A Most Violent Year, quand le rêve américain regarde la vérité en face.
A Most Violent Year est le troisième film d’un réalisateur qui, tout doucement, est en train de devenir une valeur sûre du cinéma américain actuel : JC Chandor. En l’espace de deux films, Margin Call et All Is Lost, ce metteur en scène, qui a bouffé du lion, a réussi à se faire un nom malgré une carrière ayant commencé dans la douleur. Au point que son A Most Violent Year, malgré sa date de sortie handicapante (sortir un tel film le 31 Décembre 2014…), était attendu au tournant. Doté d’un budget conséquent de dix-neuf millions de dollars, soit le plus important de sa carrière encore balbutiante, le réalisateur a vu son œuvre être plébiscitée à Cannes, et remporte même le prix National Board of Review du meilleur film. A Most Violent Year s’annonçait donc sous les meilleurs auspices.
A Most Violent Year prend place à New York, pendant l’hiver d’une année 1981 qui fut la plus meurtrière pour Big Apple. Abel Morales (Oscar Isaac, vu dans Inside Llewyn Davis) est un immigré hispanique, et son entreprise, dans le domaine du pétrole, est en passe de devenir l’une des plus importantes du pays. Alors qu’une guerre froide semble se déclarer dans ce business florissant, il achète le terrain le plus intéressant de la ville, tourné à la fois vers l’océan et les terres. Pour ce faire, l’homme d’affaires verse aux propriétaires un acompte de sa poche, et doit verser plus d’un million de dollars d’ici un mois, sans quoi l’affaire capotera et l’argent précédemment confié restera dans les poches du vendeur. Alors que tout semble bien verrouillé, les banques prêtes à soutenir le projet, rien ne se passe comme prévu. Abel fait alors face à la corruption, la violence d’un environnement délétère.
A Most Violent Year, un combat contre le recours à la violence.
A Most Violent Year, c’est l’histoire d’un homme d’affaires dont la droiture ne cesse d’être remise en cause par la nature même de ces affaires, d’un entourage ayant compris depuis bien longtemps que la réussite ne peut pas seulement reposer sur des valeurs de travail et de sincérité mais aussi sur quelques coups de pouce pas vraiment légaux. Pendant toute la première partie, JC Chandor met en place ce qui s’avère être une énorme mise à l’épreuve pour les idéaux d’Abel, incarné par un Oscar Isaac mémorable. La sympathie quasi-fraternelle du self-made-man pour Julian (Elyes Gabel, aperçu dans Interstellar) est primordiale pour bien capter le caractère singulier du personnage principal de A Most Violent Year. Julian est, lui aussi, un immigré hispanique, mais n’ayant pas eu la même réussite qu’Abel, pour qui il travaille comme convoyeur. Un métier difficile, qui expose le jeune homme à des assauts dignes d’attaques de diligence, et dont la violence ne cesse d’augmenter. Après une agression d’une grande brutalité, Julian est hospitalisé et se pose la question d’armer les employés afin de faire face à ces actes sauvages. Abel choisi, avec pertinence, de ne pas céder aux sirènes de la sécurisation à tout prix, prenant en compte l’escalade sanguinaire que cela pourrait engendrer. Ce choix, moralement irréprochable, aura pourtant des conséquences malheureuses. Dans A Most Violent Year, l’immoralité est une fatalité, à la fois insondable et injuste.
A Most Violent Year multiplie les sous-intrigues, comme les pièces d’un puzzle devant inéluctablement être assemblé. La femme d’Abel, Anna, jouée par une Jessica Chastain (Mademoiselle Julie) nominée aux Golden Globe Awards 2015 pour cette prestation, est elle aussi une des composantes de la dépravation qui entoure l’homme d’affaire. Comptable, elle est la fille d’un des plus grands bandits de New-York et semble avoir hérité de son père pour ce qui est des combines douteuses, et du caractère très ouvert à certaines combines. Le personnage fait évidemment penser à celui de Skyler White dans Breaking Bad, ce qui n’est pas pour déplaire, à cela près que les répercussions sont bien plus graves que dans la série culte de Vince Gilligan. Dans A Most Violent Year, il est question du combat contre la violence d’une société qui l’est de plus en plus, et c’est très bien imagé par la séquence du cerf. Alors que le couple revient d’un dîner d’affaire, leur voiture cartonne le pauvre animal. Anna demande à Abel de l’achever, d’avoir recours à la violence tout comme elle lui intime, plus tôt, l’ordre de protéger sa famille coûte que coûte. Jusque dans les rapports conjugaux, A Most Violent Year décrit l’implacable frénésie qui s’empare des Etats-Unis, quitte à déglinguer la notion de « rêve américain ».
A Most Violent Year, le cauchemar Américain.
Car là est le véritable propos de A Most Violent Year. Ce n’est pas tant une critique du monde des affaires qu’une fresque représentant la réalité humaine au sein d’une société, bercée par un mensonge agréable à l’oreille mais tout à fait vain quand on creuse. Et une réflexion sur tout ce que ça engendre en terme de prétention, d’égocentrisme et, au bout du compte, d’une violence qui peut revêtir bien des costumes. Il faut se rappeler de l’incroyable situation criminogène dans laquelle se trouvait New York en 1981. Le Escape From New York de John Carpenter n’est pas sorti cette année-là pour rien. Cette ambiance anxiogène fait partie de l’ADN de A Most Violent Year. D’ailleurs elle accompagne Abel en voiture, qui ne fait même plus attention au poste de radio annonçant un énième meurtrier en série sévissant à Big Apple. Les principes moraux sont mis à l’épreuve chaque jour dans cette ville, baignant dans une atmosphère angoissante, tourmentée. JC Chandor réussit à bien rendre ce climat à l’image, sans forcer les traits lourdement. Les costumes, les décors, les seconds rôle épatants pour la plupart, tout ce qui est cinématographique se charge de nous happer dans l’époque sans marquer 1981 à tous les coins de rue. A Most Violent Year n’est pas simplement un hommage aux polars des années quatre-vingt, mais il en est un quasiment à part entière tant il cherche à en retrouver les mêmes sensations. L’exemple parfait est dans la séquence de poursuite, qui commence en bagnole et se termine à pieds, l’un des plus grands moments du film au demeurant tant elle prend aux tripes en restant très près d’Abel tout du long. La chasse prend fin dans le métro, et l�� on voit un échantillon du peuple, moyen parfait de raconter une période tout en laissant le scénario se dérouler. On croise un punk, des tags sans équivoque, c’est habile et spontané. A Most Violent Year convainc aussi bien dans sa forme que dans son fond.
A Most Violent Year aurait pourtant pu être encore plus mémorable, notamment en disposant de plus de temps pour mieux installer certaines prises de décision. Si on comprend les personnages dans leurs agissements, ou en tout cas on ne remet pas en cause l’éventualité de leurs réactions, certains comportements paraissent un peu trop brutaux. On pense particulièrement à l’acceptation d’Abel d’une certaine somme d’argent, décidée en une nuit alors que cette résolution aurait du être plus difficile. D’ailleurs, ce petit problème de traitement brusque se retrouve à la fin, avec une situation qui peut être assimilée à un deus ex machina, sans non plus en être totalement un. Heureusement, la portée symbolique de ce final est puissante, à la fois d’une noirceur absolue et désespérée. A Most Violent Year réussit donc à nous garder happés dans son ambiance, bien aidé par une musique remarquable soit dit en passant, et s’avère être l’une des œuvres les plus marquantes de cette année 2014.
- Une ambiance captivante.
- Casting très convaincant.
- Propos clair et juste.
- Scénario parfois trop approximatif.
- Fin à la limite du deus ex machina.