Prix du jury au festival du film fantastique de Gérardmer 2016 et prix de la mise en scène à Sundance, nominé dans différents festivals du même type, The Witch était annoncé comme le renouveau du film d’épouvante. Le film est-il à la hauteur de sa flatteuse réputation ? Critique.
En 1630, quelques soixante ans avant le fameux épisode des Sorcières de Salem, un couple de catholiques extrémistes s’installe dans un coin sauvage de la Nouvelle Angleterre. Avec leurs cinq enfants, ils se mettent en devoir de vivre une vie pieuse et isolée, en cultivant leur terre et en élevant quelques bêtes. Mais évidemment, tout ne va pas se passer aussi bien qu’attendu : après la disparition mystérieuse du dernier né de la famille, un climat de paranoïa pesant se met en place, sur fond de suspicion de sorcellerie.
The Witch reprend le flambeau des films d’épouvante basés sur le Mal, dans le sens religieux (disons même catholique) du terme. En cela, le film de Robert Eggers (dont c’est là le premier film) s’inscrit dans une lignée de classiques (dont l’emblème est certainement l’Exorciste), dont il reprend un certain nombre de caractéristiques et de poncifs : la traditionnelle femme-tentation, la scène de possession, les gamins flippants, etc. Les codes habituels sont donc présents, et sont merveilleusement enrobés : la photo, terne, malade, est admirablement travaillée, et mise en valeur par des cadrages très réussis, entre horizons bouchés et plans moyens. A l’impression de confinement qui se dégage de l’image s’ajoute un malaise suscité par la bande-son, composée d’arrangements stridents, de cordes dérangeantes. Enfin, The Witch se montre habile dans sa mise en scène de l’épouvante, préférant la suggestion et le hors-champ au gore frontal ou au bête scare jump.
The Witch : un film d’horreur qui raconte
The Witch se présente donc comme un film d’horreur soigné, à la réalisation maîtrisée. Mais c’est sans aucun doute le traitement de son scénario qui le démarque des autres productions du genre. Robert Eggers parvient en effet à livrer une histoire qui s’offre comme pur récit horrifique d’une part, jouant entièrement son rôle d’épouvante pris au premier degré, mais également comme parabole critique du fondamentalisme religieux de l’Amérique puritaine catholique. Le sujet est traité simplement mais avec pertinence, remonte aux origines du Mal tant formellement (le sujet renvoyant aux classiques du genre) que dans le fond : ainsi la notion de Mal trouve sa source même dans la morale religieuse et l’inexplicable néfaste.
C’est bien là la beauté absurde des dévots : l’inexplicable n’est jamais un problème puisque que son origine est systématiquement toute trouvée ; Dieu, le Diable. Aussi lorsque de sombres mystères assaillent la famille mise en scène dans The Witch, les réponses sont-elles toutes trouvées : il s’agit forcément d’un pacte passé avec le Malin, il s’agit forcément d’une femme, il s’agit forcément d’une sorcière. C’est donc Thomassin, la fille aînée à la sexualité naissante (interprétée par l’excellente et envoûtante Anya Taylor Joy), qui se voit tout naturellement accusée d’être cause de tous les malheurs. Et qu’importe si les accusateurs font preuve d’une ignoble hypocrisie (le père qui tait sa responsabilité dans des méfaits qui sont injustement imputés à Thomassin) si le discours fondamentaliste ne s’accorde pas avec les actes. The Witch place le catholicisme en face de ses contradictions historiques, relève l’excès puritain et le tabou sexuel (la sexualité est partout refrénée, la fille devant cacher son corps sous corset et vêtements amples, le garçon devant lutter contre ses pulsions), montre habilement comme l’isolement est partout : physique, intellectuel, moral. Pour enfoncer le clou, le générique de fin indique tout bonnement avoir repris, pour certains dialogues du film, des dialogues tirés de documents historiques. Une façon simple de rappeler que la bêtise et l’exagération propres aux besoins de la narration ne sont pas toujours si éloignés de la réalité. Enfin, The Witch achève sa charge en montrant avant tout que le Mal est une création de l’homme, dans un final lourd de sens et de symbole. Finalement, le film aura dit plus qu’on n’en attendait.
Pour un autre avis, ça se passe sur critikat.com.
- La double lecture du scénario, à la fois histoire d'horreur et critique du fondamentalisme religieux
- L'incarnation du Diable
- L'esthétique globale
- Quelques clichés dispensables (notamment la représentation finale des sorcières)
- Titre : The Witch
- Année de sortie : 2016
- Style : Epouvante
- Réalisateur : Robert Eggers
- Synopsis : 1630, en Nouvelle-Angleterre. William et Katherine, un couple dévot, s’établit à la limite de la civilisation, menant une vie pieuse avec leurs cinq enfants et cultivant leur lopin de terre au milieu d’une étendue encore sauvage. La mystérieuse disparition de leur nouveau-né et la perte soudaine de leurs récoltes vont rapidement les amener à se dresser les uns contre les autres…
- Acteurs principaux : Anya Taylor Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie
- Durée : 1h33