Après avoir brillé aux Oscars, Birdman (ou la surprenante vertu de l’ignorance) s’impose comme l’un des meilleurs films de ce début d’année.
Réalisé par Alejandro Iñárritu, Birdman détonne par son originalité, son casting, et surtout sa mise en scène. On redécouvre ici Michael Keaton dans ce film qui nous amène dans les coulisses de Broadway et d’Hollywood au long de ce surprenant film en plan séquence.
Broadway à s’en brûler les ailes
Riggan Thomson est un acteur mondialement connu pour son rôle de Birdman, super-héros flamboyant des années 1990. Vingt ans plus tard, c’est sur la scène mythique de Broadway qu’il souhaite se refaire en nom, en adaptant et interprétant une pièce de Raymond Carver. Le défi de Riggan ne se fait pas sans difficultés, notamment à cause du remplacement d’un comédien par l’incontrôlable Mike Shiner (Edward Norton), des coups de gueule de Sam, sa fille sortie de désintox (Emma Stone) et des commentaires de Birdman, son alter-ego intérieur à la voix grave et aux grandes ailes noires.
Ce qui est intéressant avec le personnage de Riggan Thomson, c’est évidemment le parallèle que l’on peut faire avec Michael Keaton, ayant lui-même interprété le héros Batman dans le film de Tim Burton de 1989. La nuance reste cependant claire, Michael Keaton ne souffre pas de la réputation que Riggan se traîne dans Birdman. Plutôt populaire parmi les fans du chevalier noir, on l’a récemment vu dans des films comme Robocop et Need for Speed. Cependant, sa performance dans Birdman n’a rien à voir avec ses films : il livre ici un personnage complexe qui cherche à prouver au grand public et à sa famille qu’il est un véritable acteur et non pas une célébrité ringarde.
Les autres acteurs principaux ne sont pas en reste. Edward Norton incarne Mike Shener, acteur vedette de la pièce, un personnage sans aucune limite qui donne du fil à retordre à Thomson. Un nouveau parallèle est visible étant donné que le personnage de Mike est incontrôlable, vaguement à l’image de Hulk, le titan vert de chez Marvel que l’acteur a interprété en 2008. Emma Stone ajoute une corde à son arc avec le personnage de Sam, ancienne toxico bien loin de ses rôles dans The Amazing Spider-Man et Magic in the Moonlight. On regrette que sa relation avec son père ne soit pas plus développée, malgré une scène de dispute convaincante pour laquelle l’actrice a été nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.
Parmi les personnages, il ne faudrait pas non plus oublier celui qui donne son nom au film : le super héros à plumes Birdman. Pour une bonne partie du film, il n’est montré qu’à travers une affiche dans la loge de Riggan Thomson et une grosse voix (qui fait penser à celle de Christian Bale dans les films Batman de Nolan). On le voit finalement en deuxième partie du film, lors d’une scène de prise de conscience de Riggan vis-à-vis de sa carrière. Si le personnage est clairement imaginaire, les facultés dont est doté Riggan sont, elles, bien étranges. A plusieurs reprises, on le voit déplacer des objets façon télékinésie sans savoir s’il possède ces dons ou non, et le film se clôture sur un événement qui ne donne aucune réponse à cela. Bizarre, certes, mais cela rajoute une note de mystère à Birdman, histoire de laisser le public encore moins indifférent.
Quand la forme prend tout son sens
La première particularité de Birdman, c’est avant tout sa mise en scène en un long plan séquence de deux heures. Aucun cut n’est clairement visible à l’écran (mis à part quelques-uns en fin de film), la caméra glisse entre les loges et la scène sans jamais perdre de vue un personnage. Ce choix de réalisation plonge le spectateur dans le film, qui ne souffre pourtant pas de problèmes de rythme. Pour ce plan séquence, on ne peut que deviner des astuces de montage lorsque la caméra passe dans un couloir sombre ou reste fixe vers le ciel pour créer une ellipse. Les seuls cuts nets illustrent en fait le réveil de Riggan, et reste ainsi cohérent dans le suivi du point de vue du personnage.
Autre élément important : la musique. Dans Birdman, elle est intégralement intra-diégétique, ce qui signifie qu’elle fait partie du film et qu’elle est audible par les personnages. Besoin de rythmer une scène où Riggan et Mike marchent dans la rue ? Pas de problème, un batteur a justement posé là son instrument pour une petite impro du plus bel effet. Très bien gérés, ces éléments sont d’abord complétement inattendus mais se révèlent être très drôles. La lumière, quant à elle, illustre le cheminement du film et du personnage. Birdman s’ouvre dans la loge de Riggan, où peu de lumière filtre. Les répétitions et les discussions avec son producteur (joué par Zach Galifianakis) se situent soit sur la scène, soit dans les coulisses peu éclairés, ce qui montre les difficultés qu’à Riggan à gérer sa pièce. A l’inverse, lorsque Thomson marche dans New-York et réalise que, quelque part, il est toujours Birdman, se déroule en plein jour. La mise en scène, la musique et l’éclairage, tout dans la forme de Birdman souligne les subtilités du propos et des personnages.
L’envol aux Oscars
Dimanche 22 février dernier, Birdman et son équipe ont raflé les précieuses statuettes des Oscars pour « meilleur film », « meilleur réalisateur », « meilleur scénario original » et « meilleure photographie ». Un palmarès bien mérité mais qui reste quelque part surprenant au vu du propos sous-entendu dans le film. Birdman raconte la quête de reconnaissance d’un ancien acteur de blockbusters qui souhaite prouver son talent dans un lieu auquel il n’appartient pas. Entre pagailles en coulisses, bévues sur scène, et l’avis acerbe d’une journaliste critique ayant juré de détruire sa pièce, Riggan pense en son for intérieur qu’il ne parviendra pas à son but… à tort. L’ambiguïté du film repose sur la confrontation du monde d’où vient Riggan, les blockbusters (mis en image avec des explosions dans les rues de New-York et un superbe oiseau mécanique géant) contre celui plus élitiste de la profession, fermé aux outsiders. Cette mise en abîme du cinéma actuel fonctionne dans deux sens : même si Riggan incarnait un super héros, il méprise aujourd’hui la multitude d’adaptation du genre que l’on trouve actuellement sur grand écran – et à l’inverse, si jouer sur les planches de Broadway est une chance rare, on se frotte ainsi aux idées préconçues des critiques. En un mot, rien n’est tout blanc ou tout noir. Birdman illustre en fait la frontière très mince entre ces deux univers, différents mais complémentaires vis-à-vis du public. Une métafiction au sous-propos si ambitieux largement récompensée par les membres de l’Académie des Oscars, il y a ici de quoi faire taire les sceptiques, convaincus que la statuette n’est attribuée qu’aux films « à Oscars ». Avec Birdman, Alejandro Iñarritu porte sur le cinéma actuel un regard bienveillant en vue de casser les codes, qui nous rappelle, qu’au fond, il n’y a pas ni bon ni sous-cinéma, mais simplement une large gamme de films pour satisfaire tous les goûts.
Pour d’autres avis sur Birdman, voici les critiques de chez Première et Ecran Large.
- La mise en scène en plan séquence
- Des acteurs au top
- La musique intra-diégétique
- Des personnages secondaires inégaux