Leviathan, les malheurs de Kolia
Pour Leviathan, son quatrième long-métrage, le cinéaste russe Andreï Zviaguinstev nous emmène au bord de la mer de Barents pour une plongée infernale dans une Russie corrompue où la justice et la liberté sont remises en question. Le personnage central de ce tableau cauchemardesque est Kolia, un garagiste sans histoire qui vit avec son épouse, la jolie Lilya et son fils, Roma, issu d’un premier mariage . Et non, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes car sa maison au bord de l’eau doit être bientôt détruite – ordre de M. le Maire, qui projette de construire une agence de télécoms à la place. Kolia a décidé de se battre et de porter l’affaire en justice avec l’aide d’un de ses amis, avocat à Moscou. Mais le maire est tout puissant – et graisse la patte de tous les notables locaux, y compris les religieux – et le garagiste voit sa demande rejetée. Pour couronner le tout, il apprend que sa femme le trompe avec son avocat. Les batailles qu’il va mener sont en effet dignes d’un combat contre le Léviathan de la bible…
Leviathan, l’enfer sur Terre
Deux ans après Elena, où il dressait un portrait très sombre de deux couples russes, Andreï Zviaguinstev met en scène dans Leviathan, un homme face à l’Etat et au système. Les épreuves traversées par Kolia durant 2h20 sont accablantes. Entre les démêlés avec la justice, les problèmes avec sa femme, son fils et bien entendu avec les bouteilles de vodka, l’homme est un véritable héros tragique russe. Un prêtre lui parle du destin de Job, dans la Bible et du sort s’acharnant sur celui-ci. Tout un symbole, car le Leviathan apparaît en effet dans le Livre de Job. Ce monstre biblique, qui trouve ses origines dans la mythologie phénicienne et souvent représenté comme un gigantesque dragon marin, est une créature de l’Enfer capable de changer l’ordre du monde. La vie de Kolia et de sa famille va être bouleversée par une force inconnue, qui prend les traits d’un maire aux dents longues et à la descente impressionnante, et de chefs de police corrompus jusqu’aux os. Le Leviathan de Kolia, c’est tout le système russe. Et le système est implacable, à l’image de la juge qui énonce son verdict au même rythme qu’un tir de mitraillette. Le réalisateur fait sombrer son personnage dans un chaos absolu, à grand renforts d’images et de métaphores. Et tout avait commencé dès l’affiche, où l’on voit un homme (Kolia) assis près du gigantesque squelette d’une créature marine. Le terme de léviathan avait en effet été utilisé pour décrire un cachalot préhistorique de 17 mètres (beau spécimen!). Visuellement, la boucle est bouclée. La métaphore est une figure de style qui sied à la tragédie. L’accumulation de celles-ci ne rend cependant pas service au film de Zviaguintsev, le sujet étant déjà très pesant. Entre les références aux textes bibliques et philosophiques et les plans sur la mer déchaînée, on croule sous les symboles.
Un film exigeant
Leviathan est une réflexion intéressante sur la société russe, dont il est brossé ici un tableau très noir. Le maire est corrompu et alcoolique (et il s’appelle Cheleviat, on sent le danger), les membres du clergé ont une influence malsaine sur les dirigeants, à tel point qu’on se croirait revenus à l’époque des Tsars, et les citoyens lambdas, ici les amis de Kolia, sont particulièrement enclins à la trahison. Leviathan est un drame social sur un pays rongé de l’intérieur, en proie à un invisible et puissant Béhémoth. Inutile de vous préciser que le film a suscité de vives polémiques au pays de Vladimir Poutine, avant même sa sortie. Malgré cela, Leviathan a été salué par la critique et récompensé par de nombreux prix, dont celui du meilleur scénario à Cannes.
L’interprétation d’Aleksey Serebryakov (Kolia) et Elena Liadova (Lilya) est impeccable. On regarde Leviathan comme on lit un grand roman classique, c’est intense, parfois long et les personnages sont bien calibrés. En effet, Kolia, victime du système, a la mine pale et triste, alors que le maire est bedonnant, fort en gueule et toujours flanqué de ses gardes du corps. Leviathan est une grosse machine bien huilée et bien travaillée qui nous offre de magnifiques paysages et un point de vue osé sur la Russie d’aujourd’hui. Mais le mécanisme, aussi sophistiqué soit-il, souffre de longueurs et de lourdeur. Si c’est une épreuve pour Kolia, c’en est parfois une pour nous aussi.
Pour lire une autre critique de Leviathan, c’est par ici.
- Alexey Serebryakov
- Une belle idée de départ
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- Trop de symboles tue le symbole
- Des longueurs