Critique de Le principe de Jérôme Ferrari qui retrace la vie du physicien Heisenberg.
Le principe est le nouveau roman de Jérôme Ferrari qui obtint le prix Goncourt en 2012 avec Le sermon sur la chute de Rome. Depuis sa parution, la critique ne tarit pas d’éloges, les superlatifs pleuvent: magnétique, envoûtant, magistral. Essayons donc à notre tour de faire émerger des propositions, des éléments de critique, quelques sentences et avis bien sentis.
Le principe, une mini-biographie d’un des pères de la mécanique quantique
Philosophe de formation, Jérôme Ferrari se lance donc avec Le principe, dans le récit de la vie de Werner Heisenberg (1901-1976) qui jeta les bases de la physique quantique. Un travail qui lui valut la reconnaissance mondiale en remportant le prix Nobel de physique en 1932. Le principe s’attache à la période de la vie du physicien qui part de ses propositions sur l’impossibilité en physique quantique de connaître la position et la vitesse d’une particule élémentaire pour aboutir aux applications de cette même physique durant la seconde guerre mondiale.
Il vous fallait encore apprendre à voir au-delà des évidences, vous dépouiller de toutes les habitudes qui vous retenaient prisonnier: quelque part, perdu dans l’immensité cosmique de la gouttelette, se trouvait l’électron. Il était impossible de dire où il se situait exactement. Un peu plus loin, il signalait à nouveau sa position approximative mais il n’était au fond même pas permis de penser que c’était le même objet qui laissait dans le brouillard les traces de son passage. Il n’y avait qu’une suite d’événements singuliers, l’éclair d’existences furtives illuminant la nuit avant de s’éteindre. (Le principe, pp.36-37)
C’est ce principe d’incertitude qui intéresse l’auteur qui en joue comme d’une métaphore de l’existence. Mais se pose aussi la question lancinante de la responsabilité des physiciens de l’époque dans les utilisations militaires de leur découverte.
Le soir du 6 août, le commandant Rittner s’isole à l’étage en compagnie du professeur Hahn pour lui annoncer qu’une bombe à uranium vient d’exploser à Hiroshima et il le voit se briser net, comme atteint par un coup mortel. (Le principe, p.114)
Le principe traque donc derrière l’existence d’Heisenberg la chute des innocentes découvertes faites dans l’exaltation des discussions et des équations et leur utilisation, en ce cas précis, dans les pires des circonstances. On découvre un homme décrit dans ses contradictions, les tiraillements de son époque, l’effervescence scientifique et politique du moment avec un style toujours aussi brillant, sachant mêler récit, apostrophe, souvenirs personnels.
Pourquoi alors ne se passionne-t-on pas pour Le principe?
Le principe est un court roman, 161 pages d’un format réduit où il n’y a guère plus de huit mots par ligne dont le thème principal de la culpabilité semble avoir été déjà exploité, notamment par les témoignages des principaux physiciens eux-mêmes (Robert Oppenheimer, La science et le bon sens. Gallimard 1972). Le principe ne parvenant guère à s’en extirper, on reste dans l’antienne de Rabelais: Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Le style de Ferrari limitant toutefois cette désagréable impression de déjà dit avec quelques pages plus personnelles sur Heisenberg. Mais la faiblesse de Le principe réside dans les allers retours entre la vie du physicien et celle du narrateur-auteur qui planche lors d’un concours de philosophie sur le fameux principe d’incertitude ou qui raconte sa vie en Corse au milieu des règlements de compte, mais aussi dans ce travers de Ferrari de « philosopher » ses romans, la dernière partie de son précédent livre Les sermon sur la chute de Rome perdait déjà de son unité avec les passages saint augustiniens. Là encore, la personnalité du physicien apparaît de façon trop éparse et se trouve noyée dans des considérations qui le dépassent. Le principe donne alors au lecteur l’impression d’une certaine confusion dans le réel objectif de l’ouvrage et la conduite du récit.
Bref, si l’avant-Goncourt (Où j’ai laissé mon âme ) était superbe, le Goncourt intéressant bien qu’inégal, là c’est une déception, espérons passagère, car Jérôme Ferrari a un style élégant qui devrait faire à nouveau mouche bientôt.
Pour un avis plus favorable sur Le principe : http://www.telerama.fr/livres/le-principe,123267.php
- Le style
- La construction du roman
- Le personnage du narrateur