Pioneer, sous pression personne ne vous entend crier.
Pioneer, ici critiqué, n’est pas un biopic sur la multinationale japonaise préférée des Djs, mais le dernier film en date de Erik Skjoldbjærg, réalisateur norvégien du tellement remarqué Insomnia qu’il fut remaké par Nolan. Pioneer était attendu pour plusieurs raison. Tout d’abord le fait que cet auteur, peu prolixe, fait partie de ces auteurs étrangement boudés par la presse et le public. On se référera au traitement très particulier réservé à son Hold-Up, un film intéressant à plus d’un titre, mais clairement dézingué par la critique plus que de raison. De plus, Pioneer s’empare d’un sujet encore frais, et très discuté en Norvège : le sujet des pionniers du pétrole, depuis la découverte de gisements qui font du pays l’un des dix pays les plus riches du monde. Affaires d’état, scandales avec les États-Unis, cette affaire bien louche a inspiré Pioneer.
Pioneer, ce que ça raconte.
Pioneer prend place en Norvège, année 1980. Un énorme gisement de pétrole vient d’être découvert dans les profondeurs du territoire maritime. Ni une, ni deux, l’État Norvégien se met en tête d’extraire la précieuse denrée, mais se retrouve confronté à un problème de faisabilité, et doit donc s’associer aux inévitables moyens américains. Petter (Aksel Hennie, vu récemment dans Hercule), le personnage principal de Pioneer, et son frère, font partie de l’équipe norvégienne formée pour résister aux pressions démentielles exercées dans les eaux abyssales. Lors d’une d’un exercice de descente, un incident tragique et mystérieux coûte la vie du frère de Petter, qui ne croit pas une seule seconde en la thèse officielle qui fait de lui le responsable du drame. Le personnage principal de Pioneer va devoir mener une enquête aussi salvatrice que déroutante, menant Petter jusqu’aux confins de la paranoïa.
Pioneer, une mise en place maîtrisée.
Pioneer débute de façon quasi-documentaire, en nous familiarisant avec les dangers de la pression. Il fallait tout le talent du réalisateur d’Insomnia pour bien rendre à l’écran, sans trop en faire, les effets de ce phénomène, tout en préparant l’aspect thriller de Pioneer. Le début se passe dans une salle de test, Pioneer y travaille son côté claustrophobe, le personnage principal et le reste de l’équipe ont la tête recouverte d’un casque qui les relie à l’équipe technique, alors que le visuel est marqué par des effets proches de ceux des mirages créés par la chaleur. Dans la cellule, l’ambiance est aussi détendue que possible dans ce genre de situation, jusqu’à ce que l’un des membres, Mike (Wes Bentley, remarqué dans Interstellar), soit évacué de l’exercice sans raison apparente. Pioneer, comme beaucoup de thrillers, donne les clés de l’intrigue dès cette ouverture, mais ne rend pas la vie facile au spectateur. L’atmosphère aussi lourde que la pression, ne facilite pas, et c’est bien vu, la prise d’information, et voir une deuxième fois Pioneer donne cet éclaircissement qu’on a plaisir a effectuer.
Pioneer, bon sang que c’est beau.
Après une rapide, mais précise, présentation de Petter et son frère, les petites tensions, les petits sous-entendus familiaux, Pioneer passe la seconde et met en place son scénario avec une efficacité redoutable. La réalisation de Pioneer est d’une force qui rend le trouble palpable, mais ce sont les séquences aquatiques qui, tout d’abord, retiennent l’attention. On va faire simple : elles sont les plus belles vues sur grand écran depuis un long moment. On osera même dire que, depuis Abyss, aucun film n’a réussi, comme Pioneer, à rendre aussi puissamment l’aspect inquiétant, et pourtant si attirant, des fonds marins, loin des éternelles images de coraux que nous connaissons toutes et tous. Dans Pioneer, c’est le vide, des parois sans couleurs, une impression de poser les pieds sur la Lune, une planète désertique, et seule la nuée de bulles s’échappant du scaphandre nous rappelle qu’on assiste à une plongée sous-marine. Pioneer propose certainement les images les plus marquantes de ce début d’année 2015.
Pioneer n’est pas ton pote.
C’est alors que Pioneer devient un thriller paranoïaque, suite à un incident dont on remarque tout de suite les circonstances énigmatiques. Petter est victime d’une véritable absence, dont les effets font immédiatement penser à une prise de drogue. Il en oublie les mesures de sécurité, et son frère en sera la malheureuse victime. A partir de cet instant, Pioneer adopte le point vue de Petter, et y restera jusqu’à la fin. La méthode, pourtant clairement exposée, peut en gêner certains, qui regretteront la distanciation entre la réalité et la perception du personnage principal. Ce qui rebute ces personnes, en fait, c’est le recours au genre au sein d’une intrigue politique. Oui, Pioneer devient un thriller, dans la plus pure tradition psychotique des années 70. Non, il ne suit pas les desiderata d’une assistance de plus en plus enfoncée dans ses charentaises. Le scénario de Pioneer, difficilement maîtrisable par le spectateur tant le réalisateur s’attache à rester à hauteur de Petter, perd en clarté ce qu’il gagne en sensations. Le metteur en scène de Pioneer ne nous dit jamais si les USA ont mis en place des expériences narcotiques dignes de celles ayant eu lieu au Viêt-Nam, ou si l’État Norvégien manipule son monde pour récupérer l’intégralité du trésor. Non, les informations sont donnés au public de Pioneer d’une façon aussi décousue que peut l’être une enquête menée par un civil pris dans un engrenage bien étrange. Évidemment, dans une époque où les spectateurs sont habitués à se voir mâcher le travail de mise en relation des événements, ce choix fait de Pioneer un film un minimum exigeant.
S’il faut s’accrocher à l’histoire de Pioneer, et être attentif à chaque donnée, il ne faut pas non plus faire du film une œuvre gonflante. Avec un peu plus de cinq millions de dollars, une broutille, Pioneer donne sa dose de gros suspenses, et même de spectacle avec course-poursuite et accident de bagnole (réel, pas prévu mais gardé dans le montage puisque n’ayant pas porté atteinte aux comédiens). Et si on peut regretter un certain classicisme dans le scénario de Pioneer, qui peine un peu à décoller dans la seconde partie, l’arrivée du climax met tout le monde d’accord, tant le suspense prend à la gorge. Soulignons ici le travail de Air à la bande originale de Pioneer, qui vient ajouter sa dose de stress sans pour autant, comme le reste du film, brosser le public dans le sens du poil. Pioneer s’éloigne de tout concept auteurisant, et c’est bien vu tant les effets de choix politiques doivent se décrire à hauteur d’Homme, donc de personnage, et non à celle de l’auteur. En cela, Pioneer est une réussite et on comprend pourquoi les américains, via Georges Clooney, ont déjà acheté les droits…
Pioneer, les bonus.
Pour voir la bande-annonce de Pioneer, suivez le guide.
Une interview de Erik Skjoldbjærg, le réalisateur de Pioneer, c’est sur Allociné.
N’hésitez pas à lire d’autres critiques de Pioneer, notamment chez Le Passeur Critique et A voir à lire.
- Un thriller politique à hauteur d'Homme.
- Les séquences sous-marines, splendides.
- La BO de Air.
- Le deuxième tiers, mal rythmé.
- L'interprétation, oubliable.