Redécouvrez Moïse et l’exode du peuple hébreu, un mythe gravé dans la Bible il y a des milliers d’années, et aujourd’hui réinterprété par Ridley Scott dans Exodus : Gods and Kings. Ici notre critique, en détails.
Dans Exodus, Ridley Scott retrace l’histoire de Moïse, prince d’Égypte exilé et choisi par Dieu pour libérer le peuple hébreu de 400 ans d’esclavage sous le joug des Pharaons. Réinterprété ce mythe de manière épique avec le grandiose que sait offrir le cinéma hollywoodien, tout en conservant et en respectant le caractère évidemment religieux de l’œuvre, tel est le défi que s’est imposé Ridley Scott avec Exodus, sorti en salles le 24 décembre dernier. Ovationné en 2000 pour Gladiator, le réalisateur n’a pas toujours brillé par la suite, notamment avec des films comme Hannibal ou Prométhéus ayant chacun reçus des avis très divergents. Dans quelle mouvance Exodus s’inscrit-il ? Voici quelques éléments de réponses.
Exodus : Le scénario, tu n’offenseras point
Avec Exodus, Ridley Scott ne s’est pas attelé à n’importe quelle histoire. De la même manière que David Aronovsky pour Noé l’an dernier, le réalisateur adapte ici un mythe biblique avec lequel, il le sait, il ne faut pas faire n’importe quoi, non pas uniquement pour ne pas offenser une partie du public mais simplement parce que c’est un récit que tout le monde connait plus ou moins. En effet, il existe déjà plusieurs adaptations, dont celle des 10 Commandements de Cecil B. DeMille, classique de 1956, ou bien Le Prince d’Egypte, la version Dreamworks en film d’animation. Avec Exodus, on est face à une nouvelle version du mythe de Moïse. Une énième version, certes, peuvent dire les plus critiques d’entre nous, mais une nouvelle tout de même. En un mot, Exodus est la réécriture hollywoodienne des 10 Commandements, avec une tête d’affiche alléchante et de grands renforts d’effets spéciaux.
La trame de l’histoire a été modifiée en conséquence, mais pas n’importe comment. Ridley Scott a souhaité donner une dimension plus moderne à son film, notamment en occultant par moment le critère religieux. Attention à ne pas crier au sacrilège non plus, les éléments principaux de la quête de Moïse sont bien présents, à l’exception de l’épisode du veau d’or qui aurait ajouté un quatrième acte au film alors qu’Exodus se conclue justement sur la rédaction du Décalogue. Une conclusion logique car elle marque l’accomplissement de la destinée de Moïse, et marque comme un nouveau départ pour le peuple hébreu. Ce sont les fléaux de Dieu qui peuvent interloquer les spectateurs, car une explication vraisemblable à ces événements est proposée, si bien que l’on pourrait douter de son existence. L’équilibre est rétabli avec la dernière calamité, punissant les premiers-nés égyptiens, et évidemment l’épisode de la mer Rouge, puisque rien ne l’explique, et laisse ainsi le spectateur libre de son interprétation et de se forger son propre avis sur le film.
Quelques nuances tout de même. On retrouve peu le côté tout-puissant du royaume égyptien, Exodus se concentrant principalement sur Moïse. C’est dommage, car des éléments clefs du scénario reposent pourtant sur les contrastes entre le peuple égyptien et celui des hébreux. Le tout peut malheureusement se résumer sommairement, comme « les méchants égyptiens asservissent les hébreux, alors Moïse arrive et sauve le monde ». Certes, ça accentue l’épique de la situation, mais un scénario pareil sonne faux sur une histoire aussi remarquable. Peut-être que Ridley Scott nous réserve des surprises avec une version longue de son Exodus, mais ce serait une erreur, puisqu’une « director’s cut » ne doit pas rectifier les lacunes de la version sortie en cinéma.
Exodus : Les personnages, tu ne bâcleras point
L’un des soucis majeurs dans Exodus réside dans ses personnages : principaux ou secondaires, aucun n’est épargné, à commencer par le duo de tête, Moïse et Ramsès. Présentés comme ayant été élevés comme deux frères, quasiment rien à l’écran ou dans le déroulement du film ne le montre vraiment. Les seuls éléments significatifs de ce trait essentiel des protagonistes, ce sont leurs épées, chacune gravée du nom de l’autre. Elles sont dévoilées lors d’une cérémonie suivie de la première bataille du film et… disparaissent, du moins celle de Ramsès. Celle de Moïse garde tout de même une place importante dans le récit quant à la séparation de la mer Rouge, et pour la caractérisation du personnage comme étant un guerrier plus qu’un berger. Si symboliquement ces deux armes représentaient le lien entre les personnages, c’est dommage que l’une des deux soit facultative, car on ne peut donc pas croire à ce fameux lien. De plus, l’Histoire nous confirme qu’aucun des deux ne meurt lors de l’Exode, il est donc impossible pour le spectateur de craindre quoi que ce soit pour eux. Dommage.
Pour les personnages secondaires, leur principal défaut est qu’ils ne servent qu’à l’intrigue sans s’en détacher pour avoir une importance propre (et encore certains ne servent réellement à rien, et ils ne sont absolument pas développés). Les personnages appartenant au peuple hébreu sont rares. Aaron et Josué sont présents, mais peu à l’écran, et encore moins quand il s’agit de guider ou d’aider Moïse. Noun, joué par Ben Kingsley (La Nuit au Musée 3: Le Secret des Pharaons), n’est important que pour révéler au héros ses origines. Le peuple égyptien n’est pas beaucoup mieux servi. Séthi, père de Ramsès, meurt de manière expéditive après avoir fait comprendre que son fils ne serait pas un grand pharaon. Son épouse, Tuya, interprétée par Sigourney Weaver, arrive comme un cheveu sur la soupe. On comprend au bout de 5 minute qu’il s’agit de l’épouse, et elle s’éclipse après avoir fait exiler Mo��se. Au niveau du développement des personnages, on atteint là des sommets. De manière générale, les personnages féminins dans Exodus sont traités à la va-vite, à commencer par Séphora, la femme de Moïse. Leur rencontre est expresse, on a le droit à une ellipse temporelle confuse (sauf que le spectateur ne le comprend qu’après) : en 2 minutes, ils se rencontrent, s’aiment et se marient. On a l’impression d’avoir loupé un wagon et on ne s’attache pas à leur relation, d’autant qu’aucune émotion ne transparait lors des scènes où celui-ci quitte et retrouve son foyer. C’est bien dommage, car cela aurait pu enrichir le personnage de Moïse. Pour un mythe pareil, cet aspect négligé de l’écriture des personnages et de leur relation est vraiment un gâchis, car même si Exodus est un film de divertissement, cela ne justifie pas une telle superficialité.
Fort heureusement, tout n’est pas si noir dans Exodus. Seul, Moïse est bien traité. Sombre, froid et guerrier, certes, mais bien traité. Ici, le personnage central est loin de l’image du berger hébreu que l’on peut avoir. Moïse est avant tout un général en exil, un aspect surprenant certes, mais bienvenu dans une telle adaptation. Le fait qu’il soit général montre qu’il est un meneur d’hommes, capable donc de guider une masse de 400 000 personnes. Le trait reste tout de même un peu trop exagéré lorsqu’il entraîne les hébreux dans une véritable guérilla digne de la ligue des ombres (une bonne fois pour toute, car cette aberration est vue dans divers films : apprendre à tirer à l’arc n’est pas une chose simple, et il est encore plus difficile d’apprendre à tirer sur un cheval !). Quant à son exil, cet élément représente bien sa quête, autant physique que spirituelle. Élevé dans le culte égyptien, le voici confronté à un Dieu unique avec lequel il ne se montre pas toujours d’accord. Avant toute chose, Moïse est un homme, en proie aux doutes et solitaire, ce qui redonne au personnage toute sa dimension biblique, d’autant plus que Christian Bale (Batman) est convainquant dans le rôle (et qu’il doit être le seul acteur du film à vraiment l’être).
Dernier personnage, et non pas des moindres, Dieu. Ce point est sans doute l’un des plus controversés d’Exodus. Lorsque Moïse apprend la destinée qui est la sienne, il comprend que ce message vient du Dieu unique du peuple hébreu. Ce Dieu unique vient à lui sous la forme d’un enfant de onze ans. Seulement le terme choisi par Ridley Scott pour qualifier ce personnage, c’est en fait « malak » signifiant « messager » voire « ange », ce qui coupe donc toute polémique vis-à-vis de la représentation du divin dans Exodus. Ce messager est austère, cinglant et impitoyable, personnalité contrastant évidement avec sa forme enfantine. Le réalisateur a choisi cette représentation car il estime que cette image d’innocence et de pureté amplifie sa puissance divine. Le fait que ce soit par un enfant de onze ans au regard glacial que l’on apprend que beaucoup de gens vont mourir ajoute un sentiment de malaise. C’est donc face à une telle sommité que Moïse n’hésite pas à se prosterner, proposant ainsi une vision moderne et remarquable de l’appel de Dieu, loin d’un banal rayon scintillant descendant du ciel, par exemple. Ridley Scott a donc parfaitement su adapter Dieu en un personnage de fiction grand spectacle qui rehausse les autres maladresses Exodus en termes d’écriture de personnages.
Exodus : Casting et dialogues, tu ne négligeras point
En ce qui concerne le casting d’Exodus, les choix sont discutables. Premièrement parce que le physique de la plupart des acteurs ne correspond pas à ce que l’on attend d’un film sur l’Égypte. La polémique sur les acteurs blancs fait rage depuis la sortie du film, au point que la diffusion d’Exodus a été interdite dans plusieurs pays, notamment en Égypte, mais là ce sont pour des problèmes religieux. Le principal problème vient plutôt de la direction de ces acteurs. Christian Bale, Joel Edgerton, Sigourney Weaver, aucun n’est foncièrement mauvais. Leur performance semble pourtant sur-jouée, particulièrement pour Sigourney Weaver. Joel Edgerton n’est pas non plus entièrement crédible en Ramsès 2, principalement à cause des problèmes d’écriture de personnage évoqués précédemment. Néanmoins, un détail permet d’expliquer ces problèmes dans le casting : la qualité des dialogues. Certains sont malvenus, comme le discours où Moïse apprend ses origines ; d’autres sont artificiels, notamment la dispute qui le conduit à l’exil ; voire franchement pathétique, avec une mention spéciale aux promesses de mariages que lui et son épouse Séphora nous répètent à trois reprises. « M’aimeras-tu pour toujours ? Resteras-tu toujours auprès de moi ?… ». Ce dialogue fait plus niais que l’ensemble de la saga Twilight.
Exodus : Sur l’Histoire, tu ne fabuleras point
Les passionnés d’Histoire l’ont sans doute très vite remarqué, Exodus ne brille pas par sa cohérence historique. Première boulette : dès les premières secondes alors que le film place l’Exode à Memphis, lors du règne de Ramsès 2, ce qui le situe environ à -1200 avant Jésus-Christ, Ridley Scott sans doute pour faire joli et grandiose fait construire les pyramides, sachant que leur édification date au moins de -4000. Une erreur de 2500 ans ! Je veux bien une erreur de quelques années sur des détails, comme par exemple un casque de Gladiator qui était un casque Ottoman (1000 ans de décalage tout de même) mais là, l’erreur n’était pas flagrante. Ici il s’agit d’un monument important que l’on voie tout le long d’Exodus. Il y a aussi l’enterrement de Séthi 1er qui se déroule à Abou Simbel (temple construit par son fils, Ramsès 2, tout au Sud de l’Égypte). Je n’ai jamais vu un film avec des anachronismes pareils. Ensuite vient le peuple Hittite, que les troupes égyptiennes affrontent lors du premier acte du film. Si à l’époque ils formaient une véritable armée crainte et redoutée par les égyptiens, ils sont ici représentés comme de simples envahisseurs, pas suffisamment malins pour faire surveiller leur camp, situé à quelques encablures de Memphis. Aoutch ! On trouve d’autres approximations, même au niveau de la terminologie et du vocabulaire. L’Égypte antique était gouvernée par un Pharaon, et non par un roi, comme cela est souvent répété dans Exodus, jusque dans son sous-titre « Gods and Kings ». Un autre exemple révélateur : l’expression « 10 millions de coudées carrées de terrain » qui aurait pu être facilement rectifié en « acres », unité de mesure égyptienne utilisée à l’époque. On vous épargne les détails techniques de l’armure magique de Ramsès l’ayant ramenée sain et sauf sur la plage, malgré qu’il se soit fait happé par la mer Rouge lorsqu’elle se reforme. Il est clair que la logique et le respect des véracités historiques n’a pas été une priorité absolue lors de l’écriture du scénario. Pourtant le débat est intéressant : est-ce si grave, étant donné qu’Exodus est tiré d’un récit biblique, et non historique ? Et bien oui, c’est grave, car une adaptation en film ne doit pas comporter ce genre d’erreurs grotesques, car ces erreurs perdent très rapidement un spectateur qui s’y connait un minimum, et ravivent la critique.
Pour Exodus, Ridley Scott, tu ne châtieras point
Soyons clairs, Exodus : Gods and Kings n’est pas non plus un si mauvais film. Il souffre de nombreux défauts, tant au niveau de l’écriture superficielle des personnages que des dialogues et des approximations historiques. Seulement, Ridley Scott réussit tout de même à nous emporter dans son film et ce malgré sa durée totale de 2 heures et demie, ce qui pourrait paraitre long. Le rythme du film est pourtant parfaitement géré, laisse des pauses au spectateur, et relance l’action juste quand il faut pour ne pas souffrir de longueurs. De plus, Exodus possède un souffle, une âme vers laquelle on se laisse embarquer volontiers. Les costumes et les décors sont très bien réussis et confèrent au film l’environnement nécessaire pour créer cette ambiance antique. Dernier bémol, les effets spéciaux sont réussis, mais inégaux. La vague de la mer Rouge est impressionnante, même si, en s’y attardant, le mouvement de l’eau est quand même très bizarre, et les prises de vues sous l’eau sont vraiment atroces. Les effets visuels ont aussi un rendu cacophonique par moment, ce qui n’est pas gênant vu que cela accentue l’impression catastrophique des fléaux.
Superficiel et parfois bancal, Exodus n’est pas non plus un plaisir coupable. C’est un film plaisant pour lequel il n’y a aucune honte à avoir un avis positif, malgré ses défauts et les nombreuses critiques qu’il essuie. Alors oui, le rendu du buisson ardent n’est pas réussi, oui, il manque le récit du veau d’or, oui, les dialogues sont improbables, mais tout ceci n’en fait pas un mauvais film. Exodus, est une réécriture moderne du mythe de Moïse, correspondant au genre du cinéma de divertissement. Ridley Scott a réussi à se détourner des codes d’une adaptation stricte malgré les critiques, et le résultat est passable, mais agréable.
Pour d’autres avis sur Exodus, voici quelques critiques complémentaires :
http://www.filmosphere.com/movies/exodus-ridley-scott-2014/
http://smallthings.fr/2014/12/30/exodus-gods-and-kings-avis-critique/
- L’ambiance du film
- La représentation du divin
- Christian Bale
- Les personnages sous-développés
- Les effets spéciaux irréguliers
- Les incohérences et approximations historiques