Frank, de Lenny Abrahamson. Le cinéma expose la face cachée de la créativité.
Frank, ici critiqué, est le dernier film en date de Lenny Abrahamson, réalisateur qu’on a plaisir à suivre depuis son très remarqué premier film : Adam and Paul. Même si son What Richard Did n’a pas été une totale réussite, notamment à cause d’un scénario limité, l’univers de cet auteur Irlandais est assez original pour être attendu au tournant. Le projet Frank a, cependant, fait parler de lui non pas grâce aux bon travaux de Lenny Abrahamson, mais plutôt en profitant de la signature d’un acteur parmi les plus brillants de notre temps : Michael Fassbender (X-Men : Days of futur past, 12 Years A Slave, Cartel), qui s’empare du rôle de Frank, initialement prévu pour Johnny Depp. L’association de l’univers très personnel de Abrahamson et d’une star internationale était attendue, d’autant plus à partir du moment où l’on a appris que Frank serait un personnage masqué…
La parole est à Frank.
Dans le film Frank, Jon Burroughs est un jeune homme, célibataire, qui travaille dans une entreprise aussi impersonnelle que possible. L’ennui ressenti au travail lui est supportable grâce à son amour pour la musique, et son rêve de devenir un musicien reconnu, adulé par les foules. Alors que Jon erre dans sa petite ville, au bord de mer, à chercher une inspiration qui le fuit, il assiste à la tentative de suicide d’un homme. Ce dernier s’avère être le claviériste d’un groupe, Sonorfbps, mené par le fascinant Frank, le leader dont la figure est en permanence dissimulée sous une grande tête en papier mâché. Jon propose, tout net, son aide au groupe, et se voit accordé la place désormais vacante au clavier par un Frank lui accordant toute sa confiance. Débute alors une aventure intense, qui commence par le départ de la bande en Irlande, pour l’enregistrement de son premier album, alors que Jon devient le protégé de Frank.
Mais qui est Frank ?
On pourrait croire que l’histoire de Frank se focalise sur le personnage éponyme, et énigmatique, dont le génie est de pouvoir trouver l’inspiration dans un tourbillon d’idées saugrenues, pouvant être bien vite et faussement interprété comme une forme de démence. Ou, autre possibilité, on pourrait croire que Frank est l’histoire de Jon, interprété avec une grande justesse par Domhnall Gleeson (Calvary, Invincible, le futur Star Wars 7), jeune homme dont les rêves de grandeur viennent combler le manque d’aventure qu’une vie d’employé de bureau peut installer. Frank est plus que ça, c’est avant tout un film sur le processus de création, ou plutôt le rapport de l’Homme avec la créativité : les espoirs que nous y plaçons, et l’utilité que nous lui donnons.
Frank et nos fantasmes.
Frank débute en nous présentant un Jon Burroughs perdu dans des pensées dont l’expression n’est ni géniale, ni satisfaisante. Le jeune homme n’est, ni plus ni moins que l’un d’entre nous, pris sur le vif en train de s’imaginer broutant une herbe bien plus verte que ce que les murs, désespéramment blancs, de son entreprise lui propose. Que le spectateur de Frank qui ne s’est jamais pris au jeu de s’imaginer être une star adorée, devant la machine à café de son open space, lui jette la première pierre. Mais, de suite dans Frank, on ressent la même gêne, le même embarras, que devant le culte Valse des Pantins de Scorcese : la volonté de Jon se cristallise notamment dans une foule, en transe devant son talent. Et jamais dans la satisfaction de travailler et d’obtenir des résultats créatifs satisfaisants, un univers développé, etc. Seulement, dans Frank, si Jon est un musicien tout à fait capable de jouer du clavier, son aptitude à créer n’est pas en accord avec ses fantasmes grandioses, et même si la force de travail est le don le plus précieux pour l’artiste, l’inné est aussi une composante du problème. Jon croise alors le groupe Sonorfbps, dont le chanteur Frank, aussi doué que hors norme, présente tout le potentiel du leader de bande vouée au succès.
Frank et sa bande.
A ce moment de Frank, Jon n’est pas spécialement accepté par les autres membres du groupe. Pire, il est particulièrement remis en cause par Clara (Maggie Gyllenhall, White House Down), une joueuse de thérémine elle aussi très… particulière. Cette femme instable, qui se plaît à voir Sonorfbps rester un petit groupe sans renommée, voit tout de suite en l’ambitieux Jon le potentiel pour désolidariser le groupe, et porter finalement atteinte à la créativité de Frank. La bande est tellement singulière, les autres musiciens, Don (Scoot McNairy, vu dans Gone Girl, Non-Stop ou The Rover), Nana (Carla Azar, qui signe sa première apparition dans Frank) et Baraque (François Civil, aperçu dans Catacombes), posant leurs pierres à l’édifice, qu’il suffit d’un tout petit souffle contraire pour que l’équilibre créatif s’effondre. Frank l’explique très bien, via des séquences dont l’exactitude force le respect. Jon n’est pas un mauvais bougre en soi, et n’est jamais décrit tel quel. Mais son envie de reconnaissance, qui passe notamment par sa renommée grandissante sur Twitter (voilà un placement de produit intelligent !), finit par contaminer Frank, et emmène le groupe à agir autrement, ce qui aura des effets catastrophiques pour tout le monde.
Pour se démarquer, il faut être Frank.
Frank, sous ses aspects de film délirant, cache une véritable critique de notre rapport avec l’art, en l’occurrence la musique. Si le personnage joué par Fassbender, Frank, s’y donne entièrement, c’est avant tout pour exprimer son mal-être, ce qui fait qu’il a recours à cette tête en papier mâché. Ce n’est jamais pour retirer de cette expression artistique de quoi nourrir son ego. Frank crée, lui les autres membres du groupe, parce qu’il doit créer, et non obtenir plus de followers ou autres futilités de notre époque. Jon, au fond, ne comprend pas ce besoin, et le résultat est sans appel : le jeune claviériste pianote, mais n’arrive jamais à composer quoi que ce soit de bon pendant tout le film. Par contre, il réussi à détourner Frank de sa vision en lui faisant miroiter la notoriété des vidéos du groupe sur Internet : des dizaines de milliers de clics. Frank démontre tout le vide de ces moyens de diffusion, où les récepteurs, nous, ne font que papillonner à droite et à gauche sans spécialement se poser sur quoi que ce soit. Le dernier quart de Frank, qui voit Jon essayer de rattraper ses erreurs, est teinté de mélancolie, nous jette au visage ce que notre mode de consommation, à base de réactions aux buzz, fait perdre à la notion d’art : l’authenticité. Frank vise juste, pile là où ça fait mal sans pour autant pointer du doigt avec une insupportable véhémence. L’ambiance du film n’est pas à la leçon, mais au constat, donc pas de moralité bien vaseuse en vue. Frank est un film superbement honnête.
Frank, les bonus.
Les acteurs de Frank interprètent une des chansons du film, c’est sur Première.
Pour voir la bande-annonce de Frank, suivez le guide.
N’hésitez pas à lire d’autres critique de Frank, notamment chez Marvelll et Cinechronicle.
- Une ambiance prenante.
- Le personnage Frank.
- C'est agréable à l'oeil et à l'oreille.
- Un scénario un peu court.
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