Réservée aux seuls fans anglais de la première heure, difficile aujourd’hui de passer à côté de la série Doctor Who, tant son succès grandit encore depuis maintenant dix ans. Véritable institution outre-Manche depuis sa création sur la BBC en 1963, la série réussit enfin à faire parler d’elle en France. Après l’événement en 2013 où le Docteur a fêté son demi-siècle de diffusion, il souffle en 2015 la dixième bougie de son grand retour.
Personnage à multiples visages, c’est pour cette raison que le Docteur court sur nos écrans depuis plus de cinquante ans, faisant de Doctor Who la plus longue série de science-fiction du monde encore diffusée. A l’origine, c’est William Hartnell qui interprète ce mystérieux homme de l’espace voyageant dans tout l’espace-temps avec son vaisseau, le Tardis. Lorsqu’il quitte la série, les scénaristes ont l’idée non pas de faire mourir le Docteur, mais de le régénérer avec un nouvel acteur, Patrice Througton. Ainsi se sont enchaînés cinq autres incarnations du Docteur jusqu’à l’arrêt – provisoire – de la série en 1990. Un film avec le Huitième Docteur (Paul McGann) voit le jour en 1996 sans grand succès. Il faut attendre 2005 avec l’arrivée du Neuvième, Christopher Eccleston (Malekith, dans Thor : Le Monde des ténèbres), pour que Doctor Who renoue avec son audience. Plus encore, c’est un nouveau public qui s’est laissé embarquer dans l’aventure.
« Fantastique » ! Ainsi résonne le cri de joie des fans de la série ayant retrouvé leur Docteur. Si son costume n’est pas des plus charismatiques, Christopher Eccleston anime avec succès cette première saison du relaunch (officiellement, les Classiques comptent 26 saisons). Son compagnon, Rose Tyler, reprend le rôle de la charmante partenaire britannique. Après tout, pourquoi changer une équipe qui gagne. Qui dit nouveau succès, dit nouvelles têtes d’affiche. En plus de Christopher Eccleston et Billie Piper (Lily, dans Penny Dreadful), qui interprète Rose, Doctor Who s’est également redéfini grâce à l’importance du rôle de son showrunner qui supervise le scénario et le déroulement global de toute la saison, Russel T. Davies. Pour garantir le succès de ce retour, Russel T. Davies a lui-même écrit les scénarios d’environ la moitié des épisodes de cette saison, dont le season premiere et le double épisode final, qui voit le Docteur se régénérer une nouvelle fois. Le moins que l’on puisse dire, c’est l’audace des antagonistes choisis pour cette saison. Par exemple : dans « Rose », le premier épisode (ayant réuni près de 11 millions de britanniques le soir de sa diffusion), le Docteur se confronte à un être de matière plastique vivante. Sympa pour présenter l’univers ! Il faut attendre l’épisode 6, « Dalek », pour retrouver le Docteur face à son ennemi juré. C’est dans cet épisode que le Neuvième se révèle : sous son grand sourire et son sarcasme, cette neuvième incarnation du Docteur est en fait caractérisée par la colère qu’elle ressent vis-à-vis de la disparition de sa planète Gallifrey dans une guerre face aux Daleks.
Malgré sa popularité, toujours partagée aujourd’hui en 2015, Christopher Eccleston laisse sa place à David Tennant en 2006 qui devient alors le Dixième Docteur. Le souci que posait le Neuvième, c’est qu’il ne se plaçait pas exactement dans la continuité des régénérations précédentes. En effet, le film avec Paul Mc Gann ne s’achevait pas avec sa régénération, donnant un vide dans la time-line du Docteur avec l’arrivée du Neuvième. Un vide que le prochain showrunner, Steven Moffat, ne manquera pas de combler… sept saisons plus tard.
Si elle démarre avec Christopher Eccleston, « l’ère Davies » se prolonge jusqu’en 2010 avec David Tennant (en ce moment au casting de Broadchurch), qui enfile le costume du Dixième Docteur. Sans doute l’une des incarnations les plus appréciée des fans, ce Docteur se démarque par la diversité de ses compagnons. En effet, en trois saisons, David Tennant aura partagé le plateau de tournage avec trois actrices, d’abord Billie Piper, toujours dans le rôle, puis Freema Agyeman (vue dernièrement dans Sense 8) qui incarne l’intrépide Martha Jones, et enfin Catherine Tate en l’inoubliable Donna. Rose, justement, a cette particularité d’avoir assisté à la régénération du Docteur et de l’avoir connu sur deux de ses incarnations (comme Clara pour la huitième saison avec Peter Capaldi). L’intrigue romantique avec Rose peut paraître un peu quelconque mais, en réalité, le lien développé entre elle et son Docteur est capital pour le développement de celui-ci. Rose, perdue dans une dimension parallèle en fin de saison 2, puis Martha, qui décide de partir (de tous les compagnons du Docteur dans ce relaunch, c’est d’ailleurs la seule à le faire) en fin de saison 3 pour continuer avec la perte de mémoire de Donna à la conclusion de la saison 4 : successivement, le Dixième perd chacun de ses partenaires, affectant peu à peu son comportement. La saison 4 s’achève en effet avec plusieurs épisodes bonus où le Docteur voyage seul, notamment sur Mars où, alors que la raison lui dicte de respecter un Point Temporel Fixe – que l’on ne peut pas altérer – le Dixième menace pourtant de réécrire le Temps par pur orgueil.
Plus sombre que son prédécesseur, le Docteur de David Tennant fait également face à des ennemis bien plus terrifiants. Parmi les nouveaux, on compte les Anges Pleureurs, apparus pour la première fois dans la saison 3 dans l’épisode – aujourd’hui presque culte – « Blink ». Parmi les revenants, le Docteur retrouve le Maître (souvent prononcé en version originale « The Master »), régénéré lui sous les traits de l’acteur John Simm, qui offre un final de saison 3 en trois épisodes, mais surtout, que le Dixième affronte à nouveau dans un double épisode poignant pour sa régénération – sans doute la plus émouvante, comparées à celle d’Eccleston, simple, et celle de Matt Smith avec « Le Temps du Docteur », un épisode décevant. Dans le déroulement narratif, l’ère Davies est caractérisée par une construction simple : le temps d’une saison, des indices sont dispersés dans chaque épisode avant un grand final, remettant en place les pièces du puzzle. On remarque également une esthétique propre aux quatre premières saisons, dans la veine des séries des années 2000, avec l’utilisation de nombreux costumes et décors réels aux effets « carton-pâte » – restriction du budget de la BBC ou hommage à la première série, l’effet escompté est là, et un épisode de l’ère Davies se reconnaît de lui-même. La modernisation de la photographie est venue à partir de 2010, avec la saison 5.
Avec l’arrivée du Onzième Docteur, c’est toute une révolution qui se met en place autour de Doctor Who. En premier lieu, Steven Moffat, qui passe de scénariste – à chaque passage dans l’ère Davies, il signe les meilleurs épisodes – à showrunner. En 2010, avec un matériau qui approche du demi-siècle d’existence, Moffat décide de faire le grand tri. Nouveaux compagnons, nouvelle mise en place des intrigues, nouveau Tardis et, bien sûr, nouveau Docteur. A l’époque âgé de 26 ans, Matt Smith était le plus jeune acteur à incarner le Docteur. Avec un costume et une expression « géronimo » datant du siècle dernier, ce Onzième est un Docteur excentrique, maladroit et enfantin. Pourtant, son personnage vieillit, et c’est sur ce déséquilibre que réside toute son originalité.
Côté compagnon, aussi, Steven Moffat chamboule leur écriture. Si Rose, Martha et Donna sont d’abord ordinaires avant de se révéler pleinement, c’est le schéma inverse qui se produit pour Amy Pond (Karen Gillan, que l’on retrouve dans Selfie et Les Gardiens de la Galaxie), River Song et Clara Oswald pour la saison 7. Celles-ci sont avant toute autre chose une fable ou une énigme. Exemple : Rose devient en fin de saison « Bad Wolf », mais Amy est d’emblée présentée comme étant « The Girl Who Waited ». En soit, le procédé n’est ni meilleur, ni moins bon, il laisse simplement plus de place à la construction de l’intrigue qu’à l’évolution du compagnon. Si on examine Rory, il reste le fiancé et mari d’Amy de leur arrivée en 2010 jusqu’à leur disparition en 2012, en début de saison 7, mais sa présence est indispensable aux rebondissements du scénario, notamment dans la saison 5. Quant à River, elle représente ce que Moffat sait faire de meilleur : embrouiller son spectateur. Apparue en fin de saison 4 avec David Tennant, on apprend qu’elle connaît le Docteur mais que sa time-line s’écrit à l’inverse de la sienne. On connait donc sa mort avant de voir sa rencontre avec le Docteur, en fin de saison 6. A l’image de Rose, Clara est développée sur plusieurs saisons puisqu’elle accompagne dorénavant le Douzième Docteur. Qu’on apprécie ou non son travail sur Doctor Who – ce qui alimente de nombreux débats dans la communauté de fans – difficile de ne pas reconnaître que la complexité de l’écriture de Steven Moffat colle parfaitement à l’univers de la série.
Dans la même veine, les intrigues sont dorénavant parfois laissées en suspens en fin de saisons. Véritables rebondissements scénaristiques ou tours de magie pour recycler ce qui plaît aux fans, on retrouve ainsi en final de la saison 7, dans l’épisode de la régénération de Matt Smith, la fameuse fissure temporelle apparue avec Amy en début de saison 5. Si l’ère Davies est un puzzle, l’ère Moffat serait plutôt un Rubik’s cube. Auquel il manque une pièce, histoire de compliquer les choses.
Pourquoi Doctor Who est-elle aujourd’hui une série culte ? Premièrement pour sa longévité unique, grâce aux régénérations du Docteur qui permet de renouveler le casting principal tous les 2 à 3 ans. Sur les écrans depuis 1963, cette série britannique est un ovni dans le paysage audiovisuel. Pour preuve, en introduction du livre Doctor Who : Les Archives, Steven Moffat explique que l’image du Tardis traverse déjà l’espace-temps : c’est une cabine de police des années 1960 qui aurait été oubliée si elle n’était pas devenu cette fameuse machine spatio-temporelle. Il complète :
La plupart des récits [de Doctor Who] ne sont faits que d’un détournement momentané du monde réel. Mais quelques histoires parviennent à modifier le monde qui les entoure. Et, dans certains cas extrêmes, une série télévisée sort de l’écran et reste suspendue dans les airs avant d’entrer dans l’ADN d’une nation tout entière.
Un succès partout autour du Globe, comme confirmé en novembre 2013 lors du grand événement anniversaire pour fêter le demi-siècle de la série avec un épisode spécial, écrit par Steven Moffat encore, nommé « Le Jour du Docteur » – un épisode retraçant l’histoire du Docteur de la fameuse Guerre du Temps contre les Daleks avec au casting Sir John Hurt, qui, en tant que « War Doctor », complète le vide dans la Time-line laissé entre le Huitième et Eccleston.
Avec environ 120 épisodes à ce jour, et plusieurs centaines pour la première série (dont le format était de 20 minutes, et non 40), Doctor Who est une série aujourd’hui inscrite dans l’histoire de la pop culture. Au fil des années, le public s’est agrandi, et, si la série venait à s’éteindre à nouveau, sans nul doute qu’elle pourrait encore une fois revenir sur nos écrans.