Fidelio ou l’odyssée d’Alice: comment trouver son port d’attache amoureux.
Fidelio ou l’odyssée d’Alice, premier film de Lucie Borleteau, réunit une belle distribution : Melvil Poupaud joue Gaël, le commandant du Fidelio, Anders Danielsen Lie (bouleversant dans Oslo 31 août) Félix, l’amoureux à terre d’Alice jouée par Ariane Labed qui vient de recevoir pour ce rôle le prix d’interprétation féminine du Festival de Locarno. Une distribution alléchante! Comme le film? Prêt pour embarquer?
Fidelio ou l’odyssée d’Alice, un superbe portrait de femme
Alice travaille comme mécanicienne dans la marine marchande. Elle a un amoureux, Félix, un dessinateur de BD norvégien. Ils semblent filer le parfait amour. Mais Alice est envoyée sur une nouvelle mission pour remplacer Legall, mort sur le Fidelio dans des circonstances bizarres. Elle va y retrouver par hasard Gaël, le commandant du Fidelio, son ancien grand amour. Va-t-elle replonger?
Alice travaille au sein d’un univers uniquement composé d’hommes (d’où sans doute le titre du film qui fait référence à l’opéra éponyme de Beethoven où l’héroïne se transforme en homme pour sauver son amant). Mais pas de transformation nécessaire pour Alice, qui assume parfaitement son rôle et sa féminité, même en bleu de travail et écoute les amours de passage de ses confrères au gré des escales dans les bars louches des ports. Elle laisse aussi aller son désir comme avec Gaël avec qui elle partage de beaux moments de sensualité fort bien filmés. Superbement interprétée par Ariane Labed, elle sait jouer de sa gestuelle et de son regard pour en imposer dans ce milieu d’hommes et incarner ce destin de femme libre, son menton fier toujours tourné vers l’horizon.
Fidelio ou l’odyssée d’Alice, retrouver son port d’attache comme Ulysse?
Alice revient à terre à la fin de sa mission et, tel Ulysse qui, malgré les tentations de Circé, Calypso et consorts, retrouve Pénélope, retrouve elle aussi son amoureux, Félix, son port d’attache comme elle le lui dit dans une scène. Félix qui apprécie ces parenthèses et ces retrouvailles, ce moment où « je te reconnais et je ne te reconnais pas, comme si c’était la première fois ». Tout irait pour le mieux si Alice ne parlait de sa relation avec Gaël à sa meilleure copine, lui montrant même une photo de leurs étreintes sur son téléphone portable. Naturelle, elle assume cette double relation sans trop se rendre compte que Félix risque d’en prendre ombrage lorsqu’il s’en apercevra. Alors que faire? Comment assumer « plusieurs lignes de cœur » comme le lui révèle un homme rencontré dans un port? Souhaite-t-elle, comme ces collègues de la marchande, ne vivre que des relations épisodiques? Comment laisser la place à chacun de ces deux hommes dont elle semble sincèrement amoureuse? Vers lequel se tourner comme port d’attache de sa vie? Et si finalement pour elle, c’était le Fidelio, son port d’attache avec ses rencontres, ses découvertes, cet ailleurs. La question taraude d’autant plus Alice que le film tend en contrepoint de l’histoire la lecture du carnet de bord de Legall, récemment disparu, qui parle de sa solitude affective, égayée momentanément par des filles de bar lors de soirées de fête, et de sa douleur de ne point pouvoir dire je t’aime à quiconque quand il revient à terre. Lecture qui donne de l’épaisseur au personnage d’Alice et un réel sens du récit au film.
Fidelio ou l’odyssée d’Alice, un amour en vase clos
Comme dans Grand Central de Rebecca Zlotowski, sorti en 2013, qui traite d’une histoire d’amour dans une centrale nucléaire, Fidelio ou l’odyssée d’Alice transporte son histoire et son intrigue amoureuse dans le sous-sol d’un cargo, dans le monde bruyant de la salle des machines où les engrenages vibrent, l’huile coule dans les rouages, les boulons tremblent, où tout menace, à tout instant, de rompre et de s’interrompre. Belle métonymie de la difficulté de faire fonctionner durablement des sentiments (« les sentiments, ça bouge tout le temps » dira Félix), de la confusion des sentiments dans laquelle baigne Alice sans que cela ne l’étourdisse. Non, elle est ancrée dans la vie et sait se fixer un cap et le garder. Le film tisse ainsi grâce à un scénario bien construit, une interprétation convaincante, des plans originaux de cette salle des machines prenant presque forme humaine et des vues splendides de la mer qui abrite cette confusion et cet appel vibrant à la liberté des désirs, un écheveau complexe d’incertitudes qui préside souvent à l’amour.
En résumé, Fidelio ou l’odyssée d’Alice est un premier film réussi à la mise en scène soignée. Un film qui sait filer la métaphore pour nous conter le bonheur et les difficultés d’aimer. Un film à voir.
Pour en savoir plus:
http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/fidelio-lodyssee-dalice/
- Le huis-clos des machines
- Ariane Labed magnifique
- Les images de la mer
- L'utilisation ponctuelle des dessins de Félix