Critique – Inside Llewyn Davis
Après l’excellent western « à l’ancienne » True Grit, les frères Coen reviennent avec une pépite très marquée cinéma indépendant américain, et à la bande originale folk entêtante : Inside Llewyn Davis. Univers décalé, image léchée, personnages originaux… tous ces éléments qui constituent la patte des deux réalisateurs se retrouvent dans un film pourtant un peu déstabilisant au premier abord..
L’entrée dans le film se fait d’abord par le son, sur un accordement de guitare folk, des discussions au loin. Puis la mélodie démarre tandis que la voix du guitariste se pose sur les notes dans un souffle mélancolique. « J’ai déjà fait le tour du monde » chante-t-il en cette introduction prémonitoire. Le charme opère immédiatement en douceur, et sans qu’il s’en aperçoive le spectateur est happé pour 1h45 dans une bulle où le spleen se mêle à la fureur de vivre.
Grand Prix du Festival de Cannes en 2013, Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d’un jeune chanteur de folk dans l’univers musical de Greenwich Village en 1961. Alors qu’un hiver rigoureux sévit sur New York, le jeune homme, sa guitare à la main, lutte pour gagner sa vie comme musicien..
Car notre héros, pris dans une sorte de syndrome de Peter Pan, refuse le monde. C’est l’apanage des artistes. En retrait pour mieux observer, sentir la réalité, se confronter à elle presque douloureusement, pour en rendre compte ensuite par sa musique. C’est ce que fait Llewyn Davis sans même en avoir conscience, jeune trentenaire un peu loser qui squatte chez ses amis car il n’a pas de maison, pas de voiture, pas de travail. Il est au fond un peu comme ce chat qui traverse le film et semble le suivre : un inconnu perdu dans la ville dont tout le monde s’occupe un peu, mais qui n’appartient à personne. Ses amis le trouvent aussi insupportable qu’attachant, ne peuvent se passer de lui mais finissent toujours par le mettre dehors. Llewyn Davis vit pleinement sa vie de bohème sans le sou, là où ses amis, dont l’archétype est son ancienne petite amie, ont abdiqué leur liberté de choix au nom du conformisme occidental (travail, appartement, couple, famille…). Ce choc des valeurs est d’ailleurs longuement exploré dans une conversation entre la fameuse ex, coincée dans son carcan de peur du futur, dans la nécessité de penser à l’avenir, et Llewyn, à qui elle reproche de n’être atteint par rien, de ne jamais anticiper l’avenir..
Incarnant cet adulescent très contemporain, l’acteur Oscar Isaac (déjà vu dans Drive, et qui sera du casting de l’épisode VII de Star Wars) est bluffant de simplicité, attirant immédiatement la sympathie. Son regard dense est lourd de sens, et donne une profondeur certaine à la nonchalance de façade du personnage. Ses interprétations musicales en guitare-voix, écrites par le compositeur de la BO de O’Brother, sont également envoûtantes, et même vraiment touchantes. A ses côtés Carey Mulligan (Shame, Gatsby le Magnifique), dans le rôle de l’ex mal dans sa peau, est elle aussi plutôt troublante, bien qu’un peu coincée dans un seul registre. John Goodman (Monuments Men), Garrett Hedlund (le héros de Tron Legacy) et même Justin Timberlake (Time Out, The Social Network) ont tous trois des rôles extrêmement marquants, incarnant les différents choix de vie, les différentes routes que pourrait prendre Llewyn. A noter enfin la présence d’Adam Sackler, l’un des personnages principaux de la série Girls, dont l’univers s’avère finalement assez proche de notre long métrage..
Inside Llewyn Davis, directement inspiré de la vie du guitariste Dave Van Ronk (la pochette d’album du personnage est d’ailleurs une référence directe à celle du guitariste), est donc une comédie dramatique à la poésie légère même si le thème est en réalité assez profond. Comme à leur habitude, les frères Coen réussissent à capter l’attention du spectateur dans un film principalement basé sur l’ambiance, par cette musique folk qui raconte si bien la vie et dont nous avons parlé précédemment, mais également par une image lissée aux couleurs froides légèrement bleutées, qui souligne particulièrement le propos hivernal et mélancolique. Un film dont on se souvient et qui fait réfléchir quelques jours, que demander de plus….
- Les acteurs
- La bande originale
- Un peu long pour certains ?