Comprenons L’Incomprise.
L’Incomprise raconte l’histoire de Aria (Giulia Salerno), petite fille de neuf ans, qui doit faire face à une cellule familiale pas vraiment équilibrée. En effet, ses parents, deux artistes plus que caractériels, ne sont pas vraiment un modèle de stabilité psychique pour la fillette. Un jour intervient la séparation, inéluctable, et Aria paie cruellement le fait d’être la seule à avoir été enfantée par le couple infernal, alors que jusqu’ici elle partageait son quotidien avec deux demi-sœurs, chacune de l’une des parties de l’ex-couple. Ballotée de sa mère (Charlotte Gainsbourg) à son père (Gabriel Garko), au rythme des réactions irréfléchies de chacun, la petite fille erre dans les rues, accompagnée de son chat noir.
L’Incomprise signe le retour de Asia Argento à la réalisation, dix ans après le bide de son Livre De Jérémie. Plus vraiment passionnée par son métier d’actrice, pour lequel elle déclare ne plus avoir de désir (et on la croit pour l’avoir vu dans le Dracula 3D de son père), la réalisatrice a pris son temps pour trouver un sujet qui pouvait lui faire oublier son précédent échec. Présenté au dernier festival de Cannes, dans le fameux « Un certain regard », le film a créé une petite surprise, emportant l’adhésion d’un public décrit comme hilare. C’est donc avec une certaine impatience qu’on voit arriver L’Incomprise dans les salles.
Dès le générique, L’Incomprise donne des indices sur ce que sera le film, sa forme, son fond, sa technique. On assiste à un gloubi-goulba d’informations, montage un peu foutraque d’écritures de la petite Aria et de photos de ses chanteurs préférés, qui placent d’ailleurs assez bien l’action dans les années quatre-vingt. Et le tout baigné d’une musique envahissante mais pas trop gênante. L’impression d’assister à la tenue chaotique d’un journal intime d’une fillette est plutôt bien rendue, et c’est sans doute ce que cherchait la réalisatrice, mais ça reste très confus, désordonné, à la limite de l’incohérence visuelle. L’Incomprise montre encore que Asia Argento doit progresser dans sa maîtrise du montage, et ça se voit dès ces premières secondes.
Heureusement, L’Incomprise réserve de très belles surprises assez vite. Tout d’abord, le point de vue à hauteur de la petite fille est une réussite, et donne au film une personnalité très particulière. Le synopsis fait penser à un véritable drame, il n’en est rien. C’est bien plus complexe, bien moins simple qu’il n’y paraît. La description des parents en est le meilleur exemple. La mère, incarnée par une Charlotte Gainsbourg en grande forme, est une pianiste complètement instable dans ses réactions et ses liaisons, à la limite de la folie furieuse. Quand au père, le surprenant Gabriel Garko, est lui un acteur de série B mondialement connu mais pas vraiment talentueux, et au moins aussi déséquilibré que la mère. Les deux sont les sujets de séquences aussi comiques que pathétiques, voire parfois assez dérangeantes quand la petite Aria se retrouve à devoir coucher dehors, à la merci de dangers qu’elle ne soupçonne pas. Il faut voir Gabriel Gecko, dans un numéro de père superstitieux à l’extrême, pétant une durite quand Aria ramène chez lui un chat noir pourtant tout mignon. Comme tous ces moments sont captés à hauteur de la fillette, on s’adapte à sa vision. Il en découle une certaine légèreté alors que les situations décrites ne le sont pas du tout. L’Incomprise valide donc la théorie selon laquelle l’enfant dédramatise son vécu, ce qui est discutable mais véridique quelquefois.
Une des grandes forces de L’Incomprise repose sur les épaules menues de la toute jeune Giulia Salerno. Avec son visage plein de caractère, ses traits typiquement italiens, elle rayonne à l’écran, bien aidée par une direction de comédiens donnant de très bons résultats. Asia Argento déclare vouloir se mettre au niveau de ses acteurs, en évitant de se comporter comme une patronne. Visiblement, ça marche, et la réalisatrice s’en sort avec les honneurs dans l’exercice difficile de la mise en scène avec enfants. La petite fille est criante de vérité, que ce soit à l’école où elle est en réussite tout en y développant de premiers sentiments amoureux difficiles, ou face aux multiples disputes qui rythment sa vie balbutiante. Le problème, et c’est là le principal reproche qu’on peut faire à L’Incomprise, c’est que ces moments manquent de liant. Le journal intime du début de métrage était plus qu’il ne paraissait, il annonçait une forme qui se borne à assembler des anecdotes plus qu’à les raconter dans un bloc narratif. En résulte une impression de scénario trop léger, trop bonbon acidulé, et il est fort à parier que l’image finale ne touchera pas profondément alors que son potentiel dramatique est puissant. L’effet malheureux se sent véritablement à la fin de L’Incomprise, et les innombrables témoignages de rejet dont Aria est l’objet n’arrivent pas à créer un crescendo émotionnel.
L’Incomprise est donc un film un peu bancal, mais montre de vrais progrès pour Asia Argento. L’utilisation de la musique est encore un peu trop envahissante, voir maladroite comme avec ce Requiem utilisé n’importe comment, mais on ne peut nier le dynamisme qu’apporte la bande originale. On doit aussi signaler de belles idées visuelles, certains décors sont fous (la chambre rose !), et la photographie est intéressante avec ce grain très présent comme pour donner au film un aspect un peu rétro, usé. Ça ne fera certes pas de L’Incomprise le film de l’année, mais c’est loin d’être à éviter.
- Asia Argento en progrès.
- Casting à l'aise, et ça se voit.
- Quelques situations bien comiques.
- La fin manque le coche.
- Le montage trop délié.
- Musique parfois envahissante.