Gone Girl : le règne des apparences
Nick Dunne (Ben Affleck) est un trentenaire désabusé par son mariage avec la merveilleuse Amy Elliott Dunne (Rosamund Pike). Le jour de leur cinquième anniversaire de mariage, la jeune épouse disparaît sans laisser de traces… S’ensuivra un combat acharné de Nick pour prouver son innocence face à la justice et aux médias, au fur et à mesure que les preuves de sa culpabilité vont s’entasser. Mari menteur, mari infidèle… Mais où est donc passée Amazing Amy ?
/!\ Attention, risque de légers spoilers /!\
Il me sera difficile de parler de Gone Girl sans vous révéler le fin mot de ce mystère mis en scène par David Fincher, maître du suspense de ce siècle, mais je vais m’efforcer de faire au mieux. Gardez à l’esprit durant votre visionnage de Gone Girl qu’absolument chaque plan sert le film, qu’aucun détail montré à l’écran n’est anodin ou figuratif, et que chaque discussion, même la plus banale, aura à coup sûr des répercussions plus tard dans l’intrigue.
Nous entrons dans la salle en sachant que devant nous se tissera un mystère à résoudre et en effet, tout au long du film les problématiques du jeu de piste, les questions et mystères se succèdent. L’une des premières séquences nous présente la première apparition d’un Ben Affleck au regard presque vide, fatigué, et portant une boîte de jeu Mastermind sous le bras. Vous vous rappelez quand je vous parlais de l’importance de chaque détail, même le plus anodin ? Cette boîte en est une belle preuve, et démontre du même coup tout le génie de Fincher : le film tient en ce seul plan. Cette boîte, cet arrêt sur image annonce à lui seul tout le film à venir : une partie complexe de Mastermind entre même de par son statut d’absente.
Le couple au centre de Gone Girl
Quelques mots sur les acteurs du film avant de me lancer dans mon analyse habituelle – vous commencez à me connaître. Gone Girl est porté par un quatuor. Je dis quatuor, puisque réduire le film au duo Affleck/Pike serait une erreur monumentale. Certes, Affleck endosse le rôle de ce mari trentenaire et paumé avec une grande facilité, mais il serait dommage de négliger le rôle de la figure émergente Carrie Coon, qui joue sa petite sœur Margo (mon coup de cœur du film : chacune de ses apparitions est une petite bouffée d’air frais qui fait du bien, dans cet univers plutôt pesant), ou de l’agent de police campée par Kim Dickens. Mais l’atout charme de Gone Girl, autre que son réalisateur, est bien celle qui donne son nom au film : Rosamund Pike. Les mots me manquent pour décrire sa performance ; il faut la voir jouer pour le croire. Elle incarne à la perfection l’image d’une jeune femme amoureuse, inquiétante, et surtout prête à tout pour sauver son couple. Surtout prête au pire. Elle mène en bateau son époux du début à la fin, donnant lieu aux plots twists les plus imprévisibles. De plus, notre vision des choses est souvent biaisée puisque l’histoire nous est transmise de son point de vue à elle, au travers de sa propre vision des choses, de par son journal intime. Les flashbacks sur sa vie de rêve avec Nick s’enchaînent, jusqu’au début de ses soupçons sur sa fidélité, à ses pulsions les plus refoulées… Lorsqu’enfin la vérité éclate, cette vérité qui vient se poser comme un contre-coup des apparences auxquelles on nous a fait croire.
Amy est le « mastermind » du film, le maître du jeu, celle qui tire les ficelles et fait danser son mari. Elle est le mastermind intradiégétique, celui de l’univers de fiction dans lequel Fincher nous plonge. Le rapport à la fiction de l’héroïne (anti-héroïne ?) de Gone Girl est d’autant plus flagrant qu’on apprendra par le biais de flashbacks que ses parents, écrivains, ont fait fortune grâce à une série de livres pour enfants : Amazing Amy, la vie améliorée de leur fille. Ainsi, Amy est devenue depuis de nombreuses années l’ombre d’Amazing Amy, ayant presque perdu son identité propre au profit d’un personnage de fiction – sauf aux yeux de Nick. Son aspiration à atteindre cet idéal de perfection va devenir maladif, la poussant à se constituer un rôle d’épouse parfaite en surface (pour revenir à cette enfance modèle dont elle n’a jamais profité). Le temps faisant son œuvre, on va la voir peu à peu se désenchanter de sa condition de femme au foyer jusqu’au moment déclencheur de l’intrigue, son départ, amenant son envie d’une vie fictive à reprendre le dessus. Amy vit dans le mensonge. Elle est calculatrice, manipulatrice… mais surtout absente. On assiste ici en effet à un règne des apparences, comme le dit le titre français du roman originel (« Les Apparences », ndlr). Elle va contraindre Nick à se débrouiller sans elle avec les ennuis qu’elle va consciemment, presque consciencieusement lui poser, laissant se refermer petit à petit « l’étau autour de ses couilles », comme l’a dit Mastermind Fincher en interview. Je dis Mastermind Fincher, puisqu’il agit comme le maître du jeu extradiégétique de Gone Girl, tirant les ficelles de son film et offrant à l’auteure du livre d’origine une adaptation des plus grandioses, dont tous les romanciers pourraient rêver. Fincher mène son film de bout en bout comme une entité propre, et on oubliera même que l’histoire n’est pas de lui tellement il se l’ait appropriée et y a appliqué son empreinte.
Cela dit, Gone Girl est très loin d’être simplement un thriller haletant qui laissera le spectateur bouche bée en sortant de la séance. Non. Gone Girl est avant tout un film sur le couple, sur la dualité entre deux personnes pourtant si proches auparavant. Il dresse un portrait de ce qui se cache sous l’apparence d’un couple américain modèle de banlieue, pose la femme comme une plante venimeuse et dangereuse, et l’homme comme victime de sa propre sottise. Gone Girl nous montre l’image d’un couple dont le bonheur se désagrège petit à petit, celui d’un couple pourtant parfait aux yeux du monde extérieur, mais qui subit le triste cours de la vie : un flot de problèmes s’entassant les uns par-dessus les autres, et faisant au final plier leur union sous son poids. La violence ne sera pas non plus laissée de côté. Le couple Dunne va sombrer irrévocablement dans la noirceur. Nous serons confrontés ici à tous les aléas de la vie possible : perte d’emplois, parents un peu trop pressants, une envie d’enfant à sens unique, adultère… Tout était réuni pour engranger ce jeu de piste de deux heures et demi.
Fincher, nouveau maître du suspense
Un autre thème se dégageant aussi de Gone Girl, et je l’ai dit auparavant, est bien sûr celui des apparences. Il s’agit ici de l’adaptation du best-seller de Gillian Flynn, qui s’est prêté au jeu de l’écriture du scénario du film, « Les Apparences », et tout est dit dans ce titre. Il nous renvoie non seulement aux apparences de couple idyllique d’Amy et Nick, mais aussi aux apparences suspectes de Nick qui agit avec grand malaise devant la justice et devant la presse, à l’image médiatique qu’une célébrité peut renvoyer, à l’apparence des choses qui ne sont pas ce qu’elles semblent être. Je dirais que c’est autant un film qui fait voler en éclat le mythe du couple parfait (ou plutôt met à jour ce mythe avec une vision plus actuelle) qu’un film sur la pression médiatique, presque une satyre des réseaux sociaux, du partage d’informations (souvent erronées ou déformées) à haute vitesse, des journalistes people… Bref, Gone Girl est autant une critique de la société d’aujourd’hui qu’un thriller grandement mené.
David, de son prénom, est un petit malin qui arrive à faire durer le suspense et laisser en haleine ses spectateurs jusqu’à la toute fin du film, quasiment jusqu’au dernier plan, à la dernière seconde. En effet, malgré une intrigue en apparence (les apparences, encore une fois !) relativement étriquée, complexe, à plusieurs couches, la réalisation et le talent narratif de Fincher nous permettent de suivre de bout en bout ce récit non linéaire avec une simplicité déconcertante. C’est d’autant plus déconcertant au vu des nombreux retournements de situation qui ne font qu’un tour dans la tête du spectateur et chamboulent la vision des choses qu’il avait jusqu’à présent. Nous sommes forcés de reprendre nos marques plusieurs fois au cours du film, chose qu’il n’est pas aisé de faire au cinéma, mais que la réalisation très fluide et dynamique de Fincher nous permet d’effectuer sans souci. J’ai cru évoquer Fincher comme un nouveau maître du suspense, une sorte de nouvel Alfred Hitchcock, car c’est bien là la seule comparaison à sa hauteur qui me vient à l’esprit. Les références au fameux réalisateur ne manquent d’ailleurs pas, et Fincher se paie également le luxe d’une référence très bien placée à l’œuvre de De Palma, Carrie au bal du diable.
Un bon film se doit de vous laisser une impression. De préférence une impression forte, que ce soit une envie pressante d’en parler en riant entre amis lors du générique, de raconter la fin en passant près de la file de spectateurs qui attend devant la salle pour la séance suivante, ou de pleurer à chaudes larmes en traitant le réalisateur de tous les noms pour vous avoir fait ressentir un tel torrent émotionnel. En sortant de Gone Girl, je ne pouvais plus parler. Je n’ai pas dit un mot durant tout mon trajet de retour. Telle a été mon impression. Gone Girl est un chef d’œuvre ; il fait partie de ces films qui laissent leur empreinte, de ces films qui vous marquent. De ces films qui ne laissent pas indifférents et qui finissent par vous hanter. C’est la marque de fabrique de David Fincher. So, what are you thinking?
À lire aussi :
http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/gone-girl/
http://www.premiere.fr/film/Gone-Girl-3644564
http://www.programme-tv.net/news/cinema/57687-gone-girl-thriller-conjugal-david-fincher-critique/
- Les nombreux plot twists
- Neil Patrick Harris et son côté sombre
- Le double niveau de lecture du film
- L'absence de bande son distincte
- Ben Affleck sans la Batmobile
- Que le film finisse