Critique – Le Président

Le Président, de Mohsen Makhmalbaf, un dictateur ré-humanisé.

Le réalisateur Iranien Mohsen Makhmalbaf (Kandahar, Scream of the ants) revient avec Le Président, son dix-septième long métrage. Le réalisateur du Président est l’une des grandes forces du cinéma mondial, pas seulement grâce à son grand talent, mais aussi pour le symbole que cet homme est devenu au fil des années. Militant politique très actif, le metteur en scène du Président a fini par quitter son pays, en 2004, en signe de protestation contre la censure d’état qui s’abattait sur lui. En fuite, Makhmalbaf se met alors à tourner un peu partout dans le monde, notamment en Inde, en Corée du Sud ou encore en Israël. Le réalisateur du Président se disait très inspiré par les récentes révolutions colorées des pays Arabes, qui auront abouti à la destitution de certains dirigeants. Le Président est le résultat de ces quelques années passées à observer ces temps de changement.

Le Président, ça raconte quoi ?

Le Président se situe dans un pays imaginaire, jamais cité nominativement. A l’intérieur de ses frontières, le fameux président (Misha Gomiashvili) et sa famille dirigent leur nation comme tous les dictateurs : avec une main de fer. Complètement en-dehors des réalités, la famille du président tyrannique abuse d’un luxe outrancier, pendant que le peuple grelotte de peur à l’idée de ne pas aller dans le sens des despotes. Un soir, le président fait la leçon à son cher petit-fils, lui démontrant son pouvoir de la façon excessive que peut lui permettre sa fonction. Le président appelle le préposé aux éclairages de la capitale, et lui demande d’éteindre les lumières, puis de les rallumer, puis de les éteindre, etc. Mais la démonstration du président tourne au fiasco quand l’éclairage ne revient plus, laissant la ville dans l’obscurité la plus totale. Des bruits montent des rues, la foule commence à gronder. Dès le lendemain, un coup d’état éclate, faisant du président l’Homme le plus recherché du pays. Accompagné de son petit-fils, le président tente de fuir le pays, se grimant en homme du peuple. Le président constate alors que son peuple est plongé dans la souffrance, et le déteste ardemment.

image affiche le présidentUn concept efficace.

Le Président part donc d’un conflit classique mais terriblement cinématographique : la grandeur, puis la décadence qui mène, au contact humain, à la prise de conscience. Les cinéphiles penseront immédiatement à Chienne de vie, par Mel Brooks, et l’on peut aussi citer, même si le contexte est différent, La vie est belle de Capra. Les premières séquences du Président tirent d’ailleurs vers la comédie grinçante, ou plutôt le pathétique d’un personnage complètement dépassé par la mesure de son pouvoir, et finalement assez proche de ce qu’on s’imagine d’un dictateur. Le spectateur ne peut que rire devant ce début du Président, sorte de séquence de l’interrupteur des Visiteurs (quelle référence top niveau !) à l’échelle d’une ville toute entière. Mais, contrairement à Mel Brooks pour son excellent Chienne de vie, le réalisateur du Président ne verse pas dans la comédie pure, même si on rit beaucoup par la suite. La séquence de la fuite du président est typique du ton très grinçant du film. Le président, dans sa voiture blindée, traverse la capitale sous le feu des rebelles, la révolution est en marche, sa tête est le bien le plus recherché du pays. Ce qu’on voit dans cette séquence diablement bien orchestrée du Président, bien rythmée, est déjà les prémisses du raisonnement de Mohsen Makhmalbaf : se révolter, c’est bien. Mais ne pas utiliser la même cruauté que le président que l’on destitue, c’est tout aussi vital.

Le peuple au corps.

Alors que la fuite du président tourne court, son ancienne garde l’ayant trahi, le film devient un road movie et met en avant un duo à la fois attachant et symbolique. Le président, fichtrement bien interprété par Misha Gomiashvili, et son petit-fils, tout aussi bien joué par l’étonnant Dachi Orvelashvili, parcourent le pays comme pour mieux prendre conscience de la folie de leur dictature. On comprend vite où veut en venir l’auteur du Président, en donnant au petit-enfant le rôle de sa conscience. Sorte de Jiminy Cricket plus que pourri gâté, le petit-enfant du président ne cesse de questionner son grand-père, et finalement le renvoie à tout ce qu’il a bien pu commettre, commanditer. Il n’est nullement question, pendant tout Le président, de réhabiliter ce personnage, mais de bien le capter et surtout se demander comment faire pour le mettre hors d’état de nuire, sans pour autant lui administrer les horreurs dont il a usé. Le réalisateur de Le Président a la solution, et elle passe par le rapport à l’humain. Mais pas celui dont font preuve certains pays actuellement, non. Le vrai, le pur, celui qui passe par le peuple et non des porte-paroles médiatiques, auto-proclamés, et se nourrissant dans des couverts en or. Le président croise donc le destin de plusieurs âmes, qui lui rappelleront toutes à quel point sa vie fut malheureuse pour autrui, mais aussi pour lui-même. La séquence du Président chez la prostituée (Ia Sukhitashvili) touche carrément au sublime. Sorte de prolongement de la volonté du petit-fils à vouloir retrouver sa toute jeune copine, Maria, le président retrouve une de ses anciennes conquêtes… elle-même appelée Maria et devenue fille de joie. Cette scène du Président est terriblement prenante, pleine de sens.

image film le présidentLa fiction rejoint la réalité.

Le Président souffre tout de même d’une ou deux longueurs à son milieu, mais rien qui pourrait porter atteinte à la bonne impression globale. On est totalement happé par Le Président, et ce jusqu’à une fin follement bien sentie, d’une justesse d’analyse rassurante. C’est violent, c’est même assez insoutenable de tension. Le Président, pour bien imager la bêtise ultime qu’est le recours à la barbarie pour mettre fin à la barbarie, avait besoin d’une image forte. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il l’a trouvée. On ne vous en dira pas trop, sachez juste que ça rappelle les destins très discutables de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi. On a tous vu les images terrorisantes de leurs mises à mort, et le réalisateur du Président le sait, questionne le spectateur directement, en son for intérieur. Ces deux Hommes ont été des dictateurs sanguinaires, mais est-ce une marque de différenciation idéologique que de leur appliquer le même traitement que ce qu’ils ont infligé à leur peuple respectif ? Le Président va plus loin, et nous dit qu’aucune démocratie ne pourra pousser sur un terreau ayant été versé avec des litres de sang. Malheureusement, le destin tragique de la Libye donne complètement raison à l’analyse du metteur en scène du Président.

Une réussite incomplète.

Le Président est une œuvre courageuse, de la part d’un auteur qui ne l’est pas moins. Tout de même, il reste une question en suspens, que n’aborde pas Mohsen Makhmalbaf dans Le Président (hors de question d’affirmer qu’il s’agit d’un choix conscient). Celle des responsables de la mise en œuvre démocratique. La démocratie, et Le Président le dit implicitement, n’est malheureusement pas un système politique naturel pour l’Homme. Il s’agit plus d’un cadre de vie afin de faire respecter des valeurs pacifiques et justes. Mais cet encadrement a besoin au moins d’un travail de fixation, afin que l’ouvrage ne s’effondre pas. Ce travail doit évidemment être effectué par les pays s’étant déjà administrés le cadre démocratique car, et on le voit en Irak, en Libye, potentiellement en Syrie, on aurait tort de ne pas faire attention à ce qui vient après, ce qui profite du manque de démocratie. Oui, la fin du Président est bouleversante, un vrai signal d’alarme quand au devenir des nations récemment révoltées. Mais Mohsen Makhmalbaf ne pointe du doigt que la composante humaine dans Le Président, oublie celle des États sensés être les alliés du cadre démocratique, étrangement absents quand il s’agit de reconstruire un pays, un peuple. Cette question de la responsabilité, par leur absence de suivi, de certains pays n’est pas abordé par Le président, et c’est bien dommage. Au final, Le Président s’avère être un film d’une importance fondamentale et, c’est à souligner, parfois à tomber visuellement, gros travail sur la lumière, et mise en scène généreuse. Le Président sortira le 18 Mars 2015 dans nos salles françaises, un troisième mois décidément bien chargé en films importants de par leurs sujets (coucou Selma).

Le Président, les bonus

Pour voir la bande annonce du Président, c’est par là.
Pour lire une interview de Mohsen Makhmalbaf, antérieure au film Le Président mais tout de même intéressante, c’est sur L’Iran pour les Nuls.
La famille Mackhmalbaf tient un site, en Anglais, qui aborde l’actualité du Président. Vous le trouverez à cette adresse.
Pour découvrir le cinéma Iranien et compléter Le Président, ce site est très recommandable.

Critique - Le Président
Le Président part d'un concept solide pour mieux aborder des questions fondamentales de notre temps. Un bon et beau film.
Scénario
Mise en scène
Acteurs
Image et son
On aime
  • Sujet courageux.
  • Le casting surprenant de qualité.
  • Visuellement très maîtrisé.
On aime moins
  • Petites longueurs en milieu de film.
  • Sujet pas totalement abordé.
4.0La note
Note des lecteurs: (2 Votes)