The Smell of us, haut les corps!
The Smell of us signe le retour de Larry Clark après plusieurs années d’absence sur les écrans. Ce cinéaste américain observe les ados depuis Kids (1995) et aussi le monde du skate depuis Wassup Rockers (2005). Dans son nouveau film The Smell of us, il s’attache à filmer une bande d’adolescents qui pratique leur sport devant le palais de Tokyo. A-t-il conservé cette acuité du regard sur l’adolescence et sur son sens de la transgression? Allez roulez, jeunesse!!
The Smell of us, la vie toujours en équilibre
Le groupe de jeunes skateboarders se retrouve à deux pas de la tour Eiffel pour s’exercer, rouler avec leur planche sur des rampes horizontales, sauter une volée d’escaliers en un éclair et tenter les figures les plus inouïes. Dès la première séquence, on les voit passer par dessus le corps d’un clodo allongé au sol (Larry Clark himself) comme un jeu, n’hésitant pas à le heurter quelquefois avec un bout de leurs skates.Skate sur lequel l’équilibre est toujours précaire, on tente d’aller toujours plus loin, plus vite, plus haut, on risque toujours plus difficile. Comme cette vie que ces ados semble cramer par les deux bouts. Equilibre fragile que scrute sans artifice The Smell of us et que repoussent sans cesse ces jeunes qui tentent des expériences, transgressent, sont en perpétuelle recherche.
Filmé avec une vérité incroyable, sans filet, sans aucun souci de déranger, et pourtant les nombreuses scènes de sexe gênent, dérangent, perturbent. On recherche en vain des sentiments, notamment sur le visage de Math pour qui cet équilibre semble bel et bien rompu, enfoncé qu’il est dans la prostitution. The Smell of us se focalise sur lui durant une bonne partie du film, avec son regard d’ange tout droit sorti des tableaux de Botticelli, mais qui se vend auprès de vieux pervers dont il subit les désirs avec une passivité terrible et insupportable, simplement « pour se faire du cash » comme il l’avoue à JP, son amoureux. Oui il y a dans The smell of us un équilibre toujours précaire qui risque à tout moment de faire sombrer les personnages dans le vide, le néant, l’auto-destruction. Et là, Larry Clark n’y va pas avec le dos de la cuillère, la crudité des scènes frappe, les corps nus souvent filmés à hauteur de nombril, se donnent, s’offrent, s’abîment? Mais il sait aussi introduire de la nuance dans son récit avec des comportements moins extrêmes comme celui de Marie, la jeune fille qui suit le couple Math/JP dans sa dérive de sexe, de drogue et d’alcool mais qui sait s’en détacher à temps. Il sait aussi jouer de la caméra elle-même pour filmer et faire filmer les scènes par un ado, lui-même accroc au portable, qui est présent partout, comme les images aujourd’hui dans le monde adolescent, et le passage entre les images caméra et les « images portable » donnent un effet de recul saisissant.
The Smell of us, un film sur la jeunesse?
Oui The Smell of us offre de magnifiques images de cette jeunesse perdue, désorientée, de ces visages superbes d’ados toujours sur le fil, acrobates de leurs propres vies. Mais il nous offre aussi en contrepoint des visages plus âgés, celui de Larry Clark, tout d’abord qui apparaît en un clodo qui se pisse dessus puis en un fétichiste qui lèche avec une vulgarité répugnante les longilignes doigts de pied de l’impassible Math. Puis celui d’un autre homme, d’une laideur repoussante, qui reçoit Math contre une importante somme d’argent et sombre dans un sommeil profond une fois l’acte consommé, ce dont profite le jeune éphèbe pour inviter ses copains qui finissent par dévaster l’appartement du client après une fête bien arrosée et par lui peinturlurer le visage et lui glisser un joint entre ses lèvres comme pour conjurer la vieillesse qui les frappera à leur tour. The Smell of us retrouve plus de chaleur, plus d’intimité filmée dans des teintes plus chaudes lorsque certains de ces ados qui se risquent à faire les escort-boys sont reçus par des femmes, âgées elles aussi, dont les corps montrés sans artifice portent les stigmates du temps; l’une d’entre elles demandant même au jeune homme avec qui elle partage le lit : « Tu n’as pas peur de mon corps ravagé? ». Là, le réalisateur sait aussi faire preuve de douceur, d’une certaine compassion qui font de ces scènes de très beaux moments du film, les doigts de la femme glissant sur la peau intacte de son jeune partenaire. Comme un instant de repos, une pause après tant d’intensité. The smell of us c’est aussi le naufrage de la vieillesse, l’envie qu’ont ces gens de se payer une tranche de temps, l’envie de transgresser la marche inexorable du temps. Moments pathétiques mais touchants. Comme enfin, pour clore en apothéose, la mère incestueuse de Math, jouée par une terrifiante Dominique Frot, le corps tout en tension comme pour crier sa désespérance.
The Smell of us est un film dérangeant de par son projet radical de filmer sans détours la vie de ces jeunes de bonne famille. On en garde des images fortes : celle du visage d’ange de Math que vient frapper la lumière comme pour le styliser davantage, celle de JP son amoureux perdu et désorienté, celle de Marie cette fille aux yeux incroyablement bleus qui flirtent avec eux, celle, enfin, de tous ces adultes qui croient s’exonérer de leur âge en léchant des corps d’adolescents. Oui ça décape, c’est sans apprêts, mais c’est un film à voir absolument!
www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/smell-us/
http://www.telerama.fr/cinema/films/the-smell-of-us,495338.php
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