Le retour en force d’Hazanavicius dans The Search
Réalisateur hyperactif, Michel Hazanavicius revient seulement trois ans après The Artist – et après avoir réalisé deux autres films entre temps – avec le spectaculaire et émouvant The Search.
The Search narre l’histoire de quatre protagonistes liés par un destin commun : affronter la guerre de Tchétchénie, qui a eu lieu en 1999. Michel Hazanavicius nous plonge sans plus de cérémonie dans une réalité totalement différente de notre petit monde occidental. S’ensuit une inévitable perte de repères pour le spectateur, et une preuve qu’Hazanavicius est capable de toucher à tous les registres avec une justesse déconcertante. Lui qui s’était illustré brillamment dans la comédie parodique (La Classe Américaine : le Grand Détournement, OSS 117) et la comédie dramatique (The Artist et sa pluie de récompenses) s’adonne cette fois au drame pur et dur, presque littéralement un drame de guerre. Il dépeint dans The Search le parcours d’une famille séparée lors de la guerre de Tchétchénie, en s’attachant notamment à suivre la fuite du petit garçon de cette famille, sujet à un mutisme dû au traumatisme des événements.
Ils subissent chacun leur propre parcours, n’ayant d’autre choix que de lutter pour survivre. Hazanavicius nous prend aux tripes à coups d’une imagerie choc, sans pitié, parfois sans subtilité mais terriblement réaliste. C’est là le génie de The Search : ne rien épargner au spectateur et livrer une version des faits le plus proche possible de la réalité. Le film balaye d’ailleurs plusieurs classes différentes, pour s’assurer une vue d’ensemble de cette guerre. On suit d’un regard inquiet les destins croisés de plusieurs protagonistes : celui terrifiant d’un enfant, celui solitaire de sa sœur, celui presque maternel de Carole, ainsi que le misérable sort d’un jeune soldat. De façon très intelligente, The Search parvient d’ailleurs à donner un sens à tout cet entremêlement d’arcs narratifs dans un twist final astucieux. Brève présentation des personnages (qui sera utile pour la suite) : Hadji est un tchétchène qui a fui son domicile après l’assassinat devant ses yeux de ses parents, Carole (Bérénice Bejo) est une militante pour les Droits de l’Homme à Genève, Kolia est un jeune délinquant enrôlé de force dans l’armée et Raïssa est la grande sœur d’Hadji, à sa recherche. On peut se demander si le titre, The Search, ne se réfère d’ailleurs pas à elle, qui n’est pourtant pas le personnage le plus mis en avant. S’ajoute à cette liste le personnage d’Annette Bening, délicieusement sévère, qui interprète la supérieure de Carole à l’Union Européenne.
The Search, ses performances bouleversantes et son atmosphère irrespirable
Le casting offre des performances bouleversantes, notamment le jeune interprète d’Hadji, qui même s’il ne croule pas sous une masse de texte, parvient à faire passer des sentiments forts par son expression et sa gestuelle. Bérénice Bejo également est surprenante, débordante de vérité dans son interprétation et n’en faisant jamais trop. Elle est également notre seul repère dans le film, sous-titré presque en intégralité, sauf dans ses apparitions en français ou en anglais. Comme si Carole était pour le spectateur le repère qu’elle est également pour Hadji, et qui va l’aider à se reconstruire. C’est une perspective très intéressante ; mais comme je l’ai dit précédemment, The Search n’est pas linéaire et il peut aussi être sujet à plusieurs interprétations possibles. The Search est très pluridimensionnel, en plus d’être multilingue.
Le décor est ainsi planté, et l’atmosphère suit également. Nous évoluons au rythme des personnages, perturbés par une atmosphère oppressante et très sombre qui ne s’éclaircit que rarement. L’ambiance de The Search est noire, au même titre que les psychologies des personnages, qui ne sont jamais manichéennes. La preuve la plus frappante de ce fait est le personnage du soldat, Kolia, qui était un jeune adulte comme beaucoup d’autres avant d’entrer dans l’armée. Son caractère va s’endurcir de plus en plus, en sombrant presque dans le sadisme le plus total, et oubliant ce qu’il était autrefois. De même, Carole est loin d’être un personnage unilatéral. Son attachement à Hadji est tel qu’il va presque devenir obsessionnel, et la pousser à commettre beaucoup d’erreurs. Enfin, Hadji, du haut de sa petite taille, est déjà un combattant né, luttant avec acharnement pour sa survie mais s’étant laissé aller à quelques atrocités au sein de cette guerre.
Du pathos, oui, mais pas que !
The Search puise toute sa force dans la dureté des propos présentés, ne forçant jamais la larme, quand celle-ci viendrait à couler quand même. C’est à se demander si ce n’était pas voulu, si l’aspect grandiose du film ne serait pas grandiloquent, peut-être un peu trop. Les séquences de guerre du film sont souvent dans l’excès, mais hélas ce n’est qu’une vision frontale des choses. Il est vrai que nous avons pour la majorité d’entre nous la chance de n’avoir jamais eu à affronter de telles catastrophes. Si cet étalage de scènes d’une violence physique et morale inouïe ne laisse pas indifférent, The Search ne perd pas de vue un aspect léger, car sombrer entièrement dans le pathos aurait pu très facilement plomber le film. Ainsi, les intermèdes plus optimistes sont nombreux : à la surprise générale on rit beaucoup. La relation entre Carole et Hadji, notamment, est touchante et étrange dans le bon sens du terme. Toute une palette d’émotion passe en réalité dans The Search, puisque même si le film balançait plutôt d’un côté franchement dramatique, on se surprend à non seulement s’émouvoir, mais aussi se révolter et avoir peur, en plus de scènes amenant le rire. On se sent privilégié de pouvoir avoir également un œil du côté politique de cette guerre, en retrait, où rien ne se passe jamais comme prévu et où il faut hurler pour se faire entendre. Hadji pousse Carole à ce cri qui résidait en elle et qui n’arrivait pas à sortir.
The Search est par conséquent une expérience unique et prenante de 2h14, qui prouve par A+B le talent de réalisation d’Hazanavicius, et le talent d’actrice de sa femme. À ne manquer sous aucun prétexte !
The Search, en salles le 26 novembre.
- Le twist narratif de la fin
- L'ambiance post-apocalyptique de la guerre
- La diversité des langues à l'écran
- La longueur du film