Foxcatcher, une lutte tragique
Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, Foxcatcher est également le nom de la base d’entraînement que John E. Du Pont (Steve Carell), un magnat de l’armement, a décidé de monter avec l’aide des frères Schultz, médaillés d’or aux J.O de Los Angeles en 1984, incarnés par Channing Tatum (Jupiter : Le Destin de l’Univers, La grande Aventure Lego, 22 Jump Street) et Mark Ruffalo (New York Melody, The Normal Heart, Insaisissables). Tiré d ‘un fait réel, Foxcatcher nous fait suivre les péripéties de ces lutteurs qui se préparent pour les jeux de Séoul. Mais ce n’est qu’un prétexte pour Bennett Miller, le réalisateur de Truman Capote, qui élargit ensuite son récit et en tire un film nimbé de mystère sur l’Amérique d’alors (la fin des années Reagan) et les rapports de domination entre les personnes. Foxcatcher, c’est aussi cette chasse à courre contre les renards, une canalisation de la violence et de la cruauté au travers de rituels sociaux organisés.
Foxcatcher, un film sur l’emprise
Ce n’est pas un hasard si Foxcatcher se déroule dans ce monde de la lutte où la prise sur l’autre, sur son corps, compte beaucoup dans le combat et la victoire. Bien positionner ses mains, son corps, ses hanches conditionne l’issue du duel. C’est un peu similaire à l’emprise présente dans Foxcatcher. Celle que prend très vite John E. Du Pont sur un des frères Schultz, le plus jeune, sans doute aussi le plus fragile, grâce à son argent et à sa philosophie patriotico-libérale. Il s’achète son comportement docile en comptant le voir propulser les couleurs des Etats-Unis et de son centre d’entraînement au sommet de la lutte aux prochains J.O. Foxcatcher évoque donc cette soumission de Schultz, qui semble dans cette position inconfortable, que l’on retrouve lors des corps-à-corps des combats, avec un poids sur les épaules (qu’il porte d’ailleurs très basses dans tout le film), mental celui-ci, auquel il résiste mais qui le séduit lui, le fils abandonné dès l’âge de deux ans, et dont même la nation semble l’avoir oublié malgré sa médaille d’or. Il y a dans Foxcatcher une scène fascinante qui dit en beaucoup sur l’emprise que Du Pont exerce sur Schultz devenu son faire-valoir, son perroquet : dans l’hélicoptère qui les conduit à une réception où le tout-Washington est réuni, Du Pont oblige Schultz à lui réciter le discours que ce dernier doit prononcer à la gloire de son mentor. Trois mots reviennent, sur lesquels bute Schultz : « Ornithologist », « Philanthropist » et « Philatelist ». Là, avec un sourire pincé et une fausse complaisance, Du Pont l’oblige à sniffer une ligne de cocaïne et à lui répéter comme un perroquet, les trois adjectifs comme une rengaine auto-célébratrice.
Foxcatcher ou la troublante personnalité de John E. Du Pont
Servi par un prodigieux Steve Carell, un acteur venu du comique, qui interprète la folie de John E. Du Pont avec ce qu’il faut de grotesque et de terrifiant, Foxcatcher, grâce à une mise en scène qui sait insuffler du mystère dans le trouble de ces relations et ces rapports de domination auxquels chacun des protagonistes succombe, mis à part Dave le frère aîné, qui, après des refus, accepte enfin de venir avec sa famille dans le clan Foxcatcher pour soutenir son frère et tenter un dernier défi à Séoul. Mais John E. Du Pont paraît lui aussi avoir bien du mal à se séparer de l’emprise de sa mère interprétée par une poignante Vanessa Redgrave (Le Majordome, Blackbox). Foxcatcher, c’est toujours son domaine à elle, avec ses écuries et ses pur-sang superbes qu’elle regarde s’ébrouer dans le parc. Foxcatcher, c’est aussi John E. Du Pont qui essaie de se faire reconnaître par sa mère à travers la lutte. La scène où il pose le trophée qu’il vient de gagner au championnat vétéran de lutte est superbe. La vieille dame le regarde et, narquoise, elle lui demande combien il a payé pour l’avoir, refusant même de voir ce trophée figurer dans la salle des médailles et récompenses hippiques. John E. Du Pont en souffre et Foxcatcher analyse fort bien le glissement de cet homme vers la folie et ses caprices de petit garçon. Son club de lutte est pour lui son petit jouet, Foxcatcher la concrétisation d’une ambition fallacieuse et puérile.
Foxcatcher, une image de l’Amérique?
En regardant, on ne peut s’empêcher de penser que ce film raconte aussi l’Amérique et ses démons : les armes tout d’abord, dont Du Pont tire l’essentiel de sa richesse. Elles sont fréquemment présentes dans la propriété Foxcatcher, sous la forme de revolvers ou même de tanks que Du Pont se fait livrer sur place comme un énième jouet. La mise en scène tire vers le grotesque quand on voit Mark Schultz sauter sur le toit du tank comme sur un trampoline tandis que Du Pont rabroue sévèrement le militaire pour ne pas lui avoir livré la mitrailleuse qui s’adapte sur le toit du tank. Grotesque aussi, quand Du Pont plaide pour un patriotisme renforcé d’une sorte de libéralisme à la mode au moment de la présidence Reagan. Foxcatcher, c’est aussi cette démesure de la richesse et cette folie qu’elle engendre sans limites, sauf quand elle bute sur la tragédie. Oui il y a aussi dans Foxcatcher comme un miroir de l’Amérique et de ses démons, incarnés par ce milliardaire schizophrène.
Foxcatcher brasse tous ces thèmes avec un sens aigu des rapports humains, le maintien constant d’une tension palpable avec notamment un travail superbe du son (feutré dans l’appartement de Du Pont ), des personnages éblouissants comme ce John E. Du Pont, l’aigle doré de Foxcatcher, grimé, maquillé, à la limite du grotesque comme quand il veut devenir lutteur. Mais c’est avant tout un cinéma glaçant de précision et d’effroi devant l’emballement de cette histoire, ce soudain surgissement du drame dans lequel les lutteurs se débattent, comme lors d’un combat. La scène de Foxcatcher où semble se cristalliser cet ensemble est celle où Dave, le seul conscient de l’enjeu, doit, pour la gloire de Foxcatcher, dresser les louanges de Du Pont, leur mentor à tous devant une caméra. Et là, Dave se redresse, ne pouvant aller jusque-là, à laisser sur la pellicule la trace de sa complicité dans la machination dans laquelle il n’est finalement qu’un jouet emporté par la folie et l’argent de Du Pont, le boss de Foxcatcher.
Foxcatcher, vous l’aurez compris, est un film à voir absolument!
A lire aussi sur Foxcatcher : http://tempsreel.nouvelobs.com/cinema/20150120.OBS0363/foxcatcher-c-est-la-lutte-finale.html
- La mise en scène
- Steve Carrell excellent
- Rien!