Charlie’s Country ou l’art de signer un film superbe sur les Aborigènes
Charlie’s Country, c’est le petit film dont on n’a quasiment pas entendu parler, mais qui se trouve être une véritable pépite. Il possède d’ailleurs déjà à son palmarès une sélection au Festival de Cannes cette année dans la catégorie Un Certain Regard, et il représentera l’Australie aux Oscars début 2015.
Au-delà de son CV, Charlie’s Country est d’abord une aventure humaine qui reprend un thème fondamental pour son réalisateur Rolf de Heer : les Aborigènes dans l’Australie actuelle. Loin d’être ennuyeux ou larmoyant, le film réussit à faire l’état des lieux d’une situation alarmante avec une grande délicatesse.
Charlie’s Country suit les tribulations de Charlie, un ancien guerrier Aborigène autour de la soixantaine (le réalisateur ne lui donne d’ailleurs pas d’âge), qui a été élevé dans la tradition de son peuple et a grandi dans le bush. Les choses ont toutefois bien changé depuis sa jeunesse. Alors que le gouvernement australien régit de plus en plus sa communauté, Charlie se joue et déjoue des policiers sur son chemin. Déboussolé, perdu entre deux cultures, il décide de retourner à ses racines dans le bush.
Tout le film réside d’ailleurs dans cette ambivalence : Charlie n’accepte pas ce monde moderne avec ses lois incompréhensibles, que ce soit l’usage de l’argent qui ne signifie rien pour sa communauté, ou la nécessité d’avoir un permis pour posséder une arme. Pour autant, un retour total à la nature du bush s’avère beaucoup plus difficile que prévu pour qui a connu le confort même relatif du monde moderne. Rolf de Heer nous fait comprendre, sans pointer du doigt le ou les responsables, que son personnage, et à travers lui le peuple Aborigène, n’a en fait plus sa place dans notre monde : il lui est impossible de s’intégrer totalement dans le monde contemporain, il lui est impossible de se gouverner lui-même ou de posséder une assemblée (en cela la situation diffère de celle des Indiens d’Amérique), et il lui est pour autant désormais impossible de retourner à son mode de vie ancestral.
Charlie’s Country va encore plus loin puisque cet état de restriction oppresse de plus en plus son personnage au niveau visuel : les grands paysages naturels dans lequel les gens vont et viennent à leur guise font place au bitume de la ville et à ses quelques rues et parcs sales, avant que l’espace ne se restreigne à des vues intérieures de quelques bâtiments, puis à un fond noir où seul le visage du personnage est visible.
Ce Charlie magnifique, bravache, aux yeux si expressifs qu’ils donnent envie de pleurer parfois est incarné par l’Aborigène David Gulpilil, qui avait déjà collaboré auparavant avec Rolf de Heer et a participé à l’écriture du scénario avec celui-ci. C’est simple, David Gulpilil crève l’écran, dans un jeu tellement instinctif, tellement juste qu’on reste scotché sur son siège, fasciné, désarmé par une capacité à exprimer tant d’émotions à travers un regard. Ce regard presque insoutenable, c’est ce que je retiendrai de Charlie’s Country.
Rolf de Heer réussit la prouesse de signer un film d’une extrême finesse, où les enjeux pour la population aborigène sont clairement exposés, sans pour autant tomber dans le sentimentalisme à outrance. L’image est tout bonnement superbe, enrichie par une lumière tantôt crue, tantôt profonde, et un usage de la musique parcimonieux : de très rares nappes musicales viennent ponctuer le récit, mettant en valeur les instants où la seule musique que l’on entend est celle des pas sur la piste de la forêt, le crissement des insectes ou le passage d’une mouche. Charlie’s Country possède un charme tel qu’il nous emmène loin pendant ses 1h50. On n’en demande pas plus. Un superbe moment de cinéma.
- L'acteur principal aborigène David Gulpilil
- L'image est superbe
- L'usage fin de la musique
- Un peu long ?