Critique de La bataille de la montagne du tigre, de Tsui Hark et avec Tony Leung Ka-fai. Un duel au sommet que notre avis se propose d’arbitrer.
Avec La bataille de la montagne du tigre, on retrouve Tsui Hark, l’un des réalisateurs contemporains les plus doués, les plus importants. On ne reviendra pas sur sa carrière, même si on ne peut que vous conseiller des merveilles comme The Lovers, The Blade, Green Snake ou son culte L’Enfer des Armes. Mais pour mieux aborder La bataille de la montagne du tigre, il est important de bien situer ce réalisateur à qui certains ont, un peu trop facilement, donné le surnom de « Spielberg Asiatique ». Tsui Hark est bien plus que ça, ne peut pas tenir dans une case, et ce même si le public adore ce genre de comparaison pour mieux situer ce qu’il a du mal à aborder, une réaction bien compréhensible. Ce metteur en scène atypique, à l’origine d’une sorte de nouvelle-vague hongkongaise, est passé par une foultitude de genres pour y poser sa patte, reconnaissable entre mille, alliant complexité des plans et lisibilité du résultat. « Cinéaste du chaos » est une description efficace, tant son style visuel peut parfois donner le tournis, sans oublier ses méthodes de travail qui ont fait craquer plus d’un acteur. La rumeur, infondée cependant, dit de lui qu’il ne dort pas une seule seconde en période de tournage, et si c’est certainement exagéré on sait le bonhomme réellement monté sur ressorts, très exigeant et hyperactif. Ça se ressent dans son approche formelle qui ne connaît aucune limite, au risque parfois de verser dans la folie un peu trop furieuse : on se rappelle d’un Legend of Zu à la limite du supportable. La bataille de la montagne du tigre est le dernier film en date de cet artiste hors du commun, et c’est avec joie que nous l’abordons avec cette critique.
Un tas de querelles.
La bataille de la montagne du tigre prend place en 1946, alors que l’armée japonaise, en guerre avec l’Empire du milieu, vient de capituler. Une guerre civile impitoyable éclate alors, laissant le Nord-Est de la Chine aux griffes de bandits assoiffés de sangs et de richesses. Le plus redoutable de ces malfrats se nomme Hawk (Tony Leung Ka-fai), un combattant aguerri et capable d’infliger les pires châtiments à quiconque se dresse sur sa route. Et c’est au sommet de la montagne du tigre que ce véritable malfaiteur a élu domicile avec son armée de barbares, pillant les villages aux alentours à l’aide d’un armement extraordinaire de qualité et de quantité. C’est dans ce désordre sinistre que l’Unité 203, de l’Armée de Libération, traverse la région, et tombe sur une démonstration de brigandage, accomplie par les brutes de Hawk. Le Capitaine 203 (Lin Gengxin) décide alors de mener le combat contre l’impitoyable criminel, et pour ce faire il a besoin d’un agent infiltré. C’est ainsi que l’officier de reconnaissance Yang (Zhang Hanyu), spécialisé dans les enquêtes clandestines, décide de s’introduire dans la tanière de Hawk. L’affrontement de La bataille de la montagne du tigre peut alors commencer…
Qu Bo forever.
La bataille de la montagne du tigre n’est pas un titre inconnu, non seulement au sein du cinéma sino-hongkongais, mais aussi et surtout côté littérature et opéra. Tracks in the snowy forest, de Qu Bo (oui, quel nom rigolo), est un roman à grand succès. Et l’opéra qui en fut tiré, sous le titre de Taking tiger mountain by strategy, fut l’un des plus populaires, et révolutionnaires, de l’histoire de l’Opéra de Pékin. Dans les années 70, le succès atteignit les salles obscures, avec une adaptation très soucieuse de recréer la même ambiance mélodramatique. On pourrait donc penser que La bataille de la montagne du tigre est un film qui sent la redite… Une erreur aussi tragique que celle qui poussa certains à se demander ce que Tsui Hark pouvait bien vouloir faire en ressuscitant Wong Fei-hung ? La réponse était tout simplement un chef-d’œuvre (Il était une fois en Chine), donc mettons de côté toute défiance envers Tsui Hark : le bonhomme sait ce qu’il a à dire, et à faire.
Opération héritage.
La bataille de la montagne du tigre offre une histoire assez singulière pour laisser le génie créatif de Tsui Hark s’exprimer à plein régime. Une histoire d’action, brassant la guerre et l’aventure, mais aussi une approche très finaude d’un récit qui ne l’est pourtant que modérément. La bataille de la montagne du tigre s’ouvre sur une séquence contemporaine, qui appuie le côté un peu nostalgique de l’œuvre. Superficiellement, on pourrait même penser que Hark donne dans le patriotique, avec ce jeune homme et sa volonté d’être fier des héros de guerre. On peut tout à fait comprendre qu’un pays aussi lointain que la Chine puisse vouloir mettre en avant certaines figures historiques, après tout chaque pays réagit différemment à l’héritage de ses anciens. D’ailleurs, tout le cinéma de Tsui Hark est traversé de cette envie, non pas patriotique mais de transmission d’un héritage vieux de plusieurs millénaires, via une culture tellement vaste qu’on a bien du mal à l’aborder à sa jute valeur. Le truc, c’est que le metteur en scène de La bataille de la montagne du tigre a toujours quelque chose à dire à travers ses œuvres d’apparence légères…
Accrochages enragés.
La bataille de la montagne du tigre est un film de guerre loin d’être banal. Sorte de mélange entre Les canons de Navarone, Zu et James Bond, on est bluffé par la volonté de Tsui Hark de tout faire pour que l’Histoire, tant chérie par les patriotes, paraisse la moins crédible possible. Tout en respectant les glorieux anciens évidemment, personne ne remet en cause la beauté d’un sacrifice dans certaines conditions… Mais voilà, quand La bataille de la montagne du tigre fait appel au bullet time, on ne peut s’empêcher de faire remarquer que l’effet donne, comme toujours, l’impression d’exagération d’un ressenti. Tsui Hark veut-il dire par là que donner un hommage à des héros de guerre, c’est faire face à une réécriture toujours un peu embellie d’une réalité, la guerre, qui ne l’est jamais ? Oui, c’est une certitude, car n’oublions pas que le réalisateur, même s’il a toujours voulu être un vecteur de transmission culturelle, est aussi l’un des plus enragé qu’ait pu connaître Hong Kong. Hors de question de sur-interpréter quoi que ce soit, mais plus on avance dans La bataille de la montagne du tigre, et plus Tsui Hark en profite pour exagérer les situations, les rendre incroyables, dans un ton très comics. Et ce jusqu’à un double final qui termine de démontrer que le réalisateur n’est pas du genre à croire que l’Histoire a une seule grille de lecture…
Une lutte ébouriffante.
Mais regarder un film de Tsui Hark, c’est aussi s’attendre à s’en prendre plein la tronche côté pur divertissement. La bataille de la montagne du tigre ne déçoit pas à ce niveau. Soulignons, encore et encore, le talent de mise en scène de Hark : c’est formellement un plaisir pour les yeux. Certains tiqueront devant les ralentis, alors qu’ils servent l’approche volontairement excessif, outrancier, qui vise à donner à l’Histoire en marche un côté divertissement servant le fondamental qu’on a abordé plus haut. Certains mouvements de caméra, tellement audacieux, des décors somptueux, surtout chez le gang de Hawk : La bataille de la montagne du tigre ravira les amateurs d’un cinéma purement visuel. Ce n’est pas spécialement inventif, mais Hark s’empare de tous les composants d’une réussite stylistique pour le passer au mixeur de son énergie débordante, pour un résultat assez dingue. On se remémore avec plaisir la séquence de l’attaque du tigre (le fauve, pas la montagne) sur un des personnages principaux, qui touche autant au sublime d’un combat chargé en symbolisme, qu’au délire le plus décomplexé qui soit sans pour autant être fouillis. La bataille de la montagne du tigre, de par son sujet et ses effets spéciaux très inégaux, est certes moins impressionnant que Detective Dee 2 dans ses séquences d’action, mais quelle belle vigueur !
Des enjeux qui prêtent à discussion.
Malheureusement, La bataille de la montagne du tigre n’est pas exempt de défauts. Le principal, qui fera certainement qu’une partie du public sera un peu perdue, est la gestion très confuse des enjeux. Tsui Hark ne prend pas le spectateur occidental par la main, d’ailleurs soyons clair : le film ne s’adresse pas spécialement à lui. Et c’est très bien : ça permettra aux plus curieux d’entre nous de s’intéresser à une période méconnue de l’Histoire chinoise, d’aller se documenter notamment sur l’ALP. Mais l’effet immédiat est qu’on se sent largué dans les termes, les différents clans, et même les personnages qu’on a du mal à bien cerner. Le pire est que La bataille de la montagne du tigre joue avec cette construction complexe, en appelant certains des personnages par des numéros. Frère 2 demande à Frère 6, etc. Pas simple à embrasser, cette approche peut, malheureusement, faire en sorte que l’attachement du spectateur aux personnages reste limité. Ce qui est particulièrement dommage quand certaines séquences de La bataille de la montagne du tigre demandent aux spectateurs une implication émotionnelle.
Tony Leung Ka-fai, et l’addition !
Au final, La bataille de la montagne du tigre est un divertissement typiquement chinois, et surtout très marqué par la personnalité artistique de son auteur. La relation qu’entretient Tsui Hark avec la Chine continentale actuelle, niveau production, devient de plus en plus intéressante étant donné le caractère très indépendant du réalisateur, qui a tout de même besoin de l’argent du pays. Cette ambiguïté donne un film loin d’être un tract politique, patriotique, et on peut même dire que l’approche courageuse de Hark donne une seconde grille de lecture très courageuse à La bataille de la montagne du tigre. Le metteur en scène y est d’une honnêteté sans failles, lui qui a œuvré, toute sa vie, pour que les héros d’une Chine à l’Histoire impressionnante ne soit pas oubliés. La séquence du dîner en famille prend alors tout son sens, et est à l’image de tout La bataille de la montagne du tigre : c’est certes complètement over the top, mais ça ne peut que toucher le spectateur.
La bataille de la montagne du tigre, les bonus.
Voici un extrait de Taking tiger mountain by strategy, l’opéra dont est tiré La bataille de la montagne du tigre.
Suivez le guide pour voir l’un des trailers de La bataille de la montagne du tigre.
N’hésitez pas à lire d’autres critiques de La bataille de la montagne du tigre, notamment chez Filmosphere.
- La folie chaotique de Tsui Hark.
- Direction artistique exemplaire.
- La séquence finale.
- Le scénario trop cryptique.
- Effets spéciaux inégaux.