Les cauchemars de Lovecraft, de Horacio Lalia, une bande dessinée entre deux sommeils.
Les Cauchemars de Lovecraft, ici critiqué, est une bande dessinée au concept réellement casse-gueule, pas l’idée qu’on se fait d’un rêve agréable. Pourtant, l’homme à la création des Cauchemars de Lovecraft n’est clairement pas un manchot, mais un dessinateur et scénariste confirmé. Horacio Lalia, la plume de l’album Les Cauchemars de Lovecraft, est un auteur Argentin qui a débuté en 1964, dans des revues plutôt pulp et qu’on aura connu en France dans la revue Akim, bien connue des anciens combattants de la BD. Mais c’est surtout en 1999 que l’auteur des Cauchemars de Lovecraft fit une apparition éclatante dans le pays de Molière, avec un album consacré à Edgar Allan Poe et sobrement titré Le Chat Noir. Grand amateur d’horreur littéraire, c’est tout naturellement que Lalia décide, en 1998, de débuter l’impensable, le casse-gueule : adapter l’indicible Lovecraft en bande dessinée.
Des difficultés chauchemardesques.
Les Cauchemars de Lovecraft, sorti en Novembre 2014 chez Glénat, est donc un recueil de plusieurs histoires, toutes adaptées d’œuvres du plus grand auteur d’horreur classique du vingtième siècle, d’après Stephen King lui-même. Ce ne sont pas moins de dix-huit histoires qui se retrouvent dans Les Cauchemars de Lovecraft, et la liste laissera songeur les amateurs, pour plusieurs raisons : L’Appel de Cthulhu, Je suis d’ailleurs, Le modèle de Pickman, La Couleur tombée du ciel, Les rats dans les murs, La Cité sans nom, Celui qui hantait les ténèbres, Dagon, L’Alchimiste, La Tourbière hantée, L’Abomination de Dunwich, L’Indicible, Air froid, Dans le caveau, Lui, Le trou des sorcières, Le Festival et Le Molosse. Un inventaire que les fins connaisseurs de Lovecraft diront inégal, mêlant le culte absolu (La couleur tombée du ciel), le moins connu mais tout aussi excellent (Air Froid par exemple) et le plutôt moyen (L’indicible…). Mais au-delà du choix des armes de ces Cauchemars de Lovecraft, que nous discuterons par la suite, le problème est, et les fans le savent pertinemment, que la littérature de l’auteur américain n’est pas des plus aisées à imager. Ce qui est un problème pour une bande dessinée comme Les cauchemars de Lovecraft.
Les cauchemars de Lovecraft part avec un handicap.
En effet, la littérature de Lovecraft s’appuie avant tout sur la capacité de ses lecteurs à imaginer leurs propres peurs. Même s’il existe différentes illustrations des entités mythiques imaginées par Lovecraft, aucun des bouquineurs ne donnera une description précise des ignominies informes qui grouillent dans l’univers de l’auteur. Tout simplement parce que ces Grands Anciens, tels Yog-Sothoth, sont patiemment, au fil des œuvres où ils interviennent, décrits comme indescriptibles par Lovecraft. Même Cthulhu, certainement la plus connue des créatures imaginées par Lovecraft, décrit comme ayant une tête de seiche et des tentacules de pieuvre, est pourtant exposée comme invraisemblable. C’est donc sur ce point précis que les auteurs d’arts autres que littéraires ne peuvent que passer à côté d’un des éléments les plus importants de la littérature de Lovecraft : sa capacité à ne pas se cacher derrière la représentation pour mieux terroriser un lecteur dont la cervelle ne peut que fonctionner à pleine puissance. Et ils sont nombreux, les auteurs, à s’être confronté à la magie noire de Lovecraft. Ils sont nombreux, et peu ont véritablement réussi à marquer les esprits, et quand ils y sont arrivés c’est en s’appuyant sur les écrits de Lovecraft les plus précis, tout en prenant certaines distances. Par exemple, Stuart Gordon et son Ré-Animator, n’était pas ridicule, du moins pour le premier film. Par contre, le même réalisateur s’est complètement ramassé sur l’adaptation de Dagon, l’une des nouvelles les plus fameuses de Lovecraft. Quand aux auteurs de bande dessinée, on ne va pas se mentir : aucune des adaptations de Lovecraft n’est arrivée à véritablement convaincre, en dehors de certaines prenant de véritables distances avec l’univers.
Des dessins et des monstres
C’est donc très prudent qu’on débute ces Cauchemars de Lovecraft. Ce qui attire de suite l’attention, car la clé de la réussite se trouve là, c’est le trait, le dessin. Et force est de constater que celui de Horacio Lalia a un charme certain, qu’il est même fait pour la description de l’univers minutieusement approximatif, niveau descriptions, de Lovecraft. Dans L’appel de Chtulhu, la représentation de ce dernier est juste assez précise pour ne pas en faire trop, pour ne pas donner à nos yeux de quoi être rassuré par l’incontestable, l’indubitable. Ce sera pareil pour la fameuse créature de L’abomination de Dunwich, l’une des nouvelles les plus épouvantables de Lovecraft, dans laquelle on fait la connaissance du rejeton grossier du surpuissant Dieu Extérieur Yog-Sothoth. Aussi, les visages des personnages, sombrant quasiment tous dans une insondable folie, rendent plutôt bien dans Les Cauchemars de Lovecraft, même si une petite surenchère se fait ressentir ici ou là, mais sans trop gêner. Malheureusement, l’intégralité de ces Cauchemars de Lovecraft est tout de même inégal, et c’est dû au principal reproche qu’on peut faire à cet album : le choix des œuvres adaptées.
Et Dagon fut bafoué !
Car certaines histoires de ces Cauchemars de Lovecraft, certains dessins, donc certaines impressions, paraissent étrangement plates, pas assez chargées en émotions fortes. Le Molosse par exemple, la dernière histoire de cet album, est un échec cuisant : il n’arrive pas à faire monter la tension une seule seconde. Pire, Les Cauchemars de Lovecraft est parfois décevant, en tombant dans le piège pourtant bien connu de la représentation directe, alors que la patte de Lalia est telle qu’il aurait pu se passer de certaines cases trop descriptives. Le Modèle de Pickman, pourtant recommandable dans l’univers de Lovecraft, échoue ici dans le ridicule le plus absolu, en nous montrant un monstre grotesque, et bien trop précis pour donner du poids à la révélation finale. Les rats dans les murs n’atteint pas le millième de la frayeur qu’il fait éprouver sous forme de nouvelle. Encore plus grave, et là les fans de Lovecraft vont sûrement faire la moue : l’adaptation de Dagon est tout simplement ratée. On comprend néanmoins la grande difficulté que celle de rendre palpable l’un des mythes les plus obscurs de Lovecraft, et ce dans un des écrits de l’auteur les plus sujets à débats (Dagon ou pas Dagon à la fin ?). Toujours est-il que le monstre, qui émerge des eaux, à peine digne d’une créature du Continent des hommes-poissons, ne rend pas vraiment hommage aux efforts de Lovecraft pour ne pas, justement, tomber dans le risible.
Une œuvre avant tout pour les collectionneurs.
Heureusement, d’autres histoires de ces Cauchemars de Lovecraft sauvent la baraque. La Cité sans nom retrouve une bonne partie du talent de poète dont a fait preuve Lovecraft, La couleur tombée du ciel est aussi glauque que la nouvelle originale, Je suis d’ailleurs déçoit de par la lumière faite trop rapidement sur le ressort final mais arrive tout de même à convaincre par son ambiance. En bref, Les Cauchemars de Lovecraft réussit à ne pas être un ratage, mais une entreprise courageuse, pas dénuée de talent mais bien trop victime des défauts typiques des adaptation de l’écrivain, même si Lalia a fait son maximum pour éviter la casse. Les cauchemars de Lovecraft est un album agréable à lire, à regarder même et d’autant plus quand le texte se fait le moins long possible. De plus, Les cauchemars de Lovecraft est un bien bel objet, qu’un fan de l’auteur peut fièrement exposer dans sa bibliothèque, tant la couverture, le papier, tout est de qualité même si on regrette qu’aucun prologue, épilogue, entretien avec Horacio Lalia, ne soit inclus. Vous savez ce qui vous reste à faire : si vous ne connaissez pas Lovecraft, commencez par le lire directement dans le texte. Puis, quand vous en serez mordus, ces Cauchemars de Lovecraft, de 248 pages, pourront ambitionner de rejoindre votre collection tant elle est le haut du panier des adaptations lovecraftiennes en bande dessinée malgré ses défauts.
Les bonus de Les cauchemars de Lovecraft
Vous pouvez lire d’autres critiques des Cauchemars de Lovecraft, notamment chez Sceneario.
Pour un peu mieux cerner l’œuvre gigantesque de Lovecraft, voici un wiki et le site, en Français, The Lovecraft Monument.
- Le dessin.
- Certaines histoires bien cernées.
- Très belle édition.
- Des histoires mineures.
- Parfois trop précis.