Killers, quand la violence prend le pas sur le fond.
Killers nous narre une histoire entre deux pays : le Japon et l’Indonésie. Bayu, un journaliste d’investigation vivant à Jakarta, est sur la pente raide. Mis en échec sur une enquête l’ayant mené jusqu’à un technocrate véreux, le jeune père est en proie à la dépression, et a quitté le foyer familial pour se donner du recul, dans un appartement à la limite de l’insalubrité. Au bout du rouleau, il traîne sur Internet et tombe sur une vidéo de snuff movie, tournée par Nomura. Ce dernier est un ancien homme d’affaire en pleine réussite aux États-Unis, mais rentré à Tokyo après avoir fait les frais de la crise des subprimes. Tueur en série d’une violence inouïe, et cannibale occasionnel, mais aussi homme de charme, les vidéos de ses meurtres ont évidemment un effet dévastateur sur Bayu. Le journaliste, excédé par les échecs qui rythment sa vie et poussé à bout par une agression sur sa personne, décide de prendre exemple sur Nomura. A une différence près : Bayu veut tuer des personnes qui, d’après son esprit en déroute, le mérite.
Killers attire l’œil pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le cinéma indonésien est, depuis peu, en plein boom. Un essor aussi retentissant que celui qu’a pu connaître le cinéma thaïlandais voilà quelques années. D’ailleurs, Merantau, boîte de production derrière les deux The Raid, soit les films à l’origine de cet engouement, co-produit le film. L’autre moitié de production de ce Killers est assurée par la Nikkatsu, et ça parlera aux cinéphiles amateurs de bobines venues du pays du soleil levant tant cette boîte, parmi les plus anciennes du pays, a contribué à faire du cinéma japonais une offre à part. Les fans de « pinku eiga » ne contrediront certainement pas. Bref, le film s’annonce sous les meilleurs auspices, d’autant plus que ses réalisateurs, Timo Tjahjanto et Kimo Stamboel, ne sont pas de purs inconnus. Réunis, ils forment le duo des Mo Brothers, déjà auteurs d’un Macabre qui aura marqué les esprits des amateurs de cinéma du genre, de par son côté complètement barré et excessivement gore. Avec Killers, on peut donc s’attendre à en prendre plein la tronche.
Killers débute sur le même ton que la tonne de films de torture (style Big Bad Wolves) qu’on a vu déferler sur nos écrans et dans les bacs de DVD. La caractérisation du personnage en action, Nomura (Kazuki Nomura, vu dans The Raid 2), est rapide et efficace : charmeur, cruel et tellement fier de son ouvrage qu’il balance les vidéos de ses crimes sur un forum privé. Visuellement ça contient déjà toutes les qualités qu’on retrouve tout au long de Killers, une lumière parfaite, un contraste net et sans bavure (merci l’édition Wild Side au passage). Tout ça n’étonnera pas ceux déjà tombés sous le charme du précédent film des Mo Brothers. Tout comme la violence abjecte de ce qui intervient dans cette ouverture. On ne le dira jamais assez : l’œuvre est destinée à un public averti, certains plans mettent vraiment très mal à l’aise. Et c’est là que les soucis commencent à pointer le bout de leur nez pour Killers, car ce talent pour décrire l’insoutenable ne rencontre jamais, ou si superficiellement, un sujet, un fond.
Killers prend la forme d’un montage alterné entre deux pays éloignés. Nomura le psychopathe au Japon, et Bayu (Oka Antara) en Indonésie. Ce journaliste d’investigation semblait devoir être la caution « discours » de Killers, mais les choses tournent mal. On sent que son personnage est bourré d’idées, de sujets, le principal étant l’impuissance d’un homme, encore plein de valeurs, face à une société rongée par la corruption et l’ultra-violence. Sa rencontre avec le mal absolu, par le biais des snuff movies, le libère de sa retenue mais le transforme, sans qu’il s’en rende compte, en véritable monstre sanguinaire. Tout ça aurait pu donner une véritable réflexion, en plus d’un spectacle excessif, mais dans les faits il n’en est rien. Très vite, Killers se perd dans son propre concept notamment à cause d’une écriture tout simplement catastrophique tant elle déséquilibre le film. Ce qui se passe au Japon prend trop de place et se complet dans le gore le plus crade, tandis qu’à Jakarta la folie de Bayu est desservie par la bêtise du personnage, de son attitude lors de ses actions. Le montage alterné devient un véritable handicap, au point que les séquences de dialogue par ordinateurs interposés perdent toute cohérence, ne se justifiant que très peu. La progression des deux hommes en pâtit, car ce lien devait être le ciment indispensable pour expliquer les deux descentes aux Enfers, en faire autre chose qu’un étalage d’hémoglobine, et le spectateur n’est jamais véritablement embarqué dans l’histoire de Killers à cause de cette mise en scène peu maîtrisée, prisonnière de ses propres règles.
Killers se permet, en plus, d’être assez long. Plus de deux heures pour venir à bout d’une histoire aussi grotesque, c’est beaucoup trop. Mais ça laisse le temps aux Mo Brothers de confirmer leur véritable talent pour le glauque, et même l’absurde tant il est criant qu’ils prennent du plaisir à décrire certaines actions démesurée. On se souviendra longtemps de Bayu, fuyant des dizaines de garde du corps, et s’en tirant miraculeusement, à la limite de l’hommage live à Tex Avery. Les amateurs de bobines ultra-violentes apprécieront sûrement, tant ça va parfois très loin. Une fois débarrassé de l’espoir d’assister à un film pas seulement bourrin, on ne peut nier que ce à quoi on assiste est plein de personnalité, notamment la séquence dans la boîte de nuit Japonaise qui tutoie l’excellence visuelle tout en étant bien fou en terme de spectacle. Killers se permet même quelques touches d’humour très noir : on pense à ces flics qui se parlent, tandis qu’au loin Nomura est en train de tabasser une de ses victimes pour la faire rentrer dans le coffre. Le ton est léger, mais parfois la réalisation souffre de lourdeurs fatigantes. Le final, par exemple, outre le fait qu’il ne convainc pas dans sa construction scénaristique, n’en finit pas et s’étire bien trop, hurle beaucoup et surtout joue sa dernière note sur un sujet, le voyeurisme de la génération Youtube, que le film n’a jamais su exploiter. En fait, le film est à l’image de cette référence, lors cette fin, à Psychose : c’est beau mais ça n’a vraiment aucun fondement si bien ça ne touche pas véritablement. Killers restera comme étant l’un des films les plus violents vu sur un écran, très généreux tant on sent la passion des Mo Brothers, mais aussi comme un ratage sur le traitement insuffisant de ses thèmes.
Retrouvez d’autres critique de Killers, notamment chez Filmosphere, Scifi-universe ou encore Cineseries-mag.
- Visuellement soigné.
- Casting sérieux.
- Un vrai film fou.
- Passe à côté de ses thèmes.
- La fin beaucoup trop longue.
- Le concept étouffe le film.