Mister Babadook : qui a peur du grand méchant deuil ?
Mister Babadook, c’est l’histoire d’Amélia (Essie Davis), mère du turbulent Samuel (Noah Wiseman). Ravagée par le décès brutal de son mari, elle tente d’aimer son enfant de six ans mais éprouve les pires difficultés à canaliser son énergie dévorante. Un soir, Samuel demande à sa maman de lui lire un livre, mystérieusement trouvé dans la maison, et qui s’intitule « Mister Babadook« . Le petit, visiblement marqué par la sombre histoire du bouquin, commence alors à voir le croquemitaine, que ce soit en cauchemar ou en pleine journée. Alors que Samuel devient de plus en plus brutal et déroutant, Amélia commence à ressentir comme une menace obsédante autour et dans leur maison. Et si Mister Babadook n’était pas qu’une légende ?
Avec Mister Babadook, Jennifer Kent signe son premier long-métrage huit ans après s’être fait remarquer avec son très réussi et déjà bien flippant film court Monster. L’œuvre, précédée d’une réputation flatteuse et acclamée dans divers festivals dont Geradmer où elle gagne quatre prix (prix du jury, prix du public, prix de la critique internationale et le très étonnant prix du jury jeunes de la région Lorraine), arrive aujourd’hui dans une superbe édition signée Wild Side, qu’on recommande pour ses menus travaillés, ses bonus passionnants, dont un entretien « Les cauchemars de Babadook » dont le visionnage est fortement conseillé, et sa qualité technique nickelle. Du beau boulot, comme d’habitude chez cet éditeur, qui prend très au sérieux le menaçant Mister Babadook et ça se ressent quand on s’apprête à lancer le film.
Dès son ouverture, Mister Babadook se caractérise par une grande finesse dans la recherche des émotions et happe le spectateur. Déroulée en rêve, la séquence présentant l’accident de voiture, dramatique origine de toute l’histoire qui se développera par la suite, se passe de tout effet de pathos et autre tire-larme agaçant. Habilement, Jennifer Kent colle au plus près du visage de Essie Davis, en plein travail avant son accouchement, et y ajoute des sons du réel, de ce qui se passe autour du corps endormi, en l’occurrence la voix de Noah Wiseman. La femme est secouée dans tous les sens, des images de son mari lui apparaissent. Le réveil se fait en douceur, Amélia atterrit dans son lit dans un mouvement d’intense pureté. Le retour à la réalité est abrupte : l’enfant, Samuel, crie sur sa mère pour la tirer du lit. « J’ai encore fait le cauchemar », lui intime le petit garçon aux cheveux hirsutes pour que sa mère aille vérifier sa chambre. Beaucoup d’informations sont à prendre de ces premières secondes de Mister Babadook. La nature même de la tragédie, un accident de la route, et le fait qu’il est décrit dans un songe, donc le fait qu’Amélia soit encore sous le choc, assez pour être dévorée de l’intérieur jusque dans son sommeil. La voix de Samuel est là seulement pour former une sorte de ressenti intradiégétique du personnage de la mère, mais surtout pour bien montrer que son fils se fait présent, envahissant même dans ses songes. Et la première phrase du môme vient carrément instaurer un doute profond : mais pourquoi a-t-on l’impression qu’il prolonge la cauchemar de sa mère, comme si lui-même en faisait partie ? En l’espace de très peu de temps, Jennifer Kent a déjà réussi à poser brillamment certaines des caractéristiques fortes des deux principaux personnages de Mister Babadook.
Mister Babadook est alors sur de bons rails, car ce qui intervient par la suite ne doit que développer cette impression initiale pour la mener à des sommets, emmenés avec une grande finesse au spectateur. C’est ce qui est fait, et d’une bien belle manière. Les rapports entre la mère et son fils sonnent juste, notamment grâce à l’interprétation tout bonnement impeccable d’un casting bien dirigé. Essie Davis est marquante en veuve qui voit sa vie glisser entre ses doigts, au bord de la rupture nerveuse. Noah Wiseman est troublant tant son talent est précoce, et il en fallait pour pouvoir donner à son personnage toute son énergie dévorante, véritable malédiction pour sa mère. Ces deux âmes se trouvent donc liées par un drame : l’enfant est né quand le père est mort. Glauque. Évidemment, ce bien mauvais coup du sort fait que quelque chose couve sous leur relation, une sorte de rancœur fatale tant Amélia n’a pas encore fait son deuil. Essie Davis rend très bien cette impression aigre-douce, à la fois pleine de retenue, d’envie d’aimer cet enfant et pourtant de colère pour tout ce qu’il représente. Ce moment, toujours aussi fin, où la mère repousse son fils endormi, dont les problèmes nerveux se perpétuent jusque dans son sommeil, est encore très parlant. Couplé avec les actes diurnes de Samuel, assez insupportables et même dangereux, comme lorsqu’il pousse sa cousine d’en haut de sa cabane, on comprend que l’enfant est une des causes du malaise palpable. Amélia, infirmière dans un service de gérontologie, plonge de plus en plus dans la dépression, alors que Mister Babadook apparaît avec de plus en plus d’insistance.
Mister Babadook est donc une allégorie de la difficulté du deuil, qui fait intervenir un croquemitaine certes plein de sens, mais qui n’oublie pas de remplir son rôle épouvantant. Son aspect, astucieusement imprégné du succès des creepypasta comme le Slender Man, le travail sur le son, ajouté à une ambiance visuelle très soignée, une photo accentuant le côté anxiogène du quotidien de cette famille, tout ça fait effet. C’est simple, certaines séquences sont parmi les plus angoissantes de cette année 2014. Ce moment de tension, passé avec Amélia sous sa couette de lit alors que dans la chambre plane la menace, c’est simple, ça marche car ça parle à tout le monde. Se sentir en sécurité dans son lit est un sentiment universel, il est donc bien vu de chercher à retourner cette situation. Mister Babadook distille son croquemitaine avec application, sans le surexposer. La réalisatrice garde en tête qu’il est à la fois la frayeur et le côté sombre d’Amélia et pas seulement un épouvantail.
Mister Babadook doit garder cet équilibre jusqu’à la fin pour ne pas donner l’impression de se réfugier dans l’horreur facile. Certains diront que la deuxième partie tombe dans la récupération des codes du film de possession. C’est une erreur, une façon très partielle de lire les choses. Oui, le dernier tiers sonne très Shining, notamment grâce à la performance fascinante d’une Essie Davis en état de grâce tant tout son corps donne l’impression d’être en souffrance. Oui, parfois ça manque un peu d’originalité dans les situations et certains passages font penser à la ribambelle de films de possession qu’on a vu fondre sur nos écrans depuis quelques années. Mais ce qui se trame dans cette fin, la manière dont le conflit se règle, va bien plus profond que ça. C’est encore une façon de parler de l’acceptation du deuil et met un point final à une période trouble de la vie de ces deux êtres qui ont encore bien des choses à vivre. Mister Babadook est une réussite, qui brasse plus large que le simple film d’épouvante tout en se chargeant de hanter nos nuit de la plus horrifiante des façons.
Retrouvez d’autres critiques de Mister Babadook notamment chez A voir à lire, Critikat ou Filmdeculte. Et pour craquer sur l’édition DVD/BR, c’est chez Wild Side.
- Une bien effrayante allégorie.
- Le casting en grande forme.
- Visuellement somptueux.
- Trop dans les codes du film de possession.