Le Festival du Film de Sarlat bat la campagne
L’édition 2014 du Festival de Sarlat s’est déroulée lors de la semaine du 10 au 14 novembre. Festival organisé dans un cadre tout d’abord éducatif et lycéen, il s’est néanmoins ouvert au grand public, projetant cette saison la filmographie de Jacques Audiard ainsi que les films propres à la Sélection Officielle. C’est à la ville de Sarlat qu’est revenue la charge d’organiser l’événement, dans son cadre atypique presque médiéval et loin de la période d’affluence touristique.
Le Festival de Sarlat a inauguré sa 23e édition en diffusant lundi 10 le film d’ouverture : La Famille Bélier. C’est néanmoins la journée du 11 novembre qui a lancé les festivités à proprement parler, en commençant dès 9h par une projection d’Un Prophète de Jacques Audiard. S’en sont suivies d’autres projections, alternant entre programme dédié au réalisateur, et films en compétition.
Première journée à Sarlat
De battre mon cœur s’est arrêté, J. Audiard (2004) – 3/5
Il est toujours bon de redécouvrir un film marquant d’un réalisateur sur grand écran. Ainsi le public a pu porter un regard neuf sur ce film culte d’Audiard, mettant en lumière une performance hélas tristement décevante de Romain Duris. L’histoire d’un jeune mafieux travaillant sur le marché immobilier et marchant dans les pas de son père, prenant des cours intenses de piano pour rendre hommage à sa mère décédée. La névrose rendue à l’écran par le personnage de Thomas, alternant cours virtuoses et perfectionnistes de piano, et meurtres crapuleux et sauvages, est extrêmement prenante. On peut également noter la mise en scène subtile d’Audiard, notamment concernant la relation père/fils conflictuelle et les regards intenses entre eux, soutenus par des angles de caméra inattendus. Un soupçon de Parrain assaillit le spectateur à chaque retournement de situation, De battre mon cœur s’est arrêté est un film jusqu’au-boutiste. On ne regrette pas l’épilogue, permettant de mener à terme le parcours psychologique de Thomas.
Refugiado, Diego Lerman (2014) – 4,5/5
Film de la sélection officielle, Refugiado est un film argentin traitant de la violence conjugale. Ne vous laissez pas abuser par le pathos se dégageant de ce pitch, car il s’agit de mon film préféré de la journée. La mise en scène efficace et le montage rythmé donnent une tonalité toute particulière à ce film : anxiogène. On suit les péripéties d’une jeune mère, Laura, et de son petit garçon de 7 ans, Mathias, fuyant un refuge par peur d’un mari violent. L’éclair de génie du film fut de nous faire frissonner à chaque sonnerie de téléphone, nous faire trembler en même temps que ses personnages, enchaîner des tas de scènes à forte intensité dramatique (grandement menée par le casting, par ailleurs) et de surtout ne jamais nous montrer le visage de la menace. On sent qu’une ombre plane au-dessus du duo mère/fils, mais jamais le visage du père n’est montré. La tension et l’angoisse sont d’autant plus à leur comble qu’il ne se résume qu’à une voix au téléphone, les poussant pourtant à fuir chaque nouveau refuge où ils se pensent en sécurité. Must see!
Regarde les hommes tomber, J. Audiard (1994) – 2/5
Que de longueurs, que de confusion dans le montage, qu’il soit audio ou vidéo, que de confusion dans la narration… Regarde les hommes tomber est le tout premier film de Jacques Audiard, une « expérience » durant laquelle il a appris à gérer un plateau et mener à bout un projet. Fort heureusement, sa caméra a bien évolué depuis ! Amen. S’il y a une seule bonne raison pour voir ce film (bon, très bien, deux raisons) c’est tout d’abord pour la culture, évidemment, mais surtout pour voir ce qu’il ne faut pas faire pour rendre un film compréhensible. Une profusion trop complexe d’histoires s’entremêlant, des liens difficiles à tisser et implicites… Le film montre surtout (après avoir vu De battre mon cœur s’est arrêté) à quel point cela peut prendre du temps à un réalisateur aujourd’hui incontournable de prendre ses marques.
L’enquête, Vincent Garenq (2014) – 2,5/5
Sorte de biopic se basant sur « L’affaire des affaires », roman de Denis Robert concernant les blanchiments d’argent Clearstream, L’enquête est avant tout un thriller à la réalisation très fluide, presque américaine. Garenq met tout en œuvre pour offrir un thriller palpitant aux retournements de situation sournois (même alors qu’il se base sur des faits réels). Le film est mené par Gilles Lellouch, surjouant comme à son habitude Denis Robert, ex-journaliste de Libération. Les seconds rôles sont beaucoup plus attachants que Robert en lui-même, Lellouch tombant dans ses travers de jeu habituels… L’enquête a néanmoins de grandes qualités esthétiques et profite également d’avoir été tourné en scope. La musique est cependant omniprésente, gâchant parfois l’intensité se dégageant des scènes, et ne servant pas le récit. Cela reste néanmoins un film prenant, et plein de suspense. Un bon divertissement sur fond de magouilles politiques qui renvoie un reflet réaliste de la situation socio-politique actuelle et une image que l’on occulte trop souvent : le rôle de la censure dans les médias.
Deuxième journée à Sarlat
Vincent n’a pas d’écailles, Thomas Salvador, (2015) – 2/5
Vincent n’a pas d’écailles conte le récit fantastique d’un personnage s’apparentant à un super-héros qui ne détiendrait ses pouvoirs que du milieu aquatique. Il s’agit par ailleurs du tout premier film de Thomas Salvador, réalisateur et acteur principal. Le film ne se farde pas de dialogues pertinents, car en effet on n’y parle pas ou peu, et les échanges sont le plus souvent anodins ou dénués d’intérêt. Notons aussi le ridicule le plus profond qui se dégage de la course poursuite finale, dénuée d’intérêt et de dialogues, et tournée en plans fixes. Pourquoi tant de haine ? Cependant, le film reste très beau visuellement, limpide comme de l’eau de source. Ça tombe bien. Un premier essai très scolaire d’un réalisateur formaté par ses études d’audiovisuel, en somme. Pas de soucis à se faire cependant, un premier long est souvent mauvais et/ou maladroit, et une Sciamma ou un Dolan sont les exceptions qui confirment la règle. Si Aquaman avait été un film d’auteur…
Loin des hommes, David Oelhoffen (2015) – 4/5
Avec Viggo Mortensen. Oelhoffen a choisi d’adapter pour son film une nouvelle d’Albert Camus, « L’hôte ». Condensée en une dizaine de pages seulement, elle racontait originellement le dilemme moral d’un instituteur pendant la guerre d’Algérie, Daru, qui a choisi de prendre un réfugié, Mohamed, sous son aile. Loin des hommes a choisi d’étayer cette histoire pour aller plus loin et en a ainsi fait une sorte de western, jouant sur ces codes avec habileté. Le film oscille entre le silence pesant du désert et des rapports humains improbables, et le bruit assourdissant des fusils à pompe. Le parti pris est simple mais pourtant tellement efficace, tellement efficace que Viggo Mortensen a reçu le Prix d’Interprétation Masculine du Festival de Sarlat, et que Loin des hommes a reçu le Prix Lycéen du Meilleur Film. Loin des hommes, en salles le 14 janvier 2015.
Un héros très discret, J. Audiard (1996) – 3,5/5
Il s’agit là du deuxième film d’Audiard, que je découvrais pour la première fois et que j’ai trouvé de loin supérieur à De battre mon cœur s’est arrêté, revu la veille. Il marque aussi sa deuxième collaboration avec Mathieu Kassovitz. On remarque déjà quelques astuces de réalisation qui deviendront presque une marque de fabrique chez Audiard, notamment une narration en voix-off, semblable à son premier film, ainsi que des plans suivant le même schéma (une caméra posée sur un véhicule en marche et qui filme la route). J’ai trouvé Un héros très discret étonnamment poétique, ce fut une agréable surprise ! Autre fait qui raviva mon plaisir après avoir passé une journée à voir des films non-stop : Audiard a choisi dès son deuxième long-métrage de mettre en scène des personnages féminins forts, dont une femme militaire, représentée sans clichés aucun. Merci Jaques. De plus, les dialogues sont tranchants, piquants, drôles, tellement bien tournés, parfois touchants, souvent vrais. Audiard est un véritable auteur, qu’on choisisse de l’aimer ou de le détester, et son don pour rendre à l’écran des dialogues percutants lui est inaliénable. Le film a également un niveau d’analyse qui ravira les professeurs de cinéma : on peut y voir un rapport de la fiction dans la fiction, et son influence dans le récit premier. Le personnage d’Albert est un homme qui a choisi de fantasmer sa vie et la mettre lui-même en scène par ses mensonges qui le mènent à une ascension professionnelle et sociale… Respirant un air de Catch Me If You Can à la française, Un héros très discret est un récit grave mais toujours teinté de légèreté.
Films événements
Le Festival de Sarlat s’est vu accordé le luxe de projeter tous ses films en avant-première (hors rétrospective Audiard), et les deux coups de canon qui ont chamboulé la campagne périgordine sont indéniablement The Imitation Game, avec Benedict Cumberbatch, en tête pour entrer dans la course aux Oscars 2015, et The Search, le nouveau chef d’œuvre de Michel Hazanavicius. Nos critiques de ces deux films sont beaucoup plus complètes, et consultables dès maintenant sur avisdupublic.net ! Le Festival de Sarlat s’est conclu sur une autre projection événement de La French, avec Jean Dujardin, en salles ce mois de décembre.