches et la société coréenne que dévoile La végétarienne.
La végétarienne est construit en triptyque avec, à chaque fois, un narrateur différent (le mari de Yonghe, son beau-frère et enfin sa sœur aînée) qui analyse et décrit chacun de son point de vue le geste déterminant de Yonghe. De plus, il porte sur un sujet vraiment original tant sont rares les romans qui placent le végétal et la nourriture au centre de leur récit. La végétarienne décentre pourtant son angle de vue pour parler de l’âme humaine, de sa versatilité, de son incroyable complexité, source d’incompréhensions pour autrui. En effet, chacun des narrateurs, une fois dépassé l’effet de sidération devant la radicalité de la décision de Yonghe, constate les modifications que cela opère sur l’héroïne et sur eux-mêmes. Les décrivant avec une simplicité dans l’expression, leur pensée parfois s’enroule autour d’images étranges qui caractérisent cet étrange roman.
Pour raconter cette étrange conversion au végétarisme, due à la répétition de rêves sanguinolents de viandes découpées ou de vêtements dégoulinants de sang qui reviennent hanter Yonghe, La végétarienne dévoile le quotidien de cette néo-végétarienne, qui n’ingère que des soupes et autres légumes, mais aussi celui de ses proches médusés qui fourbissent leurs armes pour lancer leurs premières contre-attaques. S’installe également un onirisme superbe qui prend progressivement sa place dans le récit, entrelacs végétal, qui donne à ce roman une forme de parabole puissante sur la force des arbres, des plantes, de ce monde parallèle que la société coréenne côtoie et dont Yonghe s’est faite fille. Cet onirisme éclate dans la seconde partie appelée « la tâche mongolique », sorte de tâche verte que garde un certain temps au bas du dos les nouveaux nés, et qui fascine son beau-frère, artiste, qui soudain rêve de peindre des éléments végétaux sur le corps de Yonghe, comme une forme de correspondance entre son enveloppe et son intériorité. Le texte se déploie alors avec magnificence, créant dans l’esprit du lecteur des images chatoyantes aux horizon insoupçonnés, tout en développant avec encore plus d’ampleur combien ce choix de la nature véhicule en lui une ribambelle d’effets dévastateurs pour la famille et, par extension, les codes de la société coréenne elle-même.
Il a ramené vers le haut du crâne de la femme ses cheveux qui lui cachaient les épaules et s’est mis à dessiner en partant de la nuque. Des boutons de fleurs à moitié ouverts, pourpres et rouges, ont couvert bientôt les épaules et le dos, et de minces tiges ont coulé sur les flancs. Au niveau de la fesse droite s’est épanouie une corolle vermeille, laissant apparaître de gros pistils d’un jaune éclatant.
La végétarienne, p.95
La végétarienne raconte donc d’abord un combat contre l’ordre social établi mais il s’y installe pour mieux s’en échapper par une écriture qui aide à faire émerger de superbes images, nées de l’imaginaire de ces narrateurs déboussolés par les choix alimentaires de Yonghe, et que le lecteur n’est pas prêt d’oublier. Une belle réussite à découvrir.