Discount : un film haut de gamme.
Discount décrit la lutte d’un groupe d’employés de l’un de ces magasins dont les prix défient toute concurrence. L’arrivée des caisses automatiques, combinée à la recherche inhumaine de la rentabilité du personnel, pousse Gilles (Olivier Barthelemy) à imaginer la mise en place d’un commerce solidaire, en récupérant des produits encore consommables mais destinés à la benne. Le succès de ce « discount alternatif » va surpasser tout ce que les participants avaient espéré…
Discount est de ces œuvres qui ont connu un véritable parcours du combattant avant de pouvoir atteindre nos salles obscures. Cinq longues années ont été nécessaires afin de donner vie au projet, passant notamment par la case du financement participatif via une campagne menée, et réussie, sur « touscoprod ». Tout petit budget, ce premier film de Louis-Julien Petit (pas un bleu, de nombreux films à son actif au poste de premier assistant), porté par une productrice acharnée et passionnée (Liza Benguigui, saluons les personnes de l’ombre), connaît un coup de boost quand il se fait remarquer par Wild Bunch. Flairant là un sujet d’actualité et courageux, le distributeur pose la dernière pierre à l’édifice Discount.
Discount part d’un constat, et les premiers plans sont là pour bien l’appuyer. Les cadres rapprochés sur une foule, pas vraiment sentimentale, qui se prépare à l’ouverture du magasin, s’agglutinant aux portes dans un ensemble indicible que ne renierait pas un Lovecraft rigolard, donnent tout de suite le ton. Ces premières secondes disent, le plus cinématographiquement possible, donc en évitant tout effet superflu, que, quoi qu’il arrive par la suite, la clientèle est ce qui fait le destin du travailleur. C’est fait finement, sans pointer du doigt qui que ce soit. On n’est pas dans l’accusation facile et moralisatrice. Avec Discount, Louis-Julien Petit a envie de montrer les choses, mais ne leur donne pas ce coup de stabilo qui pourrit quelques fois des films « engagés », trop sûr de leur message et qui finissent par étouffer leur scénario.
L’histoire, tirée d’une histoire vraie, de Discount peut alors débuter et on est tout de suite frappé par la limpidité de sa narration. Très peu de temps morts dans les actions, on a toujours quelque chose de croustillant à se mettre sous la dent. Le film réussit à faire sortir le spectateur de son déguisement de cinéphile, et titille l’employé qui partage ce qui se cache en-dessous. Reconnaître des morceaux entiers de sa propre vie, autant de fois dans un film de par les situations qu’il décrit, c’est d’une rareté qu’on se doit de signaler. Ce passage, drôlement révoltant, de la vidéo institutionnelle présentant un des responsables de la firme soumettant très fortement, et avec un sourire de pub pour dentifrice, l’idée des licenciements utiles, est un grand moment de Discount. Autant pour son côté comique, que pour le fait de balancer ça aux yeux de personnes qui ne peuvent imaginer que la chose existe réellement. Cette idée de mise au chômage, pas du tout en l’air on l’aura compris, enclenche la phase pré-licenciement, et toutes ses situations incroyables mais vraies. Mais si, vous savez, ces concurrences chronométrées qu’imposent la direction, histoire de faire comprendre qu’on doit se surpasser pour garder sa place. Ou encore ces chaises retirées, parce que vous bossez plus vite debout. On se rapproche tout doucement des personnages principaux qui prennent alors possession de l’histoire et développe le conflit de Discount : le commerce alternatif comme moyen de se sublimer, de se solidariser, pour ces âmes.
Voici l’une des grandes réussites de Discount : ses acteurs. Tous apportent une couleur différente, mais sont liés par, encore une fois, un sentiment de véracité. Bien sûr, le choix en casting fut l’élément clé, mais nul doute que le travail effectué, une fois tout le monde engagé, a du être poussé. Corinne Masiero évolue comme un poisson dans l’eau dans la peau de cette femme parfois un peu trop vindicative mais tellement attachante, Olivier Barthelemy rend très bien en jeune bourru, pareil pour Pascal Demolon dont la « gueule » donne encore un surplus d’authenticité, sans oublier un M’Barek Belkouk qu’on savait capable de camper des personnages attachants et c’est le cas ici. Le coup de cœur va à Sarah Suco, dont les traits, le regard, la voix, tout faisait d’elle le choix idéal pour le rôle de cette mère en solo, qui a traversé bien des tempêtes, mais au cœur gros comme ça. Quand au rôle de Sofia, cadre prise en étau entre ses supérieurs et sa mère, qui lui somme de trouver un mari de sa religion, il fallait tout le talent de Zabou Breitman pour lui donner le relief qu’il nécessitait. Ce personnage est en effet d’une importance capitale pour Discount : il permet au réalisateur de donner à son film une dimension humaniste, terme trop galvaudé mais qui prend tout son sens ici. En refusant de juger cette femme, le film gagne en crédibilité, ne s’enferme pas dans une charge un peu trop décérébrée contre la hiérarchie. Elle aussi est mise sous pression, pas qu’un peu, et le passer sous silence serait une manipulation douteuse. Tout ce petit monde est à saluer pour leur prestation, et il serait injuste de ne pas parler de la figuration, car si Discount a cette personnalité très marquée, c’est grâce à ces figurants aux visages si véridiques. Louis-Julien Petit a toute une carrière de premier assistant, et ça se sent dans le soin particulier qu’il prend à dessiner des seconds plans qu’on peut regarder sans tiquer. Discount est appliqué, besogneux sur sa direction d’acteurs.
Discount surprend aussi sur son formel. Tournés à la Alexa, la Rolls du numérique, les plans vont du caméra à l’épaule à quelques plans aux mouvements osés. On pense à un élan à la grue, qui fera penser à une humble esquisse de celui ouvrant Touch of Evil. Voir traiter un sujet grave avec une véritable envie de donner au spectateur de quoi se rincer les yeux est assez rare de nos jours. Quand à la bande originale, elle est aussi à noter avec insistance tant elle accompagne parfaitement l’image. Le meilleur exemple, pour imager tout ce soin sur la forme, est la séquence de casse du camion. Tendue comme un flux, elle est baignée de tout ce qu’il faut pour lui donner une dimension marquante : une lumière maîtrisée, un montage alterné d’une précision chirurgicale, et une musique juste assez stressante pour ne pas en faire plus que nécessaire. Discount est brillant dans son fond et dans sa forme.
On ressort de Discount avec une énergie positive, même si cette aventure à échelle humaine reste une comédie dramatique sur un sujet social, loin d’être ce qu’on appelle très pompeusement un « feel good movie ». L’œuvre est consciente de ce qu’elle raconte, comme le prouve le dernier plan, écho du début et anxiogène juste comme il faut pour laisser le public se forger son propre avis sur ce qu’il vient de vivre. Louis-Julien Petit ne ment jamais à son spectateur, ne fait pas de son film un discours politique ni une ode à une idéologie quelle qu’elle soit. Il n’a pas à ajouter du malheur au drame, ni du bien-être au bonheur. Le résultat va bien au-delà des espérances qui, avouons-le, étaient si absentes que Discount fait instantanément l’effet d’une surprise à la fois agréable et rassurante quand à la santé d’un certain cinéma Français. Souhaitons à Louis-Julien Petit de nous revenir très vite avec un second projet.
- La véracité des situations, des personnages.
- Le casting besogneux.
- Formellement travaillé.
- Une romance un poil sous-traitée.