Midnight Special s’annonçait comme l’un des évènements cinématographiques de ce début d’année. Avec Jeff Nichols à la réalisation (Take Shelter, Mud…), la promesse était belle, l’homme ayant prouvé sa maîtrise des ambiances et des tensions psychologique. Verdict ? Par ici la critique.
Jeff Nichols se met à la SF
Midnight Special raconte la fuite d’un enfant, enlevé par son père à un groupe de fanatiques religieux qui en avait fait son messie. Le jeune garçon possède en effet d’étranges pouvoirs qui ont fédéré une croyance religieuse autour de lui, tandis que le gouvernement y voit une arme potentielle et se lance à son tour à la poursuite des fuyards.
L’introduction est bluffante, révélatrice des qualités du réalisateur : les choses sont suggérées, les plans parlants, l’atmosphère intense. Les enjeux sont exposés peu à peu, et s’articulent autour de la croyance mystique qui naît du surnaturel révélé, de l’exploitation qui peut en être fait, de la relation entre un père et son enfant en proie à un destin qui le dépasse. Les sujets sont divers, le mystère présent, et la réalisation sublime l’ensemble. Un temps.
Midnight Special raconte… quoi ?
Si dans un premier temps on se laisse porter par l’atmosphère étrange, par la pesanteur ambiante et l’aspect très intime d’un événement dont le film restreint volontairement la portée, le tableau se désagrège lentement au fil des minutes. Car la partie SF du film n’a pas de sens. Pourquoi les pouvoirs de l’enfant, pourquoi son abandon aux mains d’une secte, pourquoi le besoin de faire route vers une destination inconnue, pourquoi… Midnight Special s’attache à ne pas creuser le contexte (pas plus que les personnages), afin sans doute de maintenir le halo de mystère qui enrobe le film. Problème : en faisant cela il parvient certes à captiver le spectateur, mais s’empêche en même temps de mener un récit véritablement intéressant. Certaines pièces du puzzle ne seront jamais dévoilées, ce qui n’est d’ailleurs pas grave en soi. Mais celles qui seront révélées sont d’une banalité convenue, et brisent l’excitation du mystère. Tout ça pour ça ?
Père et fils
C’est que l’on comprend peu à peu que les différents éléments scénaristiques mis en place ne sont que poudre aux yeux, le véritable sujet de Midnight Special résidant dans la relation père-fils, dans la difficulté pour le premier de laisser partir le second. Le reste n’est qu’habillage, et sert à peine le récit.
La piste de la secte, comme celle du gouvernement, ne mènent finalement nulle part. Elles sont de simples prétextes au road-movie que devient le film, qui se désintéresse totalement de leurs implications en les transformant en simples péripéties, en étapes scénaristiques qui le font avancer lui, mais pas l’histoire. Cette dernière se concentre donc sur le père (interprété par Michael Shannon – Take Shelter, 99 Homes…) et le fils (campé par le jeune Jaeden Lieberher), personnages si graves et sérieux qu’on peine à ressentir quoi que ce soit pour eux. Entre mutisme et regards pesants, on a le sentiment d’observer des êtres déshumanisés, ce qui est encore accentué par les pouvoirs du garçon, qui tient par moment plus du robot que de l’humain. La mère, quant à elle (incarnée par Kirsten Dunst – Fargo la série, Melancholia…), est reléguée au second plan, et présentée comme un personnage suiveur. Midnight Special n’est pas un film sexiste, mais on a l’impression que son seul personnage féminin est là parce qu’il faut bien une mère pour montrer une famille traditionnelle. Alors soit, prenons Midnight Special pour ce qu’il est, pour une « réflexion » sur la paternité et l’inévitable déchirement auquel elle mène, lorsque le père doit croire en son fils pour lui permettre de s’émanciper. Les problèmes demeurent. Pourquoi des personnages si vides ? L’intensité des regards et la mélancolie des plans (deux éléments réussis et maîtrisés) ne font pas tout et ne suffisent pas à donner de l’ampleur aux émotions, ni même à les susciter. On peine également à accepter la thématique de l’émancipation lorsque l’enfant qui s’en va est si jeune, lorsque son père est déjà coupable d’abandon par le passé et que la seule chose dont on sait de lui est qu’il a été membre d’une secte – à plus forte raison lorsque ses raisons de suivre son fils se manifestent uniquement par la croyance, élément symbolique de ces errements.
Quel que soit le bout par lequel on prend le scénario du film, les choses ne collent pas. Le mystère est finalement bateau, la relation père-fils bancale, les événements artificiels, le tout simpliste. Certes, la maîtrise technique est indéniable, la mise en scène réussie et les acteurs investis. Mais Midnight Special a oublié de travailler son propos.
Pour un avis plus élogieux : http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/midnight-special/
- L'atmosphère mystérieuse
- L'écriture du film, bancale à tout point de vue
- Les personnages, rigides et graves comme des automates
- Titre : Midnight Special
- Année de sortie : 2016
- Style : Science-Fiction
- Réalisateur : Jeff Nichols
- Synopsis : Fuyant d'abord des fanatiques religieux et des forces de police, Roy, père de famille et son fils Alton, se retrouvent bientôt les proies d'une chasse à l'homme à travers tout le pays, mobilisant même les plus hautes instances du gouvernement fédéral. En fin de compte, le père risque tout pour sauver son fils et lui permettre d'accomplir son destin. Un destin qui pourrait bien changer le monde pour toujours.
- Acteurs principaux : Michael Shannon, Jaeden Lieberher, Joel Edgerton, Adam Driver, Kirsten Dunst
- Durée : 1h51