Hwayi, une tragédie monstrueuse.
Hwayi (sous-titré Monster Boy en occidentalisé) raconte l’histoire d’un petit garçon, élevé par cinq tueurs constituant un gang redoutable : le serpent à cinq doigts. Comment cette âme innocente a-t-elle bien pu atterrir au milieu de ces criminels endurcis, vous demanderez-vous ? La réponse est immanquablement tragique. Le pauvre bambin fut victime d’un enlèvement contre rançon, le kidnapping tournant mal. Au lieu de tuer le petit, les assassins décident de l’élever, devenant des pères plus ou moins attentionnés. Alors que l’enfant, devenu adolescent et maintenant appelé Hwayi (Yeo Jin-Gu), fait preuve de certaines qualités pour le tir, le gang hésite à le garder avec lui et voudrait le voir partir étudier l’art, loin de la Corée Du Sud. Mais les « pères » ne s’entendent pas, et décident de mettre en situation Hwayi de la plus dramatique des façons.
Avec ce Hwayi, nous retrouvons avec un plaisir non feint Jang Joo-Hwan. Ce réalisateur Coréen n’est pas un illustre inconnu, car il est l’auteur de l’un des meilleurs films en provenance du pays des matins calmes, depuis le début des années 2000. En effet, c’est à cet homme que nous devons Save The Green Planet, film méconnu mais ô combien recommandable, racontant les affres d’un homme persuadé d’une invasion extra-terrestre et qui, sûr de son coup, kidnappe un riche patron qu’il soupçonne de venir d’une autre planète. Évidemment très social, barré mais jamais lourdingue, ce premier film très remuant n’a pas été bien reçu. Pire, le bide fut aussi retentissant que cruel. Alors, Jang Joo-Hwan disparut du radar pendant de longues années, et tomba peu à peu dans l’oubli des cinéphiles. Mais miracle, revoilà le réalisateur ! Avec Hwayi, il retrouve le thème du kidnapping, très en vogue un peu partout grâce au succès des Taken. Mais si le synopsis paraît plus sage que son précédent film, il serait mal venu d’enfiler ses charentaises en espérant voir en Hwayi un bon petit divertissement inoffensif…
Hwayi s’inscrit dans la tradition, encore assez fraîche, des thrillers Coréens. Et, actuellement, il s’agit certainement du pays le plus en forme dans ce genre, pour plusieurs raisons qu’on retrouve ici. La façon de passer d’un style à l’autre, dans un même film, tout en gardant à l’esprit le genre initial, apporte une originalité réjouissante. Hwayi est certes un thriller, mais les toutes premières secondes vous démontreront que Jang Joo-Hwan est de ces metteurs en scène qui ont compris que ne pas se limiter à une case, et à ses codes, peut être payant. L’enfant est plongé dans le noir, et autour de lui rôde un monstre. Cette intervention du fantastique est justifiée par l’un des thèmes de Hwayi, qui est le passage à l’âge adulte, marqué par l’acceptation de la bête en nous. L’histoire se développe, et une autre thématique rentre en jeu : le conflit de l’adolescent avec le faux-parent. Le film fait étonnamment preuve de finesse à ce sujet, et permet une réflexion à propos du danger qui peut se trouver dans sa cellule familiale, mais aussi en-dehors avec une famille de substitution. Le tout n’est pas d’être « l’enfant de », mais l’éducation de celui-ci. Hwayi décrit, sans être trop long, le quotidien de cette instruction, ce qui donne des séquences comiques en forme de cassures rythmiques. On pensera à ce moment de drôlerie où l’un des pères de l’adolescent, bourré comme un coing, demande à son « fils » de prendre le volant. Cette folie finira par une poursuite avec des policiers pas très affutés. Signalons d’ailleurs l’aspect redondant de ces flics complètement à la ramasse, qui ne manqueront pas de rappeler ceux de Taxi. Ces changements de ton pourront faire grincer des dents un public en recherche de confort, mais ces scènes sont à la fois ce qui fait l’imprévisibilité de Hwayi et sont indispensables pour ce qui vient ensuite.
Car Hwayi reste un thriller, et du genre énervé. Tout est étrangement agréable, voir léger pendant la première moitié du film, et même si la situation de l’adolescent est terrible pour le spectateur, rien ne pouvait préparer à ce qui intervient à mi-métrage. L’intervention de la cruauté absolue, l’impensable. Pas seulement pour l’hémoglobine versée, insignifiante au fond, mais pour la valeur de l’acte, sa totale immoralité, qui n’aurait pas eu autant d’effet sans l’interprétation, toute en retenue, d’un Kim Yun-Seok très à l’aise dans son rôle de leader du gang. Il faut remonter à Old Boy, autre film Coréen, pour retrouver trace d’une telle atrocité fondamentale. Dans le film de Park Chan-Wook, l’épouvantable était contenu dans l’ultime twist, dans Hwayi elle fait partie de l’histoire. On n’est pas en présence d’un film à retournement de situation final. Non, on a le temps de bien s’imprégner de la chose, donc de ressentir de l’empathie pour l’adolescent plongé dans la douleur la plus insoutenable. Alors, l’œuvre plonge dans un excès qui pourra choquer un public non-averti. La colère de Hwayi n’a pas de limites, et l’éducation dont il fut la cible lui sert à châtier, à punir, à reprendre sa liberté. Le film devient alors haletant et enchaîne les séquences mémorables. On retiendra le morceau de bravoure, très Reservoir Dogs (donc très City On Fire, rassurons les cinéphiles pointus), du rassemblement dans un hangar désaffecté, avec le Mexican standoff (ou impasse Mexicaine, cette situation tendue où tout le monde se met en joue). Là, on atteint le summum de la séquence de gunfight, aucunement typé ballet à la John Woo, mais terriblement glaçant par sa violence brutale. Les impacts de balles font mal, excessivement mal. C’est d’ailleurs une des réussites de Hwayi, que de bien retranscrire la douleur, ne pas la banaliser.
Formellement, Hwayi rend une copie de qualité. Le montage sait suivre le rythme de l’intrigue, contrairement à beaucoup de productions actuelles (coucou les Jason Bourne). On n’est jamais perdu dans l’action, la recherche du plan efficace est à saluer. Le tout est baigné par une lumière très Coréenne, et c’est peut-être ce qui fait qu’on a du mal à être très surpris visuellement. Très noire, voir terne afin de coller à l’ambiance sombre du film, l’image est d’ailleurs soutenue par le beau travail de l’éditeur Wild Side. La bande originale est elle aussi un peu conventionnelle pour une production Coréenne. Mowg, compositeur remarqué depuis ses bons travaux sur J’ai Rencontré Le Diable et Le Dernier Rempart, signe un score qui sonne juste, jamais désagréable entendons-nous bien, mais pas assez marquant, voir parfois un peu impersonnel. Le Blu Ray, quand à lui, fait le boulot et met bien en relief les différents éléments sonores. C’est un plaisir que de regarder et écouter Hwayi et tant mieux : c’est un sacré bon film.
- Délicieusement cruel.
- Mélange des genres réussi.
- La séquence du hangar...
- Les policiers vraiment débiles.
- La musique impersonnelle.
- Pas de sortie cinéma, triste...