Les luminaires, une pépite!
Les luminaires est un roman fleuve de 987 pages. Sa jeune auteur, une néo-zélandaise de 30 ans, a reçu pour cet ouvrage le prestigieux Man Booker Price en 2013. Les luminaires sort en France en ce début d’année précédé d’une élogieuse critique. Partons donc aux antipodes puisque le roman se déroule en Nouvelle-Zélande, en 1866, à l’époque des chercheurs d’or.
Les luminaires, l’art de raconter des histoires
Plusieurs personnages, douze, plus un qui arrive à l’improviste se retrouvent dans les salons d’un hôtel sordide pour évoquer une affaire dans laquelle ils se retrouvent impliqués à des degrés divers, voilà comment s’ouvre Les luminaires, au titre assez étrange si ce n’est par la brillance, la luminosité intense de l’or dont il sera fortement question dans ce roman. Les luminaires repose sur une intrigue finalement assez simple: Crosbie Wells, un prospecteur est retrouvé mort dans sa modeste cabane avec une immense quantité d’or en sa possession. D’autres éléments viennent ensuite s’ajouter pour épaissir le suspense (l’évanouissement d’une prostituée, la présence lancinante de l’opium, la disparition subite d’un jeune prospecteur qui fait fortune), mais la réussite des Luminaires tient avant tout à la qualité du récit et à la capacit�� d’Eleanor Catton à réaliser ce qui fait la quintessence d’un roman, raconter des histoires. Progressivement, sous sa plume enchanteresse, le lecteur se trouve pris dans un tourbillon de personnages, d’évènements qui se succèdent au prix d’une construction assez fascinante qui le pousse à savourer les pages les unes après les autres, avec un grand plaisir de lecture, le narrateur des Luminaires expliquant lui-même sa façon de faire.
Les interruptions furent trop fastidieuses, et l’approche de Balfour trop foisonnante, pour que le tout mérite d’être rapporté fidèlement selon les mots mêmes de chacun. Nous en retrancherons ici les imperfections tout en imposant, à la chronique impatiente de l’agent maritime et à son esprit divagateur, un ordre régimentaire; appliquant aux fissures et aux défauts du souvenir concret un mortier de notre façon, nous relèverons comme neuf l’édifice qui, dans les mémoires prises à part, ne subsiste qu’à l’état de ruine. (Les luminaires, p.65)
Fort souvent, les personnages se retrouvent en couple et par la comparaison de leurs informations sur l’affaire, ils (et le lecteur avec) font avancer l’histoire, éclairent de nouvelles pistes, provoquent de nouvelles interrogations.
Ecoutez, Monsieur Lauderback. On dirait qu’il y a quelque chose que vous gardez pour vous, quelque chose qui vous empêche de parler franchement. Vous ne voulez pas vous déboutonner? (Les luminaires, p.89)
Mais ces duos offrent l’occasion à l’auteur de revenir sur un fait antérieur qui a pu être oublié par le lecteur.
En contant à Lydia les tribulations d’Anna, il n’avait rien dit de l’or découvert la semaine précédente dans la robe orange et caché à présent sous son propre lit, dans un sac à farine. (Les luminaires, p.359)
Les luminaires a cette capacité à élaborer un récit complexe et à faire avancer une intrigue qui tient sans doute sa source dans la culture de l’auteur, fascinée depuis toujours par les écrits de l’époque même où se déroule le livre: les romans victoriens.
Les luminaires, une résurgence du roman victorien
On ne peut s’empêcher en lisant Les luminaires de songer au roman victorien et en particulier à deux de ses auteurs: Robert Louis Stevenson (1850-1894) et Wilkie Collins (1824-1889). En effet, on sent perler de tout côté l’influence de ces deux génies.
Les luminaires emprunte à Stevenson le grand récit d’aventures, les protagonistes du roman arrivent sur cette terre vierge, la Nouvelle-Zélande, en aventuriers soucieux de faire fortune en devenant diggers avec bien entendu des réussites et des échecs.
A vrai dire, Moody n’était guère habile dans son rôle de chercheur d’or : il préférait l’espoir de la pépite providentielle à la corvée de recueillir la poudre en lavant la terre à la batée. Trop souvent, les graviers aurifères passaient à travers le tamis au fond du berceau et étaient emportés par le courant; il lui arrivait de vider l’instrument deux fois de suite sans trouver la moindre paillette. (Les luminaires, p.625)
Evidemment, dans ce monde interlope, brillent de nombreux plaisirs illicites, les prostituées, les maisons de jeux et la consommation d’opium qui ne font que renforcer le caractère aventureux des personnages et donner aux Luminaires toute son ampleur romanesque. De plus, Eleanor Catton partage avec Stevenson l’art de multiplier les points de vue : un même événement, comme la mort de Wells ou le secret du contenu de la malle de Lauderback, va être raconté par plusieurs protagonistes.
Les luminaires empruntent aussi beaucoup à Wilkie Collins et à sa science de l’intrigue qui, ici aussi, est menée de main de maître. Coups de théâtre, progression fine des indices, retournements de situation, profondeur psychologique des personnages, voilà des analogies clairement visibles dans Les luminaires avec l’auteur de Pierre de Lune ou de La femme en blanc. C’est là la grande prouesse des Luminaires, d’avoir su échafauder un récit de telle sorte que, durant près de mille pages, le lecteur ne perde pas patience et continue à se passionner pour ces hommes et ces femmes qui vivent au bout du monde. Et sans doute en cela Wilkie Collins a bien aidé.
Les luminaires est un grand livre dont on peut, ça et là, trouver quelques défauts (j’ai peu goûté l’astrologie ambiante qui règne dans le livre et n’en ai point compris l’utilité) mais quelle réussite et quel talent. On lit une histoire, tout simplement, et on reste en éveil près de mille pages durant en guettant avec une lueur dans le regard le moment où, enfin, on va pouvoir s’y replonger. Que du bonheur!
Pour découvrir un autre point de vue sur Les luminaires:
http:/http://www.motspourmots.fr/2014/12/les-luminaires-eleanor-catton.html
- La construction du roman
- L'art de raconter des histoires
- L'aspect astrologique