Analyse et Explication : The Truman Show

Analyse et explication du film The Truman Show de Peter Weir avec Jim Carrey et Ed Harris. Nous revenons pour vous sur l’analyse d’une séquence particulière du Truman Show, celle de l’ouverture du film où le spectateur découvre Truman et son environnement à travers une mise en scène très particulière.

Résumé du Truman Show

The Truman show nous plonge dans le quotidien de Truman Burbank (Jim Carrey, Dumb et Bumber), un homme de trente ans marié à Meryl (Laura Linney), incarnation de la ménagère parfaite. Le couple vit à Seahaven, une jolie et tranquille petite bourgade de banlieue. S’il semble avoir une vie idéale, il s’avère qu’en réalité Truman, qui n’a jamais quitté la ville, s’ennuie de cette existence monotone. Il ne songe qu’à voyager et rejoindre les îles Fidji dans l’espoir d’y retrouver une jeune femme dont il est tombé amoureux dans sa jeunesse. En dépit de ses aspirations, tout semble retenir le héros du Truman Show à Seahaven.

Affiche du Truman Show

Affiche du Truman Show

Un jour, alors qu’il s’apprête à aller travailler, un projecteur semblant venir de nulle part s’écrase à ses pieds. Suite à cet incident, Truman va commencer à s’interroger sur ce qui l’entoure et finir par découvrir que son existence toute entière ne repose que sur le mensonge. Depuis sa naissance, Truman est en effet le héros malgré lui d’un show télévisé (lui-même appelé The Truman Show) suivi par des millions de personnes à travers le monde. Les gens qu’il côtoie (amis et famille compris) ne sont que des comédiens, le monde dans lequel il vit est factice et créé de toutes pièces par le réalisateur Christof (Ed Harris, No Pain No Gain, Snowpiercer, le Transperceneige, Gravity). En prenant conscience de la supercherie, Truman va tout tenter pour fuir mais il n’est pas simple de lutter dans un tel environnement et contre la volonté de l’homme qui a tout orchestré pendant trente ans…

Contexte du film

The Truman Show est sorti en 1998. Avant toute chose, revenons sur l’histoire de la naissance du film et le rôle qu’y ont joué Andrew Niccol et Peter Weir.

Le scénario du Truman Show

The Truman Show est d’abord né de l’imaginaire d’Andrew Niccol et c’est précisément ce film qui lancera sa carrière dans le cinéma international. Alors qu’il est encore très jeune, Andrew Niccol qui est d’origine Néo-Zélandaise, s’exile en Angleterre pour y faire ses premières armes. Il s’exerce en tant que réalisateur et scénariste de films publicitaires à Londres, où il jouit d’une bonne réputation. Au bout de quelques années, lassé de produire des formats courts, il décide de s’envoler pour les États-Unis pour tenter d’y réaliser des films « qui durent plus de 60 secondes ». C’est en 1991 qu’il pose pour la première fois sur papier le récit qui deviendra The Truman Show quelques années plus tard. Selon le site Popfixion, c’est en effet à ce moment-là qu’il rédige …

une page de script pour un film intitulé The Malcom Show. Une page, c’est peu, mais c’est assez pour poser les bases d’une histoire qui sera de toute façon réécrite bien trop de fois pour être compté.

Pour écrire le synopsis du Malcolm Show, qui est un film de science-fiction, Andrew Niccol s’inspire du 62eme épisode de la série The Twilight Zone, aussi connue en France sous le nom de La Cinquième Dimension. L’épisode en question, écrit par J. Michael Straczynski, est diffusé en 1989 sous l’appellation Special Service qui sera traduit dans notre pays par Souriez vous êtes filmé. Comme l’évoque le site Popfixion, le synopsis de l’épisode dont s’inspire Andrew Niccol n’est pas sans rappeler celui du futur Truman Show :

John Sellig est un homme sans histoires qui, un jour, découvre que sa vie est filmée et que les gens le regardent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cependant, il va recevoir l’aide d’un technicien nommé Archie.

A travers son scénario, Andrew Niccol veut donc conter l’histoire d’un homme inconscient d’être prisonnier d’un show télévisé et manipulé pour divertir d’innombrables téléspectateurs (un principe de télé-réalité cruelle que l’on retrouve notamment dans Hunger Games). A ce propos, la décennie qui précède le second millénaire semble être une période pendant laquelle on s’interroge sur la télé de demain, la télé du futur puisqu’à l’instar du Truman Show, d’autres films vont exploiter la même thématique à l’instar de En Direct sur Ed TV de Ron Howard (Au cœur de l’Océan, Rush) en 1999. A travers le Truman Show, Andrew Niccol imagine un monde futur, il fait une projection et il semble qu’avec son film il ait vu juste. Peu de temps après la sortie du Truman Show, les émissions de télé-réalité prennent leur essor et cela commence dès 1999 avec Big Brother aux Pays-Bas que nous connaîtrons plus tard sous le nom de Loft Story en France à partir de 2001. Le concept de la société de production Endemol n’est pas sans rappeler ce qui se passe dans le Truman Show puisqu’il s’agit d’enfermer et de couper du monde des personnes qui sont filmées et surveillées en permanence par de très nombreuses caméras afin que le public étudie leur comportement et leurs moindres faits et gestes. La naissance de ce type de show est une véritable révolution dans le paysage audiovisuel international. Big Brother s’exporte dans plus de 70 pays et, suite à cela, de nombreuses autres émissions reposant sur le même principe fleuriront sur les écrans.

Logo de Loft Story

Loft Story, France

Mais revenons à nos montons : la naissance du Truman Show. A Hollywood, où il vit désormais, Andrew Niccol fait la connaissance de Scott Rudin qui va lui acheter son idée pour 1 million de dollars. Ce dernier propose alors le scénario à la Paramount où de nombreux producteurs montrent un intérêt immédiat pour le projet. A cette époque, Andrew Niccol espère pouvoir réaliser lui-même The Truman Show mais il n’en est rien. La société de production le trouve trop inexpérimenté et décide de partir à la recherche d’un autre réalisateur en programmant une sortie du film pour l’année 1996. Le scénariste reste malgré tout attaché au projet et pourra ainsi profiter de quelques années pour peaufiner son récit.

Trouver un réalisateur

Le premier nom cité pour la réalisation du Truman Show est Brian de Palma qui est alors à l’apogée de sa carrière. Malheureusement, pour de nombreuses raisons, la collaboration entre De Palma et la Paramount tourne court et celle-ci se voit obligée de repartir à la recherche d’un réalisateur. Bryan Singer tente donc sa chance et essaie de récupérer la direction du Truman Show mais il ne parvient pas à convaincre la société de production. Andrew Niccol, qui est toujours partie prenante du projet, a l’idée de proposer le nom du réalisateur australien Peter Weir. La proposition plaît, le réalisateur est trouvé.

Quand Peter Weir est recruté pour The Truman Show, il est déjà un réalisateur reconnu. Membre de la Nouvelle Vague Australienne dans les années 1970, l’homme est à l’origine de La Dernière Vague en 1977, de Witness en 1985, du Cercle des Poètes Disparus en 1989 (qui fut un immense succès) ou de Master and Commander en 2003… Peter Weir est un réalisateur discret qui mène une carrière éclectique puisqu’il passe par différents genres, allant de la comédie au drame en passant par le film fantastique. The Truman Show s’avère être son premier film d’anticipation. Le long-métrage lui permettra d’ailleurs de renouer avec le succès, tant critique que public. The Truman Show marquera tellement les esprits qu’un trouble psychiatrique concernant des personnes persuadées d’être suivie par des caméras au quotidien sera baptisé « Le Syndrome Truman ».

Le choix de l’acteur principal du Truman Show

Mais revenons-en à la préparation du Truman Show. Après avoir trouvé un réalisateur pour le film, il faut trouver l’acteur qui incarnera Truman. Si Brian de Palma voulait absolument que le rôle soit interprété par Tom Hanks (Le pont des Espions, Dans l’Ombre de Mary, Captain Phillips, Cloud Atlas), il n’est plus question de l’envisager puisque le réalisateur a été écarté du projet. Un nouveau nom est alors prononcé : celui de Robin Williams (La nuit au musée 3, Insomnia). Ce n’est pas un hasard si la Paramount pense à lui étant donné que Peter Weir a travaillé avec l’acteur pour l’immense succès Le Cercle des Poètes Disparus. Mais Peter Weir ne souhaite pas se conformer à cette idée et décide de faire un choix surprenant en choisissant Jim Carrey. La volonté du réalisateur du Truman Show laisse pour le moins dubitatif un grand nombre de personnes qui ne voient en Jim Carrey qu’un simple acteur comique. Il est assez intéressant de voir qu’à travers un tel choix, Peter Weir reproduit le même schéma que pour Le Cercle des Poètes Disparus. En effet, Robin Williams, avant de tourner le film, n’était connu que pour ses talents comiques. C’est grâce au Cercle des Poètes Disparus que son pouvoir dramatique est révélé. Il en est de m��me pour Jim Carrey puisque The Truman Show est un film qui compte énormément dans sa carrière et qui marque un véritable tournant. Avant 1998, l’acteur n’est en effet connu que pour son talent comique et ses mimiques avec des films comme Ace Ventura, The Mask ou Dumb et Dumber. Personne n’imagine alors qu’il est capable de tenir un rôle beaucoup plus sérieux et beaucoup plus dramatique. Quand The Truman Show sort, le talent de Jim Carrey crève l’écran et démontre tout son potentiel. Ce film lui permettra par la suite d’obtenir d’autres rôles sérieux à l’instar de Man on the Moon ou Eternal Sunshine on the Spotless Mind. Il obtiendra d’ailleurs un Golden Globes pour sa prestation remarquée dans The Truman Show.

Le choix de Jim Carrey surprend donc mais Peter Weir y tient à tel point qu’il accepte de reporter le tournage du Truman Show à 1996 car l’acteur est retenu sur le tournage d’un autre film : Disjoncté. Pour participer au Truman Show, Jim Carrey accepte de baisser son salaire mais, malgré ce geste, le budget du film explose et atteint les 60 millions de dollars. Durant cette attente imposée, Andrew Niccol réécrit encore le scénario et Peter Weir part à la recherche de ses seconds rôles. Parmi eux, aucun nom connu si ce n’est celui d’Ed Harris. Jim Carrey est enfin disponible, The Truman Show est tourné mais la sortie du film est de nouveau reportée. Le long-métrage ne sortira donc qu’en 1998, ce qui laisse de longs mois à l’équipe pour finir de travailler sur le projet et ce qui permet également d’effectuer une vaste campagne de communication visant à légitimer le choix de Jim Carrey dans le rôle de Truman. Lorsque The Truman Show sort, il rencontre le succès critique et public que l’on connaît en ne manquant pas de rafler de nombreux prix. Après cela, Jim Carrey est reconnu pour ses talents d’acteurs, Peter Weir se fait toujours discret mais sort tout de même le film Master and Commander avec Russell Crowe et Andrew Niccol continue sa prestigieuse carrière en gardant une prédilection pour les œuvres d’anticipation.

Analyse de la séquence d’ouverture du Truman Show

La séquence que j’analyse se situe au début du film, juste après un générique qui n’est pas celui du film mais bien celui de l’émission éponyme nommée The Truman Show dont Truman est le héros. Cet extrait est particulièrement intéressant car il nous permet de découvrir le personnage principal, sa vie et son environnement. Cette séquence qui se déroule au petit matin nous permet de suivre Truman qui salue ses voisins en quittant sa maison pour rejoindre son travail. Alors qu’il s’apprête à prendre la route, un projecteur dont il ne connaît pas l’origine tombe du ciel. L’homme s’interroge quelques instants sur cette incongruité mais reprend le cours de sa vie en allant travailler comme il le fait tous les jours. Ainsi, cet extrait du Truman Show peut sembler anodin mais il ne l’est pas. Peter Weir nous plonge immédiatement dans un environnement très particulier, celui de l’émission télévisée, en allant jusqu’à placer le spectateur en position de téléspectateur. Nous nous demanderons donc en quoi Peter Weir parvient à créer un sentiment de voyeurisme et de malaise tout en donnant à voir un quotidien et un environnement quasi-parfait et en utilisant tous les procédés de tournage utilisés par la télévision. Dans un premier temps nous verrons comment derrière un univers a priori banal se cache en réalité une mise en scène très contrôlée et parfaitement orchestrée. Dans un second temps nous verrons comment Peter Weir emprunte les codes de la télévision pour brouiller les pistes et nous plonger au cœur du show télévisé dont traite son film.

Pour visionner l’extrait du Truman Show: https://www.youtube.com/watch?v=NJX7kWqwUHk

Un décor et un environnement ultra contrôlés et d’apparence parfaite

L’apparente perfection

L’environnement dans lequel nous plonge d’emblée The Truman Show est une petite banlieue très proprette nommée Seahaven. Le mythe de la banlieue américaine parfaite, avec ses jolies petites maisons, ses beaux jardins, ses routes bien entretenues et ses habitants charmants est exploité à fond. Seahaven est un véritable petit paradis. Mais cette apparence idyllique et heureuse ne cache-t-elle pas autre chose ? N’est-elle pas totalement surfaite ? Il se dégage en effet de cet extrait du Truman Show une sensation de perfection et de bonheur poussé à l’extrême. Ça sonne faux, ce n’est pas naturel ni représentatif du monde réel. Le plan qui semble d’emblée significatif sur ce point est celui où l’on voit la famille modèle qui vit en face de chez Truman. En un plan américain ressort une image très stéréotypée et caricaturale. Nous avons une gentille et très polie famille noire-américaine dont le père part travailler sous les yeux de sa femme et de sa fille qui lui disent au revoir. Le tableau présenté est l’incarnation de la perfection selon un schéma qui n’est pas sans rappeler les années 1950. C’est un plan qui présente un tableau soigneusement construit, structuré, pensé à l’avance, dont la représentation est si lisse et si parfaite qu’elle en devient suspecte car finalement trop éloignée de la réalité telle que nous la connaissons.

Voisins de Truman dans Le Truman Show

L’image de la perfection.

D’une manière générale dans ce début du Truman Show, tout est trop parfait : tout le monde est poli, de bonne humeur, les voisins s’entendent à la perfection, le ciel est bleu, et la bande-son laisse même entendre des pépiements d’oiseaux, symboles de bonheur et de matinée heureuse. Par la suite, les gens qui vont travailler sont tous heureux d’aller travailler, ils se sourient entre eux, Truman salue même son patron avec qui il semble entretenir une relation très saine. Rien ne semble aller mal, rien n’est réellement dissonant, en apparence tout du moins.

En vérité cet environnement très lisse témoigne d’un univers dans lequel tout est sous contrôle, tout est orchestré, tout est mis en scène. Il y a un côté très construit, très carton-pâte dans cet extrait du Truman Show. Le spectateur, qui sait que tout est fabriqué, que tout est artificiel, a la sensation que tout est truqué au final, que rien n’est vraiment naturel. Les gestes, les paroles, les actes … tout est orchestré voire scénarisé ! Pour aller plus loin, j’irais jusqu’à dire que les plans d’ensemble de la ville nous donnent à voir un plateau de tournage, un décor de cinéma grandeur nature avec son environnement très étudié et très soigné. Sur ce plateau il y a des comédiens, des figurants qui sont soumis à une véritable mise en scène. Même le chien semble avoir été dressé pour simuler une attaque ! En vérité il n’y a rien d’hostile, il n’y a pas de danger. Le monde qui a été fabriqué pour Truman est ultra protégé et aseptisé. Au milieu de tout cela, le personnage fait vraiment figure d’exception. Rappelons que Truman signifie littéralement l’homme-vrai (« true »+ »man »). Dans l’émission du Truman Show, c’est le seul qui ne joue pas la comédie dans un monde uniquement créé pour lui mais aussi contre lui. Encore que l’on remarquera très vite par la suite que notre héros s’est forgé un rôle d’homme heureux qu’il n’est pas forcément… Il faut dire que le pauvre homme est à chaque instant au centre de toutes les attentions et de tous les regards (et de toutes les caméras). Ses voisins, les gens qu’ils croisent dans la rue… tous le connaissent et le saluent.

A cela s’ajoute une véritable sensation de routine. Le quotidien semble parfaitement huilé, chaque jour ressemble au précédent. Dès le début, en sortant de chez lui, Truman énonce une phrase qu’il a du répéter des centaines de fois à ses voisins : « Et au cas où on ne se reverrait pas, une bonne soirée et une excellente nuit ». Cette phrase sonne comme un slogan, comme un lancement de télévision. Cela rejoint d’ailleurs l’idée que nous développerons dans notre explication par la suite selon laquelle cette séquence emprunte les codes de la télévision. Mais revenons-en à notre propos. Lorsque Truman prononce sa phrase, il y a un travelling optique sur lui et il fait face à la caméra. Il croit s’adresser aux voisins mais en vérité le cadrage lui permet de s’adresser directement aux spectateurs en les regardant « dans les yeux » (sans qu’il en ait conscience bien évidemment). A travers ce show, c’est bien évidemment le spectateur de télévision et non de cinéma que l’on vise (bien que l’on s’apercevra vite que les deux se confondent), c’est lui la cible. Dans ce plan, Truman lance lui même son propre show tel un présentateur de télévision.

Truman du Truman Show

« Une bonne soirée et une excellente nuit! »

Un élément perturbateur dans The Truman Show

Dans cet univers très contrôlé et scénarisé, un événement va échapper à ceux qui le régissent et va agir comme un premier élément perturbateur. Il s’agit bien sûr de la chute du projecteur. D’où peut-il venir alors que le ciel est bleu ? Évidemment, cela n’échappe pas à ceux qui orchestrent l’existence de Truman et la réaction est immédiate. C’est alors qu’intervient cette scène au cours de laquelle se déroule un véritable dialogue entre Truman et son autoradio. En tant normal, un animateur de radio effectue un monologue or ici nous assistons à une véritable conversation avec un jeu de questions-réponses ! La radio est la voix de la manipulation : un mensonge est utilisé pour expliquer la chute du projecteur et l’animateur s’assure que Truman ne quittera pas Seahaven. Pour Truman, les questions semblent rhétoriques, lancées à la cantonade mais en vérité elles ne s’adressent qu’à lui. On sent donc la présence d’une entité qui gère tout ça, qui veille, qui surveille, qui contrôle, qui manipule. Et le spectateur est placé en position d’observateur, il est du côté de celui qui manipule puisqu’il observe la scène depuis le plan donné par la caméra qui épie Truman et qui est placée derrière l’écran de l’auto-radio. Dans cet univers si parfait un simple élément perturbateur montre donc à quel point la manipulation et le contrôle ont cours dans cet espace si parfait en apparence. Il va révéler jusqu’à quel point peut aller l’intrusion.

Une chorégraphie bien huilée

Après cet épisode, l’animateur de la radio qu’écoute Truman lance une musique. Cette dernière, étant donné qu’elle est à l’intérieur du film (Truman l’entend également) est une musique intra-diégétique qui va le suivre jusqu’à la fin de la séquence. Lorsqu’elle démarre on assiste à une véritable chorégraphie dans laquelle, encore une fois, tout est parfaitement orchestré. Sans mauvais jeu de mot on pourrait même dire que « tout est réglé comme du papier à musique ». Cette musique justement laisse entendre un air de piano très joyeux, qui vient souligner cette ambiance d’apparence très heureuse, qui accompagne les bonjours et les sourires. C’est une mélodie joyeuse mais aussi très millimétrée, très cadencée qui ne laisse pas de place au hasard ou au doute. Elle n’est pas sans rappeler que l’émission et ses créateurs jouent une partition maintes fois répétée… C’est une musique toute en légèreté qui rajoute une couche à cette atmosphère que les créateurs du show ont volontairement voulu légère, détendue et heureuse. Néanmoins, elle induit aussi l’idée que tous les matins il se passe la même chose et qu’il n’y aura pas de surprise ce matin non plus. Finalement, elle est elle aussi très superficielle et est elle aussi un élément qui participe de la construction de cet univers et de sa mise en scène de la part des créateurs. L’air prend fin quand le film bascule sur la séquence suivante, quand Truman est assis à son bureau. A cet instant la musique s’arrête car on change d’atmosphère, l’apparente légèreté vole en éclat et on va vite découvrir les véritables aspirations de Truman.

Explication de la mise en scène du Truman Show : un emprunt des codes de la télévision

Il est évident dans cette séquence que la mise en scène emprunte les codes de la télévision et en particulier ceux de la télé-réalité et de la caméra cachée. Pour commencer cette explication, il convient de resituer cette séquence pour comprendre que dès le début du film, Peter Weir nous rend spectateur de l’émission. La séquence que j’ai choisie fait suite au générique du film qui est en réalité le générique de l’émission The Truman Show elle-même. Lors de celui-ci on assiste aux interviews du producteur Christof et des acteurs dans lesquelles ils évoquent le show. Par intermittence apparaissent des plans qui filment un écran de télévision sur lequel est diffusé l’émission montrant Truman devant le miroir de sa salle de bain. La caméra qui le filme et qui retransmet l’image sur l’écran est cachée derrière le miroir de manière à ce que Truman ne s’aperçoive de rien. Lorsque le générique s’achève, nous plongeons directement à l’intérieur de l’émission, sans écran de télévision en guise d’intermédiaire.

The Truman Show, une télé-réalité

Truman Burbank devant le miroir de sa salle de bain

L’intrusion des caméras du Truman Show jusque dans la salle de bain de Truman…

Ceci étant dit, nous pouvons enchaîner et entrer dans le vif de notre explication. Le premier indice qui nous apprend que Peter Weir utilise et s’approprie les codes de la télévision c’est le fait de poser les caméras à des emplacements très inhabituels pour le cinéma. Ainsi, certains angles de prise de vue ne sont ni « naturels », ni classique. Pour exemple, on a l’habitude de penser que lorsqu’il y a une utilisation de la contre-plongée c’est pour donner de l’importance à un personnage. Ici ce n’est pas le cas, elle n’est utilisée que par contrainte, que parce que la caméra ne pouvait être placée ailleurs. Truman, filmé en contre plongée donc, est adossé à une voiture suite à l’attaque d’un Dalmatien. Ce plan n’est pas destiné à le placer en position de personnage dominant mais il cherche plutôt à nous faire comprendre que la caméra qui filme cette scène se trouve à terre, est cachée derrière un bosquet que l’on aperçoit dans l’angle inférieur droit, et qu’elle ne peut pas bouger. Elle a été placée là au préalable, sans que la personne qui l’a posée n’ait pu anticiper ce plan spécifiquement. A cela s’ajoute le fait qu’elle doit être invisible pour Truman qui n’a aucunement conscience de ce qui se trame autour de lui. La position de la caméra a donc été contrainte par les besoins de l’émission. La caméra est placée là de manière à filmer à la manière d’une télé-réalité.

Truman en contre-plongée après l'attaque d'un Dalmatien

Truman après « l’attaque » du Dalmatien

Autre exemple de placement de caméra atypique, dont nous avons parlé précédemment dans cette explication, qui illustre bien le fait que le dispositif de captation doit être caché et est en même temps très intrusif comme l’est celui d’une émission de télévision, c’est lorsque Truman est dans sa voiture. Le placement de la caméra est clairement mis en évidence. Le spectateur a bien conscience que la scène est filmée depuis l’intérieur de l’autoradio puisqu’au premier plan il y a l’écran de la radio avec la fréquence de la chaîne écoutée, et au second plan, Truman avec des gestes banaux et même assez intimes.

Truman dans sa voiture

The Truman Show ou les caméras intrusives…

D’une manière générale, le placement des caméras et les plans de cette séquence du Truman Show sont soumis à des contraintes qui résultent directement du format « émission de télé-réalité » et cela se voit à la manière dont ils sont cadrés. Les caméras doivent suivre ce qui se passe, être nombreuses tout en restant invisibles et cachées pour Truman. Elles sont souvent fixes car placées à l’avance de manière à pouvoir tout filmer discrètement. Finalement ce n’est pas comme au cinéma où les plans sont travaillés à l’avance, où le cadreur peut choisir de placer sa caméra, où les mouvements de caméra sont réfléchis, anticipés. Les techniciens ne sont pas sur le plateau et ne peuvent régler leur matériel. Ici, la captation est régie depuis l’extérieur, il est difficile de revenir sur le placement des caméras sans éveiller les soupçons. Il s’agit de suivre une action dont on ne maîtrise pas tout et de s’adapter en fonction des caméras et plans disponibles en utilisant un cadre dynamique. Pour exemple, quand Truman traverse la route, la caméra de surveillance qui est placée loin de lui et filme donc en longue focale tente de le suivre tant bien que mal et de s’adapter sur le vif.

Truman traversant la route, suivi par les caméras

The Truman Show, un monde sous surveillance.

A certains moments il semble même pousser le cadre puis il est camouflé par l’enseigne d’un taxi qui se trouve en premier plan. Il est évident que la caméra fixe ne peut pas bouger pour trouver un meilleur plan, elle est donc gênée par certains éléments de décors. Au final l’emplacement des caméras connote l’idée d’une véritable intrusion dans la vie privée.

De la même manière, au cinéma il est d’usage d’utiliser des effets et des mouvements de caméras discrets qui doivent se justifier dans la mise en scène. Le spectateur n’est normalement pas sensé les remarquer pour pouvoir s’immerger dans l’histoire. Encore une fois dans cette séquence il n’en est rien. Lorsque Truman s’adresse à ses voisins d’en face, un travelling optique est effectué sur lui et est immédiatement perçu par le spectateur qui ne peut pas ne pas remarquer l’effet. Truman ne peut voir la caméra donc celle-ci se rapproche en direct (car ce qui passe à l’écran est bien le direct de l’émission) grâce à un zoom.

Jim Carrey caché par un taxi au premier plan

The Truman Show façon télé-réalité.

C’est totalement volontaire de la part de Peter Weir qui veut nous faire prendre conscience des artifices. Par ailleurs, ce même plan ainsi que d’autres sont noircis aux quatre coins. Ce procédé sert bien évidemment à signifier au spectateur que les plans en question sont filmés depuis des caméras de surveillance.

Si le dispositif de caméras de surveillance est relativement invisible pour Truman, il l’est beaucoup moins pour le spectateur. A l’instar d’une émission de télévision, les personnages qui sont à l’intérieur ne voient plus les caméras. C’est le cas de Truman, bien qu’il y soit sans cesse confronté, tandis que les téléspectateurs eux voient les dispositifs à l’écran. On nous donne à voir les ficelles de manière délibérée tandis que le personnage central lui-même ne les voit pas alors qu’il est plongé au cœur du dispositif. Ainsi, les plans que l’on peut voir durant cette séquence sont également ceux filmés par les caméras qui apparaissent elles aussi à l’écran.

Le voisin de Truman le filmant à son insu

Voisin ou comédien?

L’exemple le plus flagrant de cela se situe au moment où Truman salue son voisin, le vieil homme au Dalmatien. A l’occasion d’un plan subjectif nous voyons Truman qui rejoint sa voiture. Il est suivi d’un plan de demi-ensemble sur lequel on aperçoit que le vieil homme porte une poubelle sur laquelle est fixée une caméra. C’est d’ailleurs confirmé un peu plus loin quand l’homme est filmé en plan rapproché et que l’on distingue très distinctement ladite caméra. Cela signifie bien évidemment que le plan subjectif est issu de la caméra que l’on aperçoit sur les plans suivants. Mais là où la présence d’une caméra de surveillance à l’écran est particulièrement marquante c’est au moment où Truman est arrêté et plaqué par les jumeaux contre une pancarte publicitaire. Au-dessus de l’affiche il y a une caméra qui sera ensuite utilisée pour filmer les jumeaux en plongée. A cet instant le film The Truman Show a recours à un autre code que l’on retrouve couramment à la télévision : la publicité. Tout est scénarisé par les acteurs que sont les jumeaux pour que la publicité passe à l’antenne. Lors d’un travelling avant aboutissant sur un plan rapproché épaule, le cadrage délaisse volontairement Truman sur le côté gauche de l’écran pour mettre la marque en valeur au centre. Pendant quelques instants, Truman, pourtant le sujet principal de l’émission, devient périphérique. La publicité prend sa place. Cela n’est pas sans rappeler l’aspect purement commercial de la télévision. Dans The Truman Show il n’y a pas de coupure puisque c’est une télé-réalité filmée 24/24h donc les créateurs de l’émission ont décidé d’intégrer directement dans le show ce qui devrait normalement être diffusé lors de pages publicitaires.

Affiche publicitaire apparaissant dans le Truman Show

Placement de produit dans le Truman Show

Au cinéma, il est d’usage de ne pas voir les dispositifs de captation de l’image et d’effacer toutes les traces de la technique. Au contraire, dans cet extrait, tous les artifices, toutes les ficelles sont mis en avant. Le spectateur du Truman Show n’est pas dupe, il est mis dans la confidence car il regarde ni plus ni moins une émission de télé-réalité. On lui donne à voir ce qu’il ne devrait pas voir si nous étions dans du cinéma classique.

Mais alors, si tous ces plans s’apparentent plus à la télévision qu’au cinéma, Peter Weir ne met-il pas le spectateur en position de téléspectateur ? Finalement, ce n’est pas tant le film The Truman Show que l’on regarde à ce moment-là que l’émission elle-même telle qu’elle est théoriquement réalisé par Christof, le créateur du show, et diffusée à l’antenne. Le spectateur du film est donc aussi celui qui regarde le show, il devient à son tour un voyeur. Le réalisateur du film The Truman Show donne au spectateur tous les indices, il lui indique sciemment l’emplacement des caméras, ce dernier devient donc complice de la supercherie. Le spectateur de cinéma est finalement assis devant un écran de télévision puisque rien ne lui permet de sortir de ce qu’il voit, de prendre du recul, de voir ce qui peut se passer en dehors de cette émission.

The Truman Show, entre prison et manipulation

Truman découvrant un projecteur tombé dans sa rue

Illustration de l’enfermement

A travers l’omniprésence de caméra et tout ce que nous venons de voir précédemment dans notre explication, il semble que l’on puisse dire que le Truman Show nous donne à voir une prison dorée. Truman est entouré d’un monde qui semble parfait mais qui est totalement factice, dans lequel il est manipulé en permanence et où tout est sous contrôle. Truman est totalement prisonnier de cet environnement. Il est encerclé de caméras qui le traquent, qui l’emprisonnent. Il y a là-dedans une véritable notion de voyeurisme et d’espionnage. C’est particulièrement significatif dans ce plan où Truman découvre le projecteur.

 

Concrètement, à quoi servent ces piliers dont on sait grâce à d’autres plans qu’ils ne sont que deux dans cette rue, comme par hasard uniquement placés devant la maison de Truman ? Ils ne sont là que pour les caméras qu’ils contiennent ! Et ici on constate que l’homme est symboliquement encadré, encerclé, enfermé, pris au piège par ces caméras. Enfin, le comble de l’omniprésence des caméra c’est celle qui se situe dans la bague de Truman.

Truman portant une bague contenant une caméra

Bague ou…caméra?

Le subterfuge est assez incongru mais ça montre à quel point Truman ne peut échapper à la télévision au point qu’en la portant il filme lui-même sa propre vie sans s’en rendre compte. Dans The Truman Show, Truman est un pantin et cela peut vite créer un sentiment de malaise chez le spectateur qui est obligé d’assister à ce qui se passe, qui est passif et impuissant. Le fait de savoir que Truman est victime de ce qui l’entoure créé une empathie immédiate pour le personnage. Et puis, cette impression de malaise que procure The Truman Show se traduit aussi par certains plans penchés, bancaux alors que, comme nous l’avons vu précédemment, la volonté du show est pourtant de donner l’image de la perfection et du paradis. L’inclinaison de ces plans créé donc une sensation de déséquilibre qui laisse entrevoir la possibilité que finalement, tout n’est pas si idyllique, qu’il y a sans doute un problème vis-à-vis de ce qui est montré. Par le biais de ces prises s’introduit le malaise et l’intuition que quelque chose de discordant est en marche.

Un double point de vue

Pour terminer cette analyse du Truman Show, j’aimerais ajouter une nuance. En effet, nous avons bien vu que Peter Weir nous donne à voir une émission de télé-réalité. Néanmoins, à cette mise en scène de télévision se mêle également le point de vue du réalisateur. Il y a donc une réelle complexité dans cet extrait puisqu’on nous livre à la fois une émission et un regard extérieur. C’est notamment le cas dans le plan où nous assistons à la chute du projecteur avant que Truman ne s’en aperçoive ou bien quand le héros du Truman Show observe l’objet dans la rue.

Truman observant projecteur

Chute d’un projecteur dans The Truman Show

Ici nous avons un plan en plongée et en courte focale qui n’a pas pu être tourné par les caméras de surveillance disséminés dans l’univers de Truman. En vérité ce plan appartient à Peter Weir et non pas à l’émission. A travers un tel cadre, le réalisateur du Truman Show entrouvre une porte qui nous permet enfin d’avoir un aperçu du point de vue du personnage. On sort de l’émission pour commencer à entrer dans le ressenti du personnage. Cette séquence est donc un exemple de finesse et de subtilité.

Conclusion sur cette analyse et ces explications de The Truman Show

Pour conclure, nous voyons bien à travers cette analyse du Truman Show que Peter Weir filme sa séquence « à la manière de » pour nous placer directement en tant que spectateur du show. Ce dernier est conscient de tout ce qui se passe à l’inverse de Truman qui ignore tout de la supercherie. A travers cette séquence du Truman Show nous assistons à la mise en place d’une mise en scène dans la mise en scène. Il y a un niveau méta, c’est à dire que l’on regarde un film dans lequel se déroule une émission de télévision dans laquelle on nous donne à voir toute une orchestration. Les rouages d’une mise en scène sont mis en évidence au sein même du film que nous regardons avec son placement de caméras, son décor, ses acteurs, etc. Nous regardons un film qui parle d’un tournage. Au fond, le réalisateur du Truman Show utilise tous ces procédés afin de créer, malgré une légèreté et une perfection feinte, un sentiment de malaise. Ainsi il remplit parfaitement son objectif premier à savoir dénoncer les dérives de la télé-réalité.

  • Titre : The Truman Show
  • Année de sortie : 1998
  • Style : Anticipation
  • Réalisateur : Peter Weir
  • Synopsis : Truman Burbank mène une vie calme et heureuse. Il habite dans un petit pavillon propret de la radieuse station balnéaire de Seahaven. Il part tous les matins à son bureau d'agent d'assurances dont il ressort huit heures plus tard pour regagner son foyer, savourer le confort de son habitat modèle, la bonne humeur inaltérable et le sourire mécanique de sa femme, Meryl. Mais parfois, Truman étouffe sous tant de bonheur et la nuit l'angoisse le submerge. Il se sent de plus en plus étranger, comme si son entourage jouait un rôle. Pis encore, il se sent observé.
  • Acteurs principaux : Jim Carrey, Laura Linney, Natascha McElhone
  • Durée : 1h43min
  • Marilyne breant

    Il va me falloir un mois pour tout lire 🙂

    • Anne-Laure

      Ahahaha, oui je reconnais que je n’y suis pas allée de main morte ^^