Critique de Ma Loute de Bruno Dumont, un film hors catégorie.
Ma Loute, le nouveau film de Bruno Dumont incarne bien le virage opéré par le réalisateur depuis son précédent film Mon p’tit quinquin. Loin du style parfois sans complaisance envers son sujet, il explore désormais avec brio le registre comique, voire loufoque, sans jamais se départir de cette réflexion profonde sur l’humain et ses gouffres. Présenté à la sélection officielle du dernier Festival de Cannes, Ma Loute en est reparti bredouille. Était-ce mérité ? La réponse dans notre critique.
Des disparitions étranges
La scène qui ouvre Ma Loute montre deux familles que tout semble séparer. Elles habitent près de cette superbe baie de Slack dans le Nord où se passe tout le film. D’un côté les Vanpeteghem, riches industriels de Tourcoing viennent passer l’été dans le Typhorium, sorte de verrue extravagante de style néo-égyptien, et de l’autre les Brufort vivent de la mer en récoltant des moules et en louant leurs bras ou leur barque pour faire traverser la langue de mer qui permet d’atteindre l’autre rive. Tout les distingue: la richesse, les origines, la couleur de leur vêtement (blanc écru chez les Vanpeteghem et bleu marine chez les Brufort) et surtout les travers (on est consanguins chez les Vanpeteghem, pour conserver les industries explique le père, joué par un épatant Fabrice Luchini et anthropophages chez les Brufort…) Et au milieu de ces deux familles, deux inspecteurs, réincarnations vivantes de Laurel et Hardy, qui enquêtent sur d’inquiétantes disparitions dans la baie. Mais limiter Ma Loute à une énième présentation d’une lutte des classes serait réducteur et inapproprié tant Bruno Dumont sort des rapports sociaux pour ne se concentrer que sur l’ambiguïté et la duplicité de l’âme humaine. Mais vous allez me dire, c’est bien beau tout ça mais qui est Ma Loute?
Un mélange des genres
Je réponds à votre question inquiète tout en vous précisant d’emblée que Ma Loute ne sera pas un chemin tranquille où tout vous semblera apparent et couler de source. On peut s’en trouver dérangé, ne plus savoir si il faut rire ou pleurer de certaines situations tant le loufoque dévaste nos grilles habituelles d’observation. Bruno Dumont mélange avec une habileté surprenante les genres comique, loufoque avec particulièrement ces deux policiers, dont l’inspecteur Machin, un homme énorme à la voix de fausset qui concentre à lui tout seul deux ressorts comiques du film : le bruitage de ces mouvements qui paraît le faire se mouvoir dans une sorte de carapace dont les coutures menacent à chaque instant de craquer et le jeu avec la pesanteur qui le fait tomber sans cesse ou rouler sur les dunes de sable fin ou même encore plus fort à la fin du film, mais aussi le mélodrame, la métaphysique. Alors justement Ma Loute? C’est le fils aîné de cette famille de pêcheurs qui a trois petits morveux de frères aux faciès incroyables et qui profitent de certaines traversées pour assommer des clients et les consommer avec délice comme dans une scène proprement stupéfiante où la mère demande à sa marmaille si elle préfère un pied ou seulement le gros orteil, celle-ci lui répondant les lèvres toutes rouges de sang par un rot sonore et gras qu’ils ont assez mangé. Mais il y a Ma Loute qui va tomber amoureux de Billy, une fille visiblement, mais le doute subsiste, qui aime s’habiller en garçon et dont leur belle histoire d’amour faite de regards forts et des horizons superbes de ces plages et de la mer va cristalliser tout ce mélange des genres : Billy est-elle/il une fille ou un garçon, où se cache l’humain dans l’inhumaine et l’inverse, le trouble constant des sentiments. Cette histoire d’amour permet à Dumont de donner libre cours à tout son talent de cinéaste tant les plans sur les regards des deux amoureux, en légère contre-plongée pour Ma Loute avec le ciel en arrière plan et plus fixe chez Billy au regard expressif sont émouvants et dépassent alors la farce et le loufoque qui courent tout au long du film. On revient alors au Dumont de Flandres ou de Hors Satan.
Ma Loute, par l’originalité de son dispositif, de ses images, de ses acteurs tous fabuleux, méritait un prix, vindiou !!! Mais trottent toujours dans ma tête les images proprement sidérantes de lévitation ou de réflexion à l’horizontale de l’inspecteur Machin, le regard perforant de Billy, la duplicité de Ma Loute et la démarche incroyable de Luchini mais aussi les sentiments forts éprouvés lors de cette union des contraires entre Ma Loute et Billy, comme dans ce dernier regard entre eux dans la scène finale du film, où l’on perçoit que, malgré tout, il reste un profond attachement entre eux.
Une belle réussite!
Un autre avis sur Ma Loute: http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/ma-loute/
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- Titre : Ma Loute
- Année de sortie : 2016
- Style : Drame
- Réalisateur : Bruno Dumont
- Synopsis : Eté 1910, Baie de la Slack dans le Nord de la France. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région. L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy (mal)mènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au cœur d'une étrange et dévorante histoire d'amour entre Ma Loute, fils ainé d'une famille de pêcheurs aux mœurs bien particulières et Billie de la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois décadents.
- Acteurs principaux : Brandon Lavieville, Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi
- Durée : 2h