Qu’Allah Bénisse La France, tout est dans le titre.
Qu’Allah Bénisse La France est une autobiographie de Abd Al Malik (Marc Zinga). Son histoire débute alors que ce dernier s’appelle encore Régis Fayette-Mikan et habite au Neuhof, l’un des quartiers les plus défavorisés de Strasbourg. Fils d’une mère Congolaise, sa vie oscille entre un amour sans limites des lettres, qu’il exprime par le rap, et une délinquance qui semble lui coller à la peau comme un mauvais réflexe. Au milieu de cet équilibre précaire vont intervenir deux éléments, deux chances : l’amour (Sabrina Ouazani) et l’Islam. Ces deux données vont changer à jamais la vie de Régis, devenu Abd Al Malik.
Qu’Allah Bénisse La France commence tambour battant avec une séquence en forme de résumé de certains stéréotypes de banlieues. On y découvre une bande de jeunes, pas spécialement dangereuse mais agressive envers les forces de l’ordre et particulièrement insultante envers la France. L’un d’eux lance une pierre sur le fourgon de police qui passait par là. Puis des images défilent, on y voit le quotidien du quartier. Visuellement, c’est d’une beauté étonnante. Ce sera une constante pendant tout le film : Abd Al Malik n’a pas son pareil pour filmer les blocs de béton, leur donner une âme, de l’amour, et finalement montrer la beauté insoupçonnée de ces endroits. Retour sur la petite bande, rattrapée par les policiers et embarquée. Dans le fourgon, Régis retrouve son frère, Pascal, lui aussi en direction de la garde à vue. S’ensuit un dialogue qui sonne la fin de la récréation pour les amateurs de clichés : Qu’Allah Bénisse la France ne sera pas pour eux.
Avec Qu’Allah Bénisse La France, Abd Al Malik se met en danger, aussi bien formellement que fondamentalement. Qu’on soit clair, on a rarement vu aussi courageux pour un premier film. Le style, tout d’abord, est un équilibre fragile entre néo-réalisme et esthétique de clip. Aussi étrange que ça puisse paraître, le mélange marche au-delà des espérances et donne un résultat qui prend aux tripes. On peut même oser dire, en pesant chaque mot, que Abd Al Malik réussit là où la nouvelle vague a échoué : en utilisant le cinématographe dans le but de montrer le vrai, tout en gardant à l’esprit le goût du public actuel pour l’effort stylisé. Mais le metteur en scène ne cède jamais à la mode du montage impressionniste, éclaté comme un programme MTV, bien au contraire, et passe du temps à prendre son temps grâce à un montage rythmé mais pas du tout épileptique. La caméra colle aux visages, aux basques des personnages et ces derniers sentent le réel. Ça parle vrai, ça bouge vrai, ça agit vrai, le tout magnifié par une lumière bien travaillée pour un noir et blanc tout simplement maîtrisé. Bien sûr, on pense à La Haine, d’ailleurs Abd Al Malik lui emprunte son chef opérateur, mais il serait réducteur de réduire ce choix au film culte de Kassowitz. L’architecture de l’environnement, le quotidien des Hommes, tout fait que ce choix de colorimétrie était inévitable à la vision de Qu’Allah Bénisse La France. Une vision dictée par le regard nostalgique de Abd Al Malik, qui magnifie le milieu dans lequel il a tant vécu avec un superbe cinémascope.
Qu’Allah Bénisse La France fera certainement parler sur le vécu en question. Comme dit plus haut, le film est courageux sur le fond car il ose poser les bonnes questions, et emmène une véritable réflexion sur la réception de l’Islam notamment par les médias. Là où Abd Al Malik cartonne, c’est quand il laisse parler sa philosophie de vie, son humilité, à travers la prestation épatante de Marc Zinga. On le découvre sous une forme embryonnaire, pas encore converti. Régis de son prénom est à la limite de la rupture, vit ce que beaucoup vivent dans ces quartiers : l’amitié qui, parfois, mène à des actes regrettables. Qu’Allah Bénisse La France ne se permet aucunement de juger, et, dans ce positionnement philosophique, on retrouve un peu de ce qui faisait le talent de Kurosawa. Abd Al Malik est un représentant du cinéma humaniste, le vrai, celui qui refuse les condamnations à l’emporte-pièce. Ainsi, nous le retrouvons auteur de larcins tellement contre-productifs et en désaccord avec ses futurs principes de vie que l’auteur préfère, parfois, les laisser hors-champs. Et alors que Régis commence à s’enliser, l’expiation intervient. Un meurtre, toujours hors-champs, d’un jeune qui se tenait aux côtés du personnage principal. Éclaboussé de sang, tellement apeuré qu’il s’en pisse dessus, cette séquence de Qu’Allah Bénisse La France marque à la fois le spectateur et le début d’une prise de conscience qui se magnifiera avec la conversion à la religion musulmane.
Et voilà le sujet immanquable de Qu’Allah Bénisse La France. Régis trouve en même temps l’amour et l’Islam. Sabrina Ouazani incarne une Nawel touchante, qui lit un ouvrage sur le soufisme au Maroc et donne envie à Régis de s’informer, d’apprendre ce qu’est le mysticisme de cette religion, ses pratiques, ses doctrines. On ne rentre jamais dans les détails, et le film ne prêche jamais. Non, il donne à voir comment un jeune homme au grand potentiel, mais sur la mauvaise pente, trouve la paix intérieure grâce à une spiritualité, en l’occurrence l’Islam. Que les athéistes intégristes (oui, ça existe, et ils sont bruyants) respirent, Abd Al Malik ne demande à personne de se convertir. Calmos. Non, il montre une pratique de la religion loin, très loin de ce qu’un Eric Zemmour peut décrire, qui apporte la paix intérieure en cicatrisant la violence béante de l’environnement des quartiers défavorisés. On a en tête la très belle séquence de l’ablution, ce nettoyage spirituel à effectuer juste avant la prière. Qu’on est loin de la description des barbus fous dangereux qu’aime à décrire une Marine Le Pen qui mélange tout. Pour autant, Qu’Allah Bénisse La France n’oublie pas qu’il existe un risque. Mais pas spécialement un extrémisme, plutôt un excès. Car Abd Al Malik sait, et il a raison, que l’important n’est pas de montrer le résultat qui est effectivement extrême, mais le cheminement, qui peut expliquer beaucoup de choses si on a le courage de regarder la vérité en face. Quand on a connu les grands errements, trouver des règles de vie peut être déroutant. Et comme un ancien fumeur devient le plus agaçant des anti-fumeurs, l’ancien délinquant a tendance à trop vouloir se racheter. C’est ce qui arrive à Samir (Larouci Didi), et le film défie qui que ce soit de continuer à affirmer les horreurs que l’on entend non-stop depuis quelques temps à propos de la religion musulmane. Avec Qu’Allah Bénisse La France, Abd Al Malik réussit à dissiper les malentendus tout en pointant certains responsables, comme une presse qui joue les excitants d’une ignorance coupable, tout en se donnant des airs humanistes. La séquence de l’interview par un journaliste cachant bien son jeu, qui donne un article nauséabond, révoltant, est un grand moment à la fois affligeant et nerveusement drôle.
Qu’Allah Bénisse La France sait aussi être très drôle, et nul doute que le public rira à gorge déployée devant quelques situations que les habitants des quartiers de banlieue ne peuvent que reconnaître. Certaines tranches de vie sont touchantes de réalisme, comme la mère de Brice qui déforme le nom de la future classe préparatoire de son fils, l’hypokhâgne, en « hippocampe ». Ou encore l’oncle qui vient chercher Régis au commissariat, très courte scène mais qui sonne tellement vraie. Véritable boîte de chocolat, ce premier film propose tellement de sujets, de sentiments, qu’on peut être un peu dépassé. Les thèmes s’enchaînent, et certains diront, à tort, qu’ils sont survolés. A tort, car Qu’Allah Bénisse La France suit le quotidien d’un personnage, il ne peut s’arrêter sur tel ou tel sujet. On colle aux pensées de Abd Al Malik, comme cette réflexion sur les dégâts profonds qu’a pu causer un film comme Scarface dans les banlieues. C’est court, mais assez authentique pour s’imbriquer dans ces quelques moments d’une vie balbutiante et pourtant déjà bien remplie. Alors arrive la fin dans un moment de plénitude total, et une image du vivre ensemble véritable, pleine d’espoirs. Qu’Allah Bénisse La France et ce film.
- Très loin des clichés sur la banlieue.
- Photographie maîtrisée.
- Grosse performance de Marc Zinga.
- Petite impression de fouilli.
- Si on n'aime pas le slam...