Critique – Insomnia
Un inspecteur de police, envoyé avec son partenaire en Alaska, est en fait mis sur la touche le temps d’une enquête sur une affaire. Appelé pour résoudre un meurtre dans le comté où il a été envoyé, il tue par accident son partenaire dans une course poursuite avec le criminel. Plus tard, il reçoit un coup de fil du tueur qui affirme l’avoir vu tuer son partenaire. L’inspecteur doit alors faire face à l’insomnie qui le gagne dans un pays où le soleil ne se couche pas avant deux mois, en plus du tueur témoin qui commence à jouer avec lui.
Nolan nous gratifie d’un scénario assez atypique dans un décor tout autant atypique, aurons nous à faire à une enquête de police ou la rivalité d’un Al Pacino face à un Robin Williams qui ne rigole pas ? Le titre du film est directement lié à celui du choix du décor, l’Alaska, en effet, il fait jour durant 6 mois (à plus ou moins un mois près). De ce fait l’esprit ne ressent pas la fatigue et dans un métier tel que policier où les agents sont occupés matin jusqu’au lendemain matin, difficile d’avoir des repères.
Pour entamer cette critique du 3e film de Christopher Nolan, il est à noter que le réalisateur a ici déjà réuni une bonne partie de son équipe actuelle et que des noms prestigieux tel que Steven Soderbergh et George Clooney s’affichent en tant que producteurs. En ajoutant les têtes d’affiches, Al Pacino (Will Dormer) et Robin Williams (Walter Finch), il y a beaucoup d’arguments pour aller voir ce film ainsi que la situation particulière de l’enquête.
Je vais en premier lieu aborder la narration et le scénario. Si vous lisez mes critiques, j’ai toujours un mot doux pour cette partie (« digne d’un scénario de Luc Besson, écrit sur la tranche d’une feuille de cahier de brouillon et encore il reste de la place »), mis à part le petit « twist » concernant cet accident (autant sur le papier que dans le film, je reste légèrement perplexe, mais sans cela il n’y aurait pas d’histoire). Il n’y a rien à redire véritablement, l’enquête est prenante, Pacino est toujours assez théâtral dans son rôle de flic, qui plus est, aguerri. Cependant, nous le découvrons rapidement, il fait l’objet d’une enquête de la police des polices le concernant lui et son collègue, nous avons donc un enchainement entre les deux enquêtes et le rythme est soutenu dès le début du film.
Ce qui fait assez plaisir même si l’on peut qualifier cela par un « oui mais c’est pas réaliste », c’est le professionnalisme de l’équipe policière et pas un « vous savez, ici c’est la campagne à part le braconnage de caribou et dealer de jus de sapin pressé on fait rien, alors votre enquête sur la petite qui se fait violer on va la faire à l’ancienne et sans vous » qui nous bassine régulièrement sur ce type de film. Je ne sais pas pour vous, mais les flics avec un QI ne dépassant pas une addition du CP, c’est assez énervant. Donc une équipe policière professionnelle mais pas du tout habituée, du coup un vieux briscard en impose, surtout à la jeune Ellie Burr (Hilary Swank – Million Dollar Baby, plus jeune et moins de muscles), et les coordonne. Une intrigue et une enquête réussies, simples mais qui fonctionnent, et bien rythmées surtout au début du film.
Concernant les acteurs, ils sont crédibles dans leur rôle, Al Pacino habitué des rôles de flic fait le boulot, il joue très bien Will Dormer, le vieux loup de mer qui arrive dans un petit village d’Alaska, il ne s’émeut pas du décor et reste concentré sur le meurtre de Kay (le fameux meurtre de l’intrigue). Il a travaillé son rôle différemment et cela ce ressent sur certains points, il a plus de retenue quant à la théâtralité, semble plus naïf et moins cynique, il garde cependant sa prestance, on le ressent un peu plus par le rôle et par son jeu d’acteur. Robin Williams, qui joue dans beaucoup de comédies nous montre ici qu’il sait jouer aussi l’opposé comme dans le rôle de Walter Finch, cependant il garde cette tête du tueur qui n’a pas l’air d’en être un, il n’a de cesse de se justifier, il est froid dans ses paroles mais a beaucoup d’émotions dans le regard, nous ne savons pas vraiment qui il est. Les deux acteurs ont une certaine complicité et cela se ressent sur le film, il n’y a aucun accro dans les dialogues ni dans le langage corporel (en ayant vu le film en partie en VOST). Comme vous le savez (sauf si vous ne lisez pas mes articles, ce qui serait une grave erreur, Mr L. vous le dirait mieux que moi), j’attache de l’importance aux seconds rôles, notamment féminin, et Hilary Swank joue à merveille Ellie Burr en jeune flic candide, très fan et légèrement amoureuse de Will Dormer, elle boit ses paroles. Ses regards et ses sourires semblent authentiques (peut etre par admiration de l’actrice envers l’acteur), bref le bon rôle pour la bonne actrice. Je note aussi Nick Katt dans le rôle de Fred Duggar qui campe le jeune policier qui seconde Will Dormer, le jeu est sobre mais crédible.
J‘en arrive à la partie technique qui a son importance surtout sur deux points, le premier est la lumière, je n’ai pas appuyé ce point jusqu’à maintenant mais il est impressionnant de voir qu’à minuit il peut faire jour comme un soir d’été vers 19/20h, le travail de Wally Pfister (directeur de la photographie) et Nolan a été brillant (notez le jeu de mot : lumière… brillant… oui, j’adore l’humour). La lumière est omniprésente, il n’y a que dans une scène qui dure quelques secondes dans un semblant de grotte où nous pouvons voir réellement du noir. Sinon le film est baigné de lumière deux types principaux, voire trois : celle du soleil que nous avons pour les extérieurs de journée, celle extérieure sans soleil, plus grisonnante avec les nuages et celle plus obsédante des intérieurs qui va vers le jaune orangé. Ce dernier type de lumière est mis en valeur dans la plupart du temps par des stores jaune/orange sur les vitres et des lampes sur pieds allumées et réparties partout dans les pièces lors des scènes dans l’hôtel. Les autres scènes d’intérieur utilisent les mêmes types de lumière qu’en extérieur via les fenêtres. Cette lumière est tellement présente qu’elle joue aussi un rôle dans ce film et nous baigne tout autant qu’elle plonge Will Dormer dans l’insomnie, nous en ressortons fatigués (non pas d’ennui mais plutôt comme au sortir d’une nuit blanche). La photographie du film est très travaillée pour un résultat voulu sobre mais entêtant, en cela on peut dire que l’équipe de tournage a bien bossé. Le travail sur le son ajoute cet effet, il reste discret à tel point qu’un second visionnage a été utile pour s’en rendre compte, les violons joués de manière douce, nous bercent de plus en plus (anecdote, du générique de début à la présentation des personnages, les violons nous bercent pendant près de 7min sans interruption). Ici encore, un travail peaufiné pour un résultat remarquable que si l’on s’y intéresse.
Le deuxième point technique est la mise en scène, la caméra est centrée sur Al Pacino, non pas qu’il soit mis en valeur et qu’il porte le film à lui seul. Il s’agit plutôt de mettre le personnage au premier plan et de ressentir, subir cette lumière et cette histoire qui lui échappe. Ce procédé a été utilisé pour le second film de Nolan, Memento. La caméra colle au personnage sans le lâcher, autour du visage ou dans son dos (vue à la troisième personne).
Nous entrevoyons la fin de cette critique, jusqu’à maintenant j’ai parlé du début du film et de son rythme soutenu, mais arrivé vers 45, 50min, on entre dans le début d’insomnie de Will Dormer (pas si dormeur que ça… Encore un jeu de mot pourri, mais c’est ma critique et je fais ce que je veux) et je reprends les thèmes abordés précédemment comme la lumière qui devient obsédante et omniprésente. Le rythme commence à ralentir, et le film devient le miroir de la lente descente de notre héros, dès qu’il arrive dans un moment d’inactivité, la fatigue reprend le dessus, il lutte, l’enquête et le fait qu’il n’arrive pas à coincer le tueur. Toujours en pleine lumière, nous ne savons jamais l’heure qu’il est et sommes toujours surpris lorsque nous avons la réponse (22h en plein jour par exemple). Au final le rythme du film ralentit sans pour autant ralentir le rythme de l’histoire, il y a des flash pour illustrer les petites hallucinations dues à la fatigue du héros. La scène de la voiture sur la fin est brillamment filmée et montée car elle est assez ressemblante au moment où nous luttons désespérément contre le sommeil. On pourrait parler de hasard, de coup de chance, mais il y a un vrai travail et une confirmation d’une mise en scène maitrisée déjà aperçue dans « memento ».
Ah oui, il reste les points négatifs, au final j’ai trouvé l’arbre qui cache la forêt, tant de points forts comment trouver un point faible. Il suffit de se laisser porter par le film pour s’apercevoir que l’histoire pêche par un manque de retournements de situation, l’enquête n’est pas si dynamique que ce qu’elle aurait pu être, en fait nous ne sommes que spectateurs. L’histoire très linéaire sans soubresauts et au final on remarque que ce sont les acteurs, l’image et le son qui nous portent. Le film manque aussi d’action ou une action différente que celle présentée même si ce n’est pas le but de ce genre de film. Il est dommage de faire un travail technique si impressionnant sur le son et l’image pour qu’au final il ne soit pas plus exploité par l’histoire, les heures et l’insomnie dans l’histoire sont parfois traitées de manière anecdotique et sont assez répétitives. Dernier point, il s’agit d’un remake d’un film Norvégien de 1997 et à la base je n’aime pas les remakes (ce dernier point n’engage que moi). Les rendus de l’image et du son sont au final impressionnant si l’on s’intéresse à ce genre de détail, sinon le spectateur ne verra que le fait qu’il fasse jour la « nuit ».
Pour conclure, Nolan nous prouve que techniquement il peut faire un film à ambiance avec une grande maitrise de la photographie, sans effets spéciaux tape-à-l’oeil et crédibles. Il nous montre aussi son savoir faire quant à la direction d’acteurs bien plus expérimentés et connus que lui (pour rappel ce film est sorti en 2002), il sait donc choisir son équipe technique et ses acteurs. Le vrai souci se situe sur le scénario, il maitrise ce qu’il a voulu présenter mais au final le spectateur se perd et voit l’histoire tourner sur elle même, l’insomnie a dirigé Nolan or l’histoire aurait du être intégrée à l’insomnie. Bref, des points forts qu’il sublime et des points faibles qu’il n’arrive pas totalement à effacer.
- des acteurs dans des rôles sur mesure
- une maitrise technique impressionnante
- Une descente dans l'insomnie que vit le spectateur
- un scénario qui dessert le travail technique
- peu de retournements de situation