Critique du film Prédestination, réalisé par le duo australien des frères Spierig. Ou quand introspection et science-fiction font bon ménage.
Sorti presque de manière inaperçue en décembre 2014, Prédestination est pourtant un film de science-fiction singulier qui mérite le détour. Notre avis sur ce film australien qui n’a rien à envier aux productions américaines, pas même son casting. Prédestination emmène son spectateur loin – voire très loin – dans son concept et non pas des moindres : le voyage spatio-temporel.
Prédestination, un scénario à garder au secret
Si on vous livrait l’homme qui a ruiné votre vie, avec l’assurance d’être impuni, le tueriez-vous ? Prédestination s’ouvre avec un héros anonyme, tout juste greffé d’un nouveau visage après un accident lors d’une mission. Son travail ? Agent spécial pour une organisation dont même le nom est tenu secret. Interprété par Ethan Hawke (Good Kill, Boyhood), notre agent part pour une dernière mission : celle d’arrêter le terroriste poseur de bombe responsable de son accident. Sous couverture en tant que barman, il fait la rencontre d’un jeune homme, chroniqueur pour un magazine, qui lui promet de lui raconter l’histoire la plus étrange qu’il n’ait jamais entendu.
Difficile de parler plus en détails du scénario complet de Prédestination. En effet, il s’agit ici simplement du résumé de la scène d’exposition, environ quinze minutes, avant que le reste du film se déroule en deux actes. Un premier retraçant l’histoire racontée par le jeune homme, et un second rythmé par divers rebondissements qu’on ne saurait dévoiler. Non pas que le fait de spoiler soit aujourd’hui devenu un acte quasiment répréhensible par la loi, simplement que les frères Michael et Peter Spierig, réalisateurs et scénaristes, ont écrit Prédestination comme une suite de rebondissements improbables mais dont le rythme haletant tient son spectateur jusqu’au bout. En revanche, on apprécie grandement la cohérence de l’ensemble, et la narration menée avec brio pour ne jamais ennuyer le public dans la première partie – qui est tout de même un flashback d’une demi-heure environ – ou carrément le perdre dans la seconde partie, jusqu’à la résolution finale qui répond à l’ensemble des questions soulevées tout au long du film.
Rebondissements et sauts temporels
On salue d’autant plus le duo de réalisateurs car il s’agit de l’un de leurs premiers films (le quatrième exactement), puisque, avant Prédestination, ils ont ensemble réalisé Undead, un film d’horreur, et Daybreakers, un film de science-fiction horrifique avec… Ethan Hawke. A l’aise dans le genre, leur adaptation de la nouvelle Vous les zombies de Robert A. Heinlein, parue en 1959, est une réussite, à ceci près que les initiés pourraient ne pas totalement adhérer au film. Un comble. En effet, les voyages temporels développés dans Prédestination sont à Timeline fixe, c’est-à-dire une boucle dans laquelle ce qui doit arriver va arriver – d’où la logique du titre « Prédestination ». Mais s’amuser avec les voyages dans le temps, c’est parfois un peu bancal : regardez Terminator : Genisys, par exemple. L’ennui, c’est que qui dit boucle temporelle fixe dit éventuels paradoxes, vu que les bonds temporels ne créent pas de lignes parallèles, qui nuiraient aux rebondissements. La solution ? Partir du principe que, puisque l’on n’a jamais expérimenté le voyage temporel, toutes les possibilités sont encore exploitables. Ensuite, c’est qu’un habitué du genre va rapidement faire fonctionner ses méninges pour envisager toutes les possibilités envisageables, même les plus « what the fuck », ce qui peut aboutir à deviner une partie voire l’ensemble du mystère qui entoure notre agent spécial et son poseur de bombes. La clef, c’est de se prendre au jeu tout en espérant ne pas avoir raison à la fin, tellement les solutions sembleraient très étranges, voire malsaines. Malgré ce côté presque prévisible, Prédestination n’a pas peur d’aller au bout des choses, quitte à paraître tordu pour certains. C’est un bon délire de S-F qui prend son sujet au sérieux, et qui emmène ainsi son audience avec lui.
Un casting restreint mais de qualité
L’originalité de Prédestination se joue aussi sur son petit nombre de personnages, et aussi d’acteurs par la même occasion. En tête d’affiche, Ethan Hawke, très convaincant, particulièrement dans la scène d’exposition – au cadrage et à la photographie superbe. Mais parmi le casting, c’est surtout Sarah Snook qui brille. Son personnage, Jane, est en réalité le point central de l’intrigue : c’est son histoire qui fait l’objet du fameux flashback, et tout le reste du film gravite toujours autour d’elle. Captivante, notamment par l’immense évolution que subit son personnage, Sarah Snook a notamment obtenu plusieurs récompenses pour son interprétation de Jane. Remarquée depuis, on l’a par exemple vu dernièrement dans le film d’épouvante Jessabelle, mais elle devrait surtout faire son entrée dans la cours des grands avec The Dressmaker (avec Kate Winslet, Hugo Weaving et Liam Hemsworth) et le nouveau biopic sur Steve Jobs avec Michael Fassbender.
Dans l’ensemble, Prédestination est une réussite. Soit on se laisse surprendre, soit on peut deviner les ressorts à l’avance, ce qui ne gâche pas le plaisir. Les personnages sont développés dans le détail, la réalisation est propre, ce qui est prometteur pour les réalisateurs australiens. Enfin, on apprécie aussi la durée du film, 1h38, qui rappelle qu’un bon divertissement n’a pas besoin de dépasser les deux heures – un bon pied de nez à l’industrie hollywoodienne qui a, depuis quelques années, pris cette habitude. Pour voir ou revoir Prédestination, pas besoin de machine temporelle : il est d’ores et déjà disponible en DVD !
- Le voyage temporel exploité à 100%
- Les plot-twist à n'en plus finir
- Sarah Snook, incroyable
- Un petit côté prévisible pour les habitués du genre