Critique – La tête haute

Critique de La tête haute d’Emmanuelle Bercot ou le parcours d’un jeune délinquant.

La tête haute raconte l’itinéraire de Malony, un adolescent qui vire dans la délinquance. Emmanuelle Bercot retourne vers l’adolescence, un sujet qu’elle avait déjà abordé dans deux de ses précédents films (Clément en 2001 et Backstage en 2004). Présenté à Cannes pour l’ouverture du festival, ce film mérite-t-il tous ces honneurs?

Le quotidien tourmenté d’un adolescent.

Malony (interprété par le jeune acteur Rod Paradot) est très jeune retiré à sa mère (Sara Forestier). La tête haute choisit de faire un récit très précis, très (trop?,c’est peut-être un premier reproche que l’on peut faire au film) documenté de ce que va devenir ce jeune garçon, empli de violence, qui va fréquenter au fil de ses méfaits les centres éducatifs de réinsertion, les centres éducatifs fermés et en fin la prison. Au cours de ce parcours, son attitude oscille entre la nécessité de se racheter et la rapide bascule vers le détournement de la règle. Pour veiller sur lui, deux personnages vont sans cesse l’entourer et se trouver face à lui : la juge pour enfants (Catherine Deneuve, impeccable) et l’éducateur (Benoît Magimel, convaincant). Ils représentent la machine judiciaire qu’Emmanuelle Bercot souhaite filmer dans ses nombreux aspects : procès, instruction, entretien, passages dans les différents lieux de punition/réinsertion. Il y a dans la répétition de certaines scènes (l’entrée dans les centres, les bagarres, les entretiens, le personnel éducatif, pénitentiaire et judiciaire) un souci excessif de s’en tenir à son parcours et à bien en faire comprendre au spectateur toutes les arcanes. Mais à trop vouloir montrer, les scènes se répètent, le propos perd de sa pertinence, le scénario se noie.

Affiche de la Tête haute

Une mise en scène nerveuse, redondante, manquant d’ampleur.

Tout au long de La tête haute, la mise en scène privilégie l’action, la nervosité qui colle aussi à la peau de Malony, prompt « à péter les plombs ». Les acteurs aident le film à dérouler son propos académique sans trop d’encombres pour le spectateur. Mais la répétition des mêmes plans, des mêmes scènes, puisque le scénario a prévu de ne rien perdre du parcours tortueux du jeune homme, expose le film à un long déroulé qui fait quelquefois penser, malgré les acteurs, à un documentaire. Là se trouve la limite du film. Et l’on fait la comparaison avec un autre film qui avait traité sous un tou autre angle les soucis de violence d’un adolescent: Mommy. Là où Xavier Dolan avait choisi la relation forte et fusionnelle avec la mère avec un minimum de vraisemblance, des sorties de route magistralement bien maîtrisées, La tête haute reste à la lisière de cette effervescence, cantonne le film au rapport entre l’adolescent et les services de la justice qui l’assistent.

Une histoire d’amour qui aurait pu redonner de la hauteur au film.

Malony rencontre pourtant dans un centre une jeune fille qui s’éprend de lui et qu’il retrouve dans ses quelques moments de liberté. Cette histoire d’amour « redresse » un peu La tête haute par son contenu dramatique. Malheureusement, malgré la bonne prestation des deux amoureux, là encore le scénario et la mise en scène les enferment dans la réalité administrative de Malony et se détournent de cette éveil à la sensualité qui aurait pu donner une autre dimension à La tête haute, par trop centré sur la condition de délinquant et au discours trop monotone sur ce que les institutions font pour les ados comme Malony (le dernier plan en étant un exemple parfait : on y voit Malony, descendant du palais de justice, puis sortant du champ, remplacé par le palais et le drapeau tricolore…). Bref, La tête haute est un film bourré d’intentions louables, servi par des acteurs convaincants mais beaucoup trop limité dans ses ambitions pour entraîner le spectateur dans son projet et le faire sortir de la salle de cinéma « la tête haute ».

Un autre avis sur La tête haute :

http://next.liberation.fr/cinema/2015/05/13/tete-haute-bas-reliefs_1309028

A propos de l'auteur

Frederic Mouries
Rédacteur - correcteur

Passionné par le cinéma et la lecture mais ne néglige pas pour autant le foot et l'écriture de ses romans.

 

Second avis,  La tête haute, mais les yeux fixés sur le nombril.

La tête haute, c’est un peu regarder en face les problèmes sociaux de notre pays, mais par un trou de serrure qui n’aurait pas été fait pour ça. Et pas seulement via les images du film, mais aussi les intentions de la réalisatrice Emmanuelle Bercot.

Radio bières-cinéma, la radio de la bière et du cinéma.

La première séquence de La tête haute nous présente une famille du Nord de la France complètement à la ramasse. La mère de famille, jouée par une Sara Forestier honteusement grimée (tous les clichés de la mère nourrie à la Bavaria sont réunis en elle), est en pleine crise de nerfs dans le bureau de la juge (Catherine Deneuve, L’homme qu’on aimait trop). On a, dans cette scène, tout ce qui sera allongé pendant près de deux heures de film : du hurlement, du poncif à n’en plus finir, un jeu incertain. Mais aussi un formel plutôt bien structuré, une lumière convaincante.

Un film politiquement correct.

Mais le pire de La tête haute est à venir. Car Emmanuelle Bercot, sans s’en apercevoir, va mener le film comme aurait pu le faire un électeur quidam de n’importe quel parti politique. Cette phrase est forte, mais maîtrisée. En prenant le point de vue de Malony (Rod Paradot), la réalisatrice ne se rend pas compte qu’elle met de côté le contexte social d’une région où l’appareil étatique est en démission. Au profit du ressenti, du fameux cœur, qui est sensé nous faire vivre les choses. Sauf que cette façon de voir le monde est parfaite pour mettre le courage de côté, et La tête haute se contente d’enfiler les idées reçues comme des perles. Comme certains aiment à le faire plus que de raison.image benoît magimel la tête haute

Élégie de l’enfant roi.

Ainsi, Malony est un monstre uniquement parce que les parents sont démissionnaires. Le constat que dresse La tête haute est loin d’être erroné, mais aussi loin d’être complet. Quand la jeunesse a accès à Booba ou La Fouine dès le plus jeune âge, c’est à la fois à cause de la famille et d’une société mal à l’aise avec la notion de liberté. Quand dans certaines régions « les grands » n’ont plus à offrir que le chômage aux nouvelles générations, tout en leur promettant le contraire dans un système scolaire défaillant. Quand l’enfant est devenu roi dans le foyer de ses parents. Tout ça est absent chez Emmanuelle Bercot, qui préfère en faire des tonnes sur le personnage de la mère plutôt que d’analyser finement l’impact de la société sur la cellule familiale. La réalisatrice de La tête haute se contente de montrer un malaise, un mal-être insupportablement bruyant, criard, aussi bien chez un Malony dont le jeu se résume à serrer la mâchoire et froncer les sourcils, que chez d’autres ados. Ils enchaînent les grosses bêtises, les actes délictueux, sans jamais que ne vienne sur la table le contexte extérieur. Ils sont de parfaits voyous, de la bonne chaire pour un extrême qui n’attend que ça : démontrer que le délinquant n’est délinquant que parce qu’il est délinquant.

Le social ? Boom, headshot !

La tête haute ne vise pas à côté de sa cible, mais en plein visage. La jeune génération est K.O debout sans même trop s’en rendre compte, bastonnée par une volonté d’en faire le résultat de ses propres maux. En cela, d’ailleurs, La tête haute ne vaut pas mieux que l’ignoble chanson des Enfoirés, où des stars de la jet set, qui touchent en un mois ce qu’un quartier défavorisé entier du Nord gagne en un an, fait la leçon à une jeune génération en plein doute. Ce morceau, Toute la vie, et le film d’Emmanuelle Bercot, partagent le même refus de voir le plafond de verre au-dessus de nos têtes. Ce qui arrange parfaitement un constat sans danger pour la politique française (ancienne, actuelle et à venir). La tête haute peut ainsi décrire une juge pour enfants complètement paumée, un éducateur (Benoît Magimel, La French) enchaînant les décisions contre-productives puisque la réalisatrice fait vivre la sortie de crise de Malony sans aide extérieure.

Votre enfant est en souffrance ? Faites-lui faire un enfant !

Malony hurle, frappe, intente à la vie de certains, et s’en sort toujours bien dans ce que décrit La tête haute. Jusqu’au moment de l’enfermement en tout cas, mais même là il ne cesse de ruminer sa rage infondée, puisque inexpliquée. C’est comme ça, les jeunes ont la haine, point. Et dire qu’on taxait Kubrick de violence gratuite avec Orange Mécanique. Film qui, en quelques séquences, est plus visionnaire sur l’état de notre société que les deux heures que nous inflige La tête haute. Mais attention, car l’espoir intervient dans ce maelström de n’importe quoi ! Il est cohérent et confirme le point de vue purement nombriliste d’Emmanuelle Bercot : puisqu’elle ne voit pas le contexte social d’une époque de crise, Malony ne s’en sort que grâce à l’enfantement. Oui, le conseil de la réalisatrice de La tête haute est, pour tous les parents qui ne comprennent plus leurs gamins : poussez-les à mettre enceinte une jeune fille ! En plus d’être totalement à côté de la plaque dans sa vision du monde, le film s’achève dans le culte du « moi je » le plus délirant. La tête haute atteint là le summum du ridicule, mais aussi un point de non-retour fondamental grave.

image catherine deneuve la tête haute

Salauds de pauvres.

N’oublions pas que La tête haute a fait l’ouverture du festival de Cannes 2015. Ce choix n’a rien d’innocent. Surtout quand, dans la salle, se trouvait Madame la Ministre de la Justice Christiane Taubira. Repensez à cet ultime plan, qui se termine par un cadre sur le palais de justice, beau, imposant, mais sans aucune utilité dans l’histoire que l’on vient de nous conter. On ne pouvait pas projeter une œuvre poil-à-gratter (quoiqu’on est sûr de l’ouverture d’esprit de cette sacrée dame qu’est Taubira) comme le fut La Grande Bouffe par exemple. Ah, comme on est loin des sifflés provoqués par une assistance remuée ! L’œuvre d’Emmanuelle Bercot tombe à point nommé, elle qui valide le moins d’État, l’abandon de nos élites qui ont bien mieux à faire que d’essayer de renouer le contact avec la population. Bercot adoube ceux qui ne cesse de chercher à « dégraisser le mammouth », expression qui cache la politique du « il faut qu’on fasse croire que si les pauvres sont pauvres c’est de leur unique faute ». Encore une fois, remémorez-vous la chanson Toute la vie et sa leçon de morale totalement déphasée avec son époque. La tête haute est un film qui pourra plaire à tous les camps politiques, sauf la gauche de la gauche, qui ne pourra que constater qu’elle se trouve bien seule face à celles et ceux qui mettent tout en place pour l’abandon du social en France. Triste, mais il faut en avoir conscience.

Dans le Nord, personne ne vous entend crier.

Pour terminer, juste un petit mot pour tous les habitants des régions Nord de France. La tête haute s’acharne à vous décrire comme la lie du peuple, tout en mentant par omission sur l’état social de votre région, mise en pièce par le chômage organisé depuis trente cinq ans. C’est un scandale. Emmanuelle Bercot n’aura pas jeté la première pierre, mais on a le droit de lui reprocher le rocher qu’elle se plaît à vous infliger. Si on ajoute les mots doux de Catherine Deneuve sur votre région, qui de tout le film n’est filmée qu’assise, comme un meuble ancien, on peut largement comprendre les réactions pas très enjouées lors de la réception populaire (et non critique) du film. Avoir la tête haute, c’est bien. Mais regarder autour de soi, c’est mieux.

A propos de l'auteur

Mickael Barbato
Rédacteur

Mickaël est un passionné de cinéma qui a décidé d'en faire son métier. Traînant ses guêtres sur des tournages, il passe tout son temps libre à regarder de tout, jouer à des jeux rétros/indépendants et lire.

Critique - La tête haute
La tête haute décrit le parcours répétitif d'un délinquant. Malgré les acteurs, le film reste par trop descriptif et manque d'ambition. De plus, le film est marqué par un manque de courage fondamental, au profit d'une liste de clichés abjects.
Mise en scène
Scénario
Acteurs
Images et sons
On aime bien
  • Deneuve et Magimel.
  • Formellement pas dégueulasse.
On aime moins
  • Un scénario convenu.
  • La mise en scène plate.
  • Le nombrilisme d'Emmanuelle Bercot.
2.0L'avis
Note des lecteurs: (2 Votes)
    • J’meFaisMonCinéma

      J’ai personnellement beaucoup aimé le film, dans lequel j’ai plutôt vu une certaine forme d’intelligence en voulant éviter les généralités (justement c’est à Dunkerque, mais comme on ne montre pas la cité, ça peut être n’importe où) et cette volonté de vouloir montrer un enfant non pas tel qu’il se montre (violent, immoral) mais tel qu’il est vraiment (sensible, noyé de doutes). Mais j’admets Mickael que vous avez mis le doigt sur certaines failles du film. Après, avait-elle l’ambition de faire un film parfait – ou juste l’envie d’injecter sa vision romanesque dans une part de vérité … Quoi qu’il en soit, j’ai toujours trouvé que les films qu’on n’avait pas aimé était beaucoup plus jubilatoires à analyser : c’est le cas de votre critique, méchamment drôle et agréable à lire.

      • / @AimeCinema

        Content que tu ais vu les touches d’humour, même si j’ai détesté le film, avec des arguments objectifs… je n’aime pas défoncer un film. Pour moi c’est une œuvre très maladroite, sans aucune finesse ni aucun travail sur le sens de l’image. Il n’y a rien dans ce film, que du bruit.

    • / Camille LATOUCHE

      La critique tout en rondeur de Frédéric (bien que ferme) contraste avec celle de Mickael. Une analyse technique contre une analyse d’un possible message. C est vraiment intéressant.

      Si je trouve la diatribe de Mickaël très dirigée, n’engageant que lui, je préfère retenir que deux personnes ont trouvé ce film moins bien que moyen. Et c est là, selon moi, le message essentiel.

      Merci pour cet article, long plaisant à la lecture. Tout l inverse d autres attaques souvent infondées et rédigées dans un style moyenâgeux.